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«Star Wars», une mythologie contemporaine

«Star Wars», une mythologie contemporaine

16.12.2015, par
Tragédie politique, figure de l’Élu, éducation morale, la saga «Star Wars» rassemble tous les ingrédients d’une grande mythologie contemporaine. Décryptage par la philosophe Sandra Laugier à l’occasion de la sortie du «Réveil de la Force», VIIe épisode aujourd’hui dans les salles.

Pourquoi sommes-nous ainsi dans l’attente du "Réveil de la Force", épisode VII de Star Wars, que nous pouvons découvrir en France avant le reste du monde grâce à notre rite des sorties ciné du mercredi ? Sans être toujours spécialistes de cet univers, beaucoup d’entre nous sommes des fans de la saga. Mais oui, Star Wars est à la fois un space opera et la grande saga de notre monde contemporain – bien avant la série Game of Thrones qui ne nous occupe que depuis cinq ans. Star Wars a une véritable empreinte dans nos existences, et cela continue : c’est la mythologie de notre présent. La preuve en cinq points.

Sar Wars
L’équipe du tout premier épisode de «Star Wars», sorti en 1977 et rebaptisé par la suite «Un nouvel espoir».
Sar Wars
L’équipe du tout premier épisode de «Star Wars», sorti en 1977 et rebaptisé par la suite «Un nouvel espoir».

1) Pas de mythologie sans inscription dans la longue durée des vies humaines
Côté spectateurs tout d’abord, plus de quarante années se seront écoulées entre le tout premier film sorti en 1977 (intitulé tout d’abord Star Wars, et rebaptisé ensuite Un nouvel espoir pour l’inscrire dans une narration plus large) et l’épisode IX, prévu pour 2019. Qui dit mieux ? Twin Peaks, série culte, aura sans doute sa troisième saison vingt-cinq ans après. Cela veut dire que, pour nous, qui pour certains l’avons découvert à l’adolescence, l’univers Star Wars nous aura accompagnés pour une grande part de notre vie adulte. C’est bien le premier exemple de la place de ces œuvres populaires dans la formation des individus, dans leur morale, dans leurs expressions, leurs façons d’être, de l’efficacité de R2D2 à la classe intellectuelle de C3P0 et l’expressivité magnifique de Chewbacca, du charme romanesque de Han Solo à l’érotisme torride de Leia en bikini dans le Retour du Jedi, de l’histoire d’amour tragique shakespearienne entre Amidala et Anakin à la fidélité rigide d’Obi-wan. Combien de fois aurons-nous parlé du côté obscur où il ne fallait pas choir, ou de la Force qui devait être avec nous ? On sait que le vocabulaire de Star Wars a pénétré le langage politique. Car une caractéristique de cette série est son influence immense sur la culture populaire en général mais aussi sur nos vies quotidiennes, nos conversations, nos amitiés et notre morale.
 
Côté personnages, la saga s’inscrit également dans le temps long. On sait ainsi que l’épisode VII se situe une trentaine d’années après la fin de la première trilogie et la victoire des Jedi sur le côté obscur, et qu’on y découvre toute la descendance de Darth Vader (qu’on appelle en France Dark Vador) et de la reine puis sénatrice Padmé-Amidala. Ce même Darth Vader, dont on a découvert l’enfance et la tragique trajectoire dans les épisodes I, II, III, tournés pour leur part… entre 1999 et 2005, soit plus de vingt ans après la trilogie originelle. Les vrais spécialistes de Star Wars (dont je ne suis pas) parlent de prélogie pour ce « prequel » (récit des événements qui précèdent l’œuvre de référence). La prélogie de Star Wars est un modèle du genre et a donné nombre d’exemples intéressants depuis, allant de X-Men First Class à Superman en passant par Trois souvenirs de ma jeunesse de Desplechin).

2) Pas de mythologie sans tragédie politique
Si le début de la saga est marqué par un combat du Bien (Luke et les chevaliers Jedi) contre le Mal absolu (l’Empire), la suite adopte une vision plus trouble : l’itinéraire d’Anakin Skywalker – chevalier Jedi tombé du côté obscur de la Force et devenu Darth Vader  révèle la fragilité du Bien. Sa trajectoire est politique, passant de l’idéal Jedi de son enfance à une fascination mégalomane et presque fasciste pour le pouvoir. Il déclare, dans un moment clé de conversation avec sa fiancée Amidala dans l’épisode II, que le pouvoir « doit être réservé à un être de valeur » « qui le mérite ». « Qui, alors ? toi ? », demande Amidala, qui elle, passée sans problème du statut de reine à celui de sénatrice, représente les valeurs de la démocratie et de la république galactique, qu’on retrouve chez sa fille, Leia. Dans les épisodes I-III, le Bien n’existe que comme résistance au Mal. C’est bien cette capacité de rébellion et de résistance que met en scène Star Wars depuis ses débuts, avec l’apparition de la princesse Leia, en lutte contre l’Empire.

Star Wars
Luke Skywalker, interprété par Mark Hamill, devant son vaisseau.
Star Wars
Luke Skywalker, interprété par Mark Hamill, devant son vaisseau.

3) Pas de mythologie sans héros et héroïnes
Ils sont divers et nombreux dans l’œuvre de Lucas. Dans les premiers rôles, des acteurs de différentes générations, déjà un peu connus, ont acquis grâce à la saga une aura mondiale, de Harrison Ford à Natalie Portman en passant par Ewan McGregor… Mais une des caractéristiques de Star Wars est notre attachement tout aussi grand aux seconds rôles : Chewbacca et les robots R2D2 et C3PO, dont les interprètes sont les seuls à avoir participé à tous les épisodes. Véritable laboratoire du multiculturalisme, Star Wars est sans doute la première œuvre à avoir créé une relation aussi forte entre des personnages – humains mais pas seulement – et son public sur une telle durée transgénérationnelle.

C’est la première
œuvre qui a créé
une relation
entre un univers
et son public
de façon si large,
sur une telle durée
transgénérationnelle.

4) Pas de mythologie sans Élu-e
En cela, Star Wars est bien emblématique des grandes sagas dont font partie les grandes traditions religieuses, mais pas seulement. Et de Star Wars à Buffy, Matrix, Harry Potter, Le Seigneur des anneaux, Hunger Games…, c’est toujours dans une forme de sérialité que se déploie la figure de l’Élu, celui qui va nous sauver. La structure et l’enchaînement des deux trilogies font de la question de l’Élu un élément essentiel du récit, en introduisant une question obsédante : qui est l’Élu (The Chosen One) ? Entre Luke, qui a toutes les caractéristiques classiques de l’Élu (un garçon ordinaire, de profession modeste, qui vit avec ses oncle et tante sur Tattooine et ne sait pas quelle sera sa destinée) et Anakin, plus tordu, mais dont le sacrifice scelle le destin, qui choisir ? Ce doute et ce questionnement sur l’Élu constituent certainement une originalité de Star Wars et un élément d’influence qu’on retrouve dans les exemples récents cités ci-avant.

5) Pas de mythologie sans transformation et éducation morale d’un public large
Star Wars nous a initiés très tôt au multiculturalisme et au multispécisme galactique, en nous présentant des mondes variés (de Tattooine à Naboo et Coruscant) suscitant notre indignation morale dans une scène de l’épisode IV ou l’on interdisait l’entrée d’un bar (pourtant fréquenté par des spécimens assez monstrueux) aux robots (« humans only »)…, en nous présentant des formes de vie très diverses et pourtant attachantes, et en utilisant nos liens aux personnages sur la longue durée. Même la figure subversive de Jar Jar Binks – objet de délires homophobes de la part d’une partie des fans – crée une continuité. De toute façon, Star Wars a toujours innové, y compris en introduisant des femmes fortes dans un univers viril. C’est cet attachement aux personnages qui, dans toute grande série, nous permet d’inscrire ces moments en nous, et c’est cet attachement fatal qui est figuré, scellé par la scène tragique, à la fin de l’épisode III, dans lequel le masque de Darth Vader se referme et se bloque  sur Anakin, au moment de la naissance de Leia et de Luke.

Star Wars
Luke Skywalker (Mark Hamill), la princesse Leia (Carrie Fisher) et Han Solo (Harrisson Ford), trois des principaux protagonistes de la trilogie initiale.
Star Wars
Luke Skywalker (Mark Hamill), la princesse Leia (Carrie Fisher) et Han Solo (Harrisson Ford), trois des principaux protagonistes de la trilogie initiale.

Star Wars illustre très exactement ce que le penseur star de la pop culture, Pacôme Thiellement, dit de la culture populaire : elle « s'oppose à l’idée d’une culture élitiste, qui ne toucherait qu’une partie instruite de la population, mais ne se confond pas avec la culture de masse, produite par cette dite “élite” en vue de conserver la population dans l’ignorance et la misère 1 ».  La culture de Star Wars a constitué une part de notre éducation. Je suis de la génération qui a vu la première trilogie (1977-1983) dans sa jeunesse, quand on ricanait encore des superproductions américaines et de l’aliénation produite par la culture de masse ; j’ai vu la seconde trilogie (1999-2005) plus de vingt ans après (avec mes jeunes enfants), au moment où tout le monde avait découvert ses premiers Star Wars à la télévision ou en reprise au cinéma. Et j’irai voir l’épisode VII, avec mes enfants devenus adultes.
  
C’est, ce sera, une expérience bien différente de voir les épisodes dans l’ordre chronologique de la narration (de I à IX, en 2019), et de les découvrir, ou de les revoir, dans l’ordre où nous les avons découverts au cinéma, celui de notre histoire personnelle. Ce n’est pas le moindre apport de Star Wars, par son génie de la narration et l’attachement à ses personnages, de nous offrir la possibilité d’expériences de spectateur-trices si diverses et renouvelables, qui s’inscrivent dans nos vies et continuent de les transformer.

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

Notes
  • 1. Pop Yoga, de Pacôme Thiellement, Sonatine Éditions, 2013.

À lire / À voir

Buffy, tueuse de vampires, Sylvie Allouche et Sandra Laugier, coll. « Philoséries », Éditions Bragelonne, 2014.

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