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Wanda Diaz-Merced, l’astronome qui écoute les étoiles !

Wanda Diaz-Merced, l’astronome qui écoute les étoiles !

18.07.2023, par
Wanda Diaz-Merced au laboratoire Astroparticule et cosmologie, à Paris, en mai 2023.
Aveugle depuis l’adolescence, Wanda Diaz-Merced a mis au point une technique dite de « sonification » pour convertir les signaux astrophysiques en sons. Mettant en avant ce formidable outil de recherche et d’inclusion, elle plaide pour une science ouverte à tous les profils.

S’excusant pour un retard fictif, Wanda Diaz-Merced, large sourire, invite à entrer dans son bureau du laboratoire Astroparticule et cosmologie1 (APC). Pareils à deux étoiles, ses yeux gris-bleu captent immédiatement le regard. Un regard que pourtant elle ne renvoie pas, Wanda Diaz-Merced est aveugle. Les planètes, les étoiles, les galaxies… elle ne les voit pas. Néanmoins, du spectacle du ciel, l’astronome ne manque rien, grâce à la technique qu’elle a mise au point pour convertir en sons audibles les signaux en provenance du cosmos. Un outil qui permet à la scientifique une autre approche des données avant une analyse plus poussée. Et qui par la force des choses est également un formidable outil d’inclusion. Après une année passée à l’European gravitational laboratory (EGO), près de Pise, Wanda Diaz-Merced vient d’arriver à Paris pour un an. Elle y poursuivra son entreprise unique de rendre accessible à toutes et tous les signaux du ciel.

Native de Porto Rico, Wanda Diaz-Merced explique avoir toujours été intéressée par les sciences. Même si en démarrant ses études supérieures, elle pense d’abord à la médecine. Mais son avenir est très vite compromis. Commençant à perdre la vue durant l’adolescence, elle devient complètement aveugle l’année de son baccalauréat. « Je ne pouvais même pas lire ce que le professeur notait sur le tableau et je n’avais évidemment plus accès aux livres », se souvient-elle, parlant d’une période critique de son existence où elle a bien failli tout arrêter.

Un camarade la sort de la nuit dans laquelle son handicap l’a plongée. Astronome amateur, il participe au projet de science participative Radio Jove, de la Nasa, qui consiste à enregistrer et analyser des émissions radio en provenance de Jupiter, du Soleil ou de la galaxie en utilisant une petite antenne à construire soi-même. Et il fait écouter à la jeune étudiante la transposition, à des fréquences audibles, du signal radio d’une éruption solaire. « J’ai eu l’impression d’entendre le Soleil en temps réel, puis, après l’éruption, le bruit de fond de la galaxie », se souvient avec émotion la scientifique. Elle ajoute : « J’ai ressenti profondément qu’une possibilité se présentait ».

L’oreille de l’astronome

Concrètement, Wanda Diaz-Merced se rapproche du projet Radio Jove. « J’ai participé à des téléconférences et fait tout ce que je pouvais pour apprendre », raconte-t-elle. Jusqu’à être sélectionnée en 2005 pour un stage d’été au Goddard Spaceflight Center, aux États-Unis, où elle fait la connaissance de l’astrophysicien Robert Candey, qu’elle appelle toujours son mentor près de vingt ans plus tard.

J’ai eu l’impression d’entendre le Soleil en temps réel, puis, après l’éruption, le bruit de fond de la galaxie.

Avec lui, elle commence à travailler au développement du programme xSonify, qui permet de traduire en variations de fréquence et d’intensité sonores des signaux en provenance d’objets astrophysiques. « J’ai alors pu analyser mes premières données provenant d’un radiotélescope », explique-t-elle.

L’année suivante, elle travaille sur les enregistrements faits par le satellite Swift de sursauts gamma, soit des bouffées de photons ultra-énergétiques émises par la fusion d’étoiles à neutrons ou l’explosion d’étoiles géantes. « J’ai alors pris conscience que l’astronomie était une science que j’étais capable de faire. »

Vue d'artiste d'un sursaut gamma, l'un des événements cosmiques que Wanda Diaz-Merced arrive à percevoir grâce à la sonification des données astrophysiques.
Vue d'artiste d'un sursaut gamma, l'un des événements cosmiques que Wanda Diaz-Merced arrive à percevoir grâce à la sonification des données astrophysiques.

En 2013, Wanda Diaz-Merced soutient sa thèse de doctorat à l’université de Glasgow. Puis elle enchaîne les séjours postdoctoraux au Harvard Smithsonian Center for Astrophysics, au South African Astronomical Observatory, au Japon, puis à EGO. Au fil des années, elle affine son approche de sonification des données astrophysiques qu’elle applique au vent solaire, aux éjections de masse coronale, aux rayons cosmiques ou encore à la coalescence de trous noirs. Comme elle le détaille, « la sonification ne remplace pas une rigoureuse analyse mathématique, mais permet un accès aux données grâce auxquelles détecter des signaux potentiellement intéressants à étudier ensuite plus avant ». Mieux, via une série d’expériences perceptives, la chercheuse montre que le son, y compris pour des astronomes valides dans le cadre d’une pratique professionnelle, augmente la capacité à accéder à des signaux très faibles qui par nature sont invisibles à l’œil humain.

Explorer les signaux de l'Univers

En parallèle, Wanda Diaz-Merced ­participe à différents projets inclusifs de science participative. Par exemple, en 2016, elle donne une conférence TED où elle plaide pour une science accessible à toutes et tous. Puis, en 2019, elle codirige la conférence « Astronomy for Equity, Diversity and Inclusion », organisée à l’Observatoire astronomique national du Japon.

Wanda Diaz-Merced a créé un dispositif pour convertir en sons audibles les bruits du cosmos.
Wanda Diaz-Merced a créé un dispositif pour convertir en sons audibles les bruits du cosmos.

La sonification ne remplace pas une rigoureuse analyse mathématique, mais permet un accès aux données grâce auxquelles détecter des signaux potentiellement intéressants à étudier ensuite plus avant.

À Paris, la chercheuse a entamé des discussions avec ses nouveaux collègues afin de préciser la manière dont elle va interagir avec eux sur les thématiques du laboratoire. Comme l’explique Antoine Kouchner, son directeur, « rayonnement électromagnétique, rayons cosmiques, neutrinos, ondes gravitationnelles, la particularité de l’APC est de regrouper des équipes qui travaillent sur l’ensemble des messagers grâce auxquels observer l’Univers. De ce point de vue, l’approche de Wanda pourrait être très intéressante pour explorer ces signaux et contribuer à la mission d’ouverture du laboratoire à toutes et tous. »

Sur un plan strictement scientifique, la sonification des données pourrait par exemple trouver une application pour la préparation des observations du satellite franco-chinois Svom, dont le lancement est prévu pour mars 2024. Sa mission : déterminer les caractéristiques et la localisation de sursauts gamma, permettant ensuite notamment leur suivi par des observatoires terrestres. De quoi faire des découvertes que des approches plus classiques ne permettraient pas ? Pour l’heure, ce n’est encore qu’une hypothèse. Une chose est certaine, les oreilles plus que jamais tournées vers le ciel, Wanda Diaz-Merced entend bien montrer que l’astronomie, sans retard, aurait tout à gagner à s’ouvrir à toutes les approches et tous les profils.♦ 

Notes
  • 1. Unité CNRS/Université Paris Cité.
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Auteur

Mathieu Grousson

Né en 1974, Mathieu Grousson est journaliste scientifique. Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, il est également docteur en physique.

 

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