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Comprendre les vertiges

Dossier
Paru le 31.01.2024
Mis à jour le 02.04.2024
Les mystères du cerveau

Comprendre les vertiges

10.10.2023, par
Troisième motif de consultation médicale, les vertiges et leurs causes sont de mieux en mieux compris. De nombreuses pistes sont désormais explorées pour soulager les patients.

Impression que notre corps glisse ou que le décor et les objets tournent autour de nous, le vertige est quelque chose de relativement courant qui peut se révéler un véritable handicap dès lors qu’il devient chronique. En France, près de 300 000 personnes sont concernées par ces troubles souvent causés par des atteintes du système vestibulaire.

Logé dans l’oreille interne et protégé par un coffre-fort osseux très épais (l’os temporal), ce système vestibulaire est un système sensoriel très sensible et très perfectionné. Il informe le cerveau de tous les micro-déplacements et micro-accélérations de notre tête. Il encode différents paramètres tels que l’amplitude et la fréquence de nos mouvements. Ces codages binaires sont ensuite envoyés via les fibres du nerf vestibulaire vers le tronc cérébral, le cervelet et le cerveau où ces informations sont utilisées dans tout un éventail de fonctions dont les réflexes posturaux et l’équilibre, ainsi que la stabilisation du regard, ou encore l’orientation et la perception du corps dans l’espace.

Une illusion de mouvement du corps

On devine alors que quand nous parlons de vertiges ici, nous ne parlons pas seulement d’étourdissements momentanés ni de la sensation que le sol se dérobe sous nos pieds à la vue du vide. « À proprement parler, le vertige est une illusion de mouvement du corps et/ou de l’environnement autour de soi. Il donne le sentiment que le corps ou les choses autour tournent, bougent, se déplacent », expose Christophe Lopez, neuroscientifique au Laboratoire de neurosciences cognitives1 (LNC) et coordinateur scientifique du projet Vestiself soutenu par l’Agence nationale de la recherche, qui étudie les liens entre système vestibulaire et conscience corporelle. « Il existe plusieurs types d’illusions de mouvement : sensation de rotation qui donne l’impression d’être dans un manège, sensation de translation qui peut donner l’impression que l’on chute ou que l’on flotte dans la pièce », précise le chercheur. 

Schéma de l'oreille interne où se trouve le système vestibulaire.
Schéma de l'oreille interne où se trouve le système vestibulaire.

Christian Chabbert, chercheur au LNC et fondateur du groupement de recherche Vertige, souligne que d’autres troubles sont fréquemment associés, rendant difficiles les activités de la vie quotidienne : « La personne qui en souffre peut avoir des pertes d’équilibre, chuter et avoir des pertes de mémoire spatiale. » Christophe Lopez explique aussi que « le système vestibulaire n’est pas uniquement impliqué dans des actions somme toutes assez réflexes, comme tenir debout. Il contribue également à des choses autrement plus élaborées et joue sur les représentations de l’espace, du corps et le sens du soi. Et puisqu’il permet de coder l’orientation du corps et nous donne des informations sensorielles pour nous repérer dans l’espace, mémoriser les trajets, etc., il contribue en somme à la navigation spatiale. »

Le système vestibulaire joue sur les représentations de l’espace, du corps et le sens du soi. 

Le neuroscientifique poursuit : « le système vestibulaire donne également des informations pour se représenter son corps, sa taille, sa longueur ou son volume. Les astronautes, qui, dans l’espace et donc en apesanteur, perdent des fonctions de leur oreille interne liées à la gravité, peuvent avoir l’impression que leur corps est plus long ou plus court qu’il ne l’est réellement. »

De tels phénomènes se retrouvent en clinique : lorsque le système vestibulaire est dysfonctionnel, l’oreille interne dit au cerveau que les choses tournent, alors que les autres capteurs sensoriels (vision, toucher…) « disent » le contraire. La manière dont les personnes éprouvent leur corps s’en trouve alors affectée. Elles peuvent par exemple avoir l’impression que leur cou s’allonge. Elles peuvent aussi avoir des référentiels mélangés, être désorientées, ne plus savoir distinguer le haut et le bas, la gauche et la droite.

Comorbidités psychiatriques et hormonales

À ces perturbations sensorielles s’ajoutent souvent des étourdissements et des nausées, ainsi que des difficultés à fixer le regard pendant le mouvement. « Les vertiges sont une forme de handicap invisible qui suscite beaucoup de détresse chez les personnes qui en souffrent », commente Christophe Lopez. C’est d’autant plus vrai que des études récentes montrent combien vertiges/troubles vestibulaires et santé mentale sont intimement liés.
 

Des études récentes montrent combien vertiges/troubles vestibulaires et santé mentale sont intimement liés. 

« Il existe des liens très étroits entre anxiété et vertiges. D’une part, les personnes qui ont des vertiges peuvent développer un syndrome anxiodépressif notamment parce qu’ils en viennent à redouter de sortir, d’être vus en train de tituber ou de chuter si un vertige les prend au milieu de la rue. D’autre part, les syndromes anxiodépressifs peuvent se manifester par des vertiges, une instabilité, etc. », explique Christophe Lopez.

Et le neuroscientifique d’ajouter : « Nous avons pu documenter le lien entre venir consulter pour des vertiges et souffrir de comorbidités psychiatriques. Par exemple, outre le fait d’avoir plus de chance de développer un syndrome anxiodépressif, les personnes qui consultent sont plus susceptibles que d’autres d’avoir un score élevé de dépersonnalisation, un type de trouble dissociatif. Il y a là une combinaison de facteurs psychologiques et otoneurologiques. » Des découvertes récentes rassurantes pour des patients qui ont longtemps été catalogués « psychiatriques » quand bien même leurs difficultés sont la conséquence d’un trouble sensoriel.

Micrographie électronique à balayage colorée de cellules ciliées, cellules sensorielles du système vestibulaire de l'oreille interne.
Micrographie électronique à balayage colorée de cellules ciliées, cellules sensorielles du système vestibulaire de l'oreille interne.

Les intrications entre le système vestibulaire et le reste de l’organisme ne s’arrêtent pas, loin s’en faut, à la santé mentale. « Des études ont récemment mis en évidence que le système vestibulaire est aussi impliqué dans la régulation du système hormonal, de la densité osseuse, des prises alimentaires et du sommeil », explique Christian Chabbert qui travaille précisément sur les questions hormonales. « Au sein de notre équipe, nous avons fait le constat d’une comorbidité entre vertiges et états hormonaux altérés (notamment en période prémenstruelle, en début de grossesse ou encore en préménopause), ainsi qu’avec le diabète et l’hypothyroïdie », dévoile le chercheur. 

Le système vestibulaire est aussi impliqué dans la régulation du système hormonal, de la densité osseuse, des prises alimentaires et du sommeil.

Et de poursuivre : « De manière assez surprenante, nous avons découvert qu’il existe des récepteurs hormonaux dans le vestibule. Un des axes de recherche actuels est de mieux comprendre les relations entre vertiges et hormones. Nous démarrons une étude clinique multicentrique qui vise à identifier les biomarqueurs sanguins associés aux épisodes aigus de vertiges, et qui pourrait permettre à l’avenir de mieux diagnostiquer les vertiges et leurs causes. Il s’agit de réaliser un dosage hormonal chez des patients en crise, et un mois après la crise ».

Comprendre les liens entre vertiges et ménopause ou entre vertiges et diabète permettra de mettre en place des solutions ciblées afin de mieux prendre en charge les patients.

De l’identification des causes à la rééducation

Car, aujourd’hui, la prise en charge des patients reste longue et pas toujours satisfaisante. « Les traitements des vertiges dépendent évidemment en premier lieu des causes de ces vertiges », signale Pierre Denise, praticien hospitalier au CHU de Caen, physiopathologiste de l’équilibre et des vertiges. Et c’est peu dire que ces causes sont nombreuses : « Les vertiges peuvent être causés par toutes sortes d’atteintes au niveau des capteurs de l’oreille interne, du nerf vestibulaire et/ou des nombreuses régions du cerveau qui traitent les informations qui proviennent de l’oreille interne », détaille Christophe Lopez.
 

Les vertiges peuvent être causés par toutes sortes d’atteintes au niveau des capteurs de l’oreille interne, du nerf vestibulaire et/ou des nombreuses régions du cerveau qui traitent les informations qui proviennent de l’oreille interne.

Ces atteintes peuvent être causées par : un accident ischémique au niveau de l’oreille interne ou des régions vestibulaires ; une maladie de Menière – qui correspond à des changements de pression des liquides qui se trouvent dans l’oreille interne ; une névrite – une inflammation du nerf vestibulaire causée par une infection virale ; une tumeur sur le nerf vestibulaire (neurinome) ; un accident vasculaire cérébral (AVC) ; de l’épilepsie ou encore des traumatismes, par exemple une chute provoquant une fracture de l’os qui entoure l’oreille interne.

À cette liste déjà longue s’ajoute l’ingestion de substances dites « ototoxiques » que l’on retrouve dans certains composés pharmaceutiques comme des antibiotiques ou des antitumoraux, certains aliments comme le manioc ou encore l’alcool : « Consommé abusivement, l’alcool peut donner l’impression que tout tourne autour de soi. En effet, il agit directement dans l’oreille interne où il vient modifier les propriétés des liquides qui s’y trouvent », note Christophe Lopez.

Un kinésithérapeute pratique la rééducation vestibulaire chez une patiente souffrant de vertiges et/ou de troubles de l'équilibre. Il effectue ici un bilan à l'aide de lunettes de vidéonystagmoscopie, sur lesquelles est fixée une caméra infrarouge.
Un kinésithérapeute pratique la rééducation vestibulaire chez une patiente souffrant de vertiges et/ou de troubles de l'équilibre. Il effectue ici un bilan à l'aide de lunettes de vidéonystagmoscopie, sur lesquelles est fixée une caméra infrarouge.

Mais souvent, traiter la cause ou la supprimer ne suffit pas à faire disparaître les vertiges. « Dès lors que la cause a été traitée mais qu’il y a une mauvaise récupération et que les vertiges persistent, la rééducation vestibulaire par un kinésithérapeute spécialisé reste le traitement de choix », explique Pierre Denise. Rééducation vestibulaire « qui vise à ce que le patient réorganise son système nerveux central pour recouvrer ses capacités d’équilibre à partir d’autres modalités sensorielles : proprioception, vision, sensibilité cutanée, viscéroception, complète le physiologiste. Elle utilise par exemple un fauteuil rotatoire ou des stimulations visuelles.

Pierre Denise ajoute qu’« il existe aussi – c’est encore une thérapeutique qui en est à ses débuts – des méthodes pour aider la régénération des cellules sensorielles du système vestibulaire – les cellules cillées –, lorsque celles-ci sont atteintes. » De son côté, Christophe Lopez signale que « certaines personnes peuvent trouver une aide à consulter d’autant que des psychiatres ont développé des techniques de thérapies comportementales et cognitives qui semblent être un outil intéressant pour une partie des patients. »

Des pistes grâce aux astronautes

Étudier comment la privation de gravité affecte le système vestibulaire des astronautes en apesanteur est une des pistes actuelles pour améliorer la prise en charge des patients atteints de vertiges d’origine vestibulaire mais aussi de ceux qui souffrent de vestibulopathie bilatérale – c’est-à-dire d’une atteinte vestibulaire des deux côtés. « Ces derniers, explique Pierre Denise, ne souffrent pas de vertiges mais d’un manque d’équilibre en marchant surtout dans l’obscurité, les yeux fermés ou en se levant/marchant sur un sol inégal, mou ou bancal. Ils souffrent aussi d’une oscillopsie résultant d’une instabilité oculaire associée à des mouvements de la tête. À ces symptômes caractéristiques, s’ajoutent des troubles du sommeil, de l’orientation, de la mémoire ainsi que de l’anxiété. »

Pour simuler l'absence de gravité, des volontaires sont placés en immersion sèche. Une situation semblable à ce que vivent les astronautes dans la Station spatiale internationale.
Pour simuler l'absence de gravité, des volontaires sont placés en immersion sèche. Une situation semblable à ce que vivent les astronautes dans la Station spatiale internationale.

Dans une démarche de science participative, le physiologiste et son équipe collaborent avec l’Association française de vestibulopathie bilatérale idiopathique, afin d’apprendre à mieux comprendre cette pathologie et à évaluer l’efficacité de manœuvres et des entraînements pour améliorer les symptômes des patients. « Nous espérons aussi que ce que nous apprenons des astronautes pourra servir pour améliorer la prise en charge des patients atteints de vestibulopathie bilatérale », conclut-il. C’est donc des étoiles que viendront peut-être les prochains traitements des vertiges et troubles de l’équilibre d’origine vestibulaire. ♦

À voir sur notre site
Le système vestibulaire, un sixième sens méconnu (reportage)

Notes
  • 1. Unité CNRS/Aix-Marseille Université.

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