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Un robot sous-marin pour l’archéologie préventive

Dossier
Paru le 16.03.2022
Le tour du patrimoine en 80 recherches

Un robot sous-marin pour l’archéologie préventive

14.09.2020, par
Le minirobot sous-marin Basile est un allié précieux pour effectuer un diagnostic archéologique des fonds marins.
L'archéologie préventive ne se pratique pas que sur terre... Dans ce carnet de mission, le roboticien Vincent Creuze nous emmène au large du golfe de Gascogne suivre les performances de Basile, un minirobot capable de plonger à 120 mètres afin de vérifier qu'aucun vestige ou site archéologique ne sera endommagé par la pose d'un câble sous-marin.

#01 - 30 juin 2020 – 20 h 00 - On embarque !

Notre camion rempli de matériel robotique se gare sur le quai qui borde l’Adour, à deux pas du centre de Bayonne. Denis Dégez, archéologue au Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm)1 et moi-même, roboticien au Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier (Lirmm)2, retrouvons avec un vif plaisir l’équipage de l’André Malraux, l’un des deux navires du ministère de la Culture. Nous embarquons rapidement notre précieux chargement, dont deux minirobots sous-marins et toutes les pièces détachées nécessaires pour d’éventuelles réparations en mer. Si nous prenons tant de précautions, c’est que nous appareillons demain pour une campagne bien particulière.

Le navire de recherches archéologiques André Malraux.
Le navire de recherches archéologiques André Malraux.

Depuis plusieurs années, le Lirmm conçoit avec le Drassm des robots sous-marins spécialisés dans l’archéologie. Pourtant, aujourd’hui, notre mission n’est pas motivée par le passé, mais plutôt par l’avenir, en l’occurrence un câble de télécommunications. Avant la mise en place d’un câble sous-marin ou avant tout autre aménagement, un diagnostic archéologique doit être effectué pour s’assurer que la tranchée dans laquelle il sera enfoui ne traversera pas une épave ou un site archéologique. Une première phase, dite de « survey », a été réalisée quelques mois auparavant. Elle consiste à balayer la zone avec un sonar latéral et un magnétomètre, afin de détecter des anomalies qui pourraient correspondre à des sites archéologiques. Les cibles sélectionnées doivent ensuite faire l’objet d’une levée de doute visuelle ici réalisée par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) pour vérifier s’il s’agit ou pas de vestiges archéologiques et pour en évaluer l’intérêt. Le nombre et la profondeur de ces cibles imposent, cette fois, l’utilisation de robots sous-marins.

Image sonar latéral d'une cible qui se révèlera n'être qu'un rocher isolé.
Image sonar latéral d'une cible qui se révèlera n'être qu'un rocher isolé.

#02 - 1er juillet 2020 – 08 h 00 - Derniers tests pour Basile

Sur le pont du Malraux, Denis et moi préparons le robot Basile. Il s’agit d’un petit prototype d’une vingtaine de kilogrammes, un ROV (Remotely Operated Vehicle ou véhicule sous-marin téléopéré). Il est piloté depuis le navire grâce à un câble, l’ombilical, qui fournit au pilote les données des capteurs (caméra HD, sonar, compas, profondeur, roulis…) et envoie au robot de l’énergie ainsi que les commandes à appliquer à ses huit moteurs. Les algorithmes du Lirmm exploitent les données des capteurs pour faciliter le pilotage et stabiliser automatiquement le robot. Le pilotage assisté par ordinateur permet de se déplacer précisément, par exemple pour filmer de très près des épaves ou pour prélever des objets archéologiques fragiles. Le robot ne remplace pas l’homme, il est en effet piloté directement par l’archéologue et prolonge simplement son geste aux profondeurs où il ne pourrait se rendre lui-même, ou pour des durées incompatibles avec la plongée humaine.

Denis Dégez et Vincent Creuze préparent le ROV Basile avant sa première plongée.
Denis Dégez et Vincent Creuze préparent le ROV Basile avant sa première plongée.

Pour cette mission, nous n’avons pas le droit à l’erreur car la zone explorée est à une dizaine d’heures de navigation, ce qui ne permet pas de rentrer au port en cours de campagne. Dans la cale du navire, le robot sous-marin Flipper, un autre prototype conçu au Lirmm, est prêt à prendre la relève en cas de défaillance de Basile. Pour moi, cette mission est une occasion supplémentaire de valider sur le terrain les algorithmes de commande et les logiciels d’assistance au pilotage développés au laboratoire. Même si ces robots ont déjà accompli de nombreuses plongées archéologiques, jusqu’à 500 mètres de profondeur, Denis et moi ressentons une appréhension particulière à l’idée que la mission repose sur la fiabilité du robot Basile. Nous soignons donc chaque détail et testons sur le pont toutes les fonctionnalités de ce dernier, sous l’œil attentif d’Alex Sabastia, archéologue à l’Inrap, qui supervise cette campagne et recueillera les données.

#03 - 1er juillet 2020 – 15 h 00 - En route vers le large

« C’est bon, on a l’autorisation d’appareiller », lance Christian Péron, le commandant du Malraux. L’équipage largue immédiatement les amarres. Pour des raisons de sécurité, il n’est possible de quitter le port de Bayonne qu’à marée descendante, lorsque le courant de l’Adour porte vers le large. Le fleuve emporte parfois des troncs d’arbres ou d’autres débris qui pourraient endommager l’hélice et immobiliser le navire. Le courant sortant garantit que, dans de telles circonstances, les navires soient chassés vers l’extérieur plutôt que vers le pont Henri Grenet, très près de notre point d’appareillage. Cependant que le Malraux descend lentement l’Adour, Erwan Marion, le commandant en second, reste en poste sur la plage avant près du guindeau (le treuil qui permet de mouiller l’ancre). Il surveille les objets dérivants et se tient prêt à actionner le guindeau pour immobiliser le navire en cas de panne au milieu du fleuve. À l’intérieur, Nicolas Stern, le cuisinier, profite des derniers instants de calme plat pour préparer le repas du soir. Quelques minutes plus tard, nous avons rejoint le golfe de Gascogne et la houle océane nous accompagnera jusqu’à la fin de la mission, compliquant singulièrement le travail de Nicolas.

Le commandant Christian Péron à la barre de l'André Malraux, quittant Bayonne.
Le commandant Christian Péron à la barre de l'André Malraux, quittant Bayonne.

 #04 - 1er juillet 2020 – 21 h 00 - Première plongée

La voix de Christian annonce dans les haut-parleurs du Malraux : « Arrivée sur zone dans quinze minutes. » Le robot est mis sous tension et les logiciels sont lancés et testés. Pendant ce temps, l’équipage se prépare à descendre, sur le flanc du navire, la longue perche qui immergera le système de positionnement acoustique USBL (Ultra Short BaseLine). En l’absence de système GPS sous la mer, la localisation du robot est accomplie par ondes acoustiques, grâce au transducteur USBL qui communique avec un transpondeur attaché au robot. Ce système mesure la position du robot avec une précision de l’ordre du mètre. C’est indispensable pour approcher la zone où se trouve la cible, mais aussi durant les phases d’immersion ou de récupération du véhicule.

Sur le flanc tribord du navire, une perche pivotante permet d'immerger le système acoustique USBL, dont on remarque ici les quatre récepteurs acoustiques noirs, nécessaire pour communiquer avec Basile.
Sur le flanc tribord du navire, une perche pivotante permet d'immerger le système acoustique USBL, dont on remarque ici les quatre récepteurs acoustiques noirs, nécessaire pour communiquer avec Basile.

Cette première plongée, à la tombée de la nuit, est une plongée de test pour vérifier que tout fonctionne. La petite taille du robot Basile permet une mise à l’eau rapide par seulement deux ou trois membres de l’équipage. En moins de dix minutes, le robot est mis à la mer avec la grue du bord et a rejoint le fond, ce soir à 120 mètres de profondeur. L’ombilical est filé à la main depuis le pont. À l’intérieur du Malraux, dans la salle scientifique, Denis et moi alternons le pilotage, pour que chacun retrouve ses habitudes. Après quelques vérifications techniques, nous constatons que tout est fonctionnel et le robot est remonté à bord. Le navire reprend sa route vers notre première cible. Le commandant organise les quarts pour la navigation de nuit et ceux qui le peuvent vont dormir, « bercés » par la houle atlantique tenace.

#05 - 2 juillet 2020 – 08 h 00 - Douze cibles à vérifier

Le navire est arrivé sur zone pendant la nuit. Nous démarrons l’examen de douze cibles réparties sur plusieurs kilomètres dans le couloir prévu pour le futur câble transatlantique de télécommunications. Pour chaque cible, il faudra déplacer le bateau, mettre le robot à l’eau, puis, avec la caméra du robot, déterminer la nature de la cible. Il peut s’agir d’un vestige archéologique, d’une formation géologique, d’un déchet ou encore d’un faux-positif. Ce dernier cas correspond à une image sonar interprétée à tort comme une anomalie, alors qu’elle est due, par exemple, à un déchet dérivant sur le fond ou à un simple monticule de sable.

Denis Dégez est aux manettes. Devant lui, l'ordinateur portable applique les algorithmes du Lirmm pour faciliter le pilotage et stabiliser le robot.
Denis Dégez est aux manettes. Devant lui, l'ordinateur portable applique les algorithmes du Lirmm pour faciliter le pilotage et stabiliser le robot.

Pour chaque cible nous disposons de coordonnées géographiques et d’une image de sonar, issue du survey, qui nous donne grossièrement l’allure de ce que nous cherchons. L’USBL guide le pilote approximativement vers la cible, tandis que le sonar à balayage et la caméra HD du robot nous permettent de la localiser et de l’identifier précisément. La détection est facilitée par l’abondance de poissons autour de ces points singuliers du fond marin, qui constituent des îlots de vie dans les fonds majoritairement sédimentaires de cette partie du golfe de Gascogne. Pour cette plongée, le courant est faible, ce qui est favorable et accélère les phases de descente et d’approche. En quelques instants, à 120 mètres, nous identifions très clairement un gros rocher. C’est le cas idéal d’une cible facile à localiser et à identifier. Dix minutes plus tard, le temps de prendre suffisamment d’images, le ROV remonte à la surface et Alex consigne soigneusement le descriptif de la cible.

Les bancs de poissons (ici des tacauds) facilitent le repérage des cibles (ici un rocher).
Les bancs de poissons (ici des tacauds) facilitent le repérage des cibles (ici un rocher).

Au cours de la journée, nous enchaînons les plongées et croisons rochers, filets de pêche, mais aussi quelques faux-positifs. Ces « fausses » cibles sont les plus longues à inspecter car pendant vingt à trente minutes, il faut balayer la zone de long en large avec le robot, dans un rayon d’au moins vingt mètres, pour s’assurer qu’il n’y a effectivement rien à cet endroit.

#06 - 2 juillet 2020 – 13 h 00 - Un sandwich ? 

 « Que l’on poivre les cygnes ! » L’appel traditionnel du bord pour le repas du midi ne résonnera pas aujourd’hui. La houle et l’activité incessante ne permettent pas de se mettre à table tous ensemble. Entre deux manœuvres du bateau, chacun mange son sandwich quand il le peut et les plongées se succèdent sans interruption. Pour rester concentrés au fil des heures, Denis et moi nous relayons au pilotage. L’équipage aussi se relaie sur le pont et nous rejoint fréquemment dans la salle scientifique pour observer en direct les vidéos prises par le robot. Aucune épave aujourd’hui, ce sont les homards, les langoustes et les poissons qui constituent l’essentiel du spectacle. Pour l’une des cibles, l’expérience de Mohamed Bouyaiche, marin à bord, mais également marin pêcheur une partie de l’année, est mise à profit pour identifier des restes d’engins de pêche perdus au fond.

Dans la salle scientifique, une partie de l'équipage rejoint souvent le pilote pour découvrir en direct les images filmées par le robot.
Dans la salle scientifique, une partie de l'équipage rejoint souvent le pilote pour découvrir en direct les images filmées par le robot.

Mécanique très bien huilée, la journée se poursuit dans une ambiance excellente, grâce aux qualités humaines et professionnelles exceptionnelles de l’équipage. Les cibles se succèdent bien plus vite que prévu et aucun problème technique ne nous interrompt.

#07 - 2 juillet 2020 – 20 h 00 - Il en reste encore deux...

« Qu’est-ce qu’on fait, Commandant ? il est 20 heures et il ne reste que deux cibles à faire. » Nous sommes à dix heures de route de Bayonne. Soit on fait les deux dernières plongées maintenant et le navire fait route vers le port durant la nuit. Soit on attend le lendemain matin pour terminer et l’on n’arrivera à Bayonne que le soir, trop tard pour le courant sortant et l’on devra patienter de longues heures près de la côte avant de pouvoir entrer dans le port. Les phases de repos au cours de la journée ayant été bien organisées, chacun est d’accord pour terminer le travail ce soir.

#08 - 2 juillet 2020 – 22 h 00 - Pas de vestiges archéologiques

Erwan et Mohamed récupèrent Basile après sa dernière plongée. Le robot est rincé puis amarré sur le pont pour la nuit. Le soleil se couche derrière le Malraux qui fait désormais route vers Bayonne. En moins de quatorze heures, nous avons enchaîné une douzaine de plongées entre 90 et 120 mètres, sur des cibles réparties dans un couloir de plusieurs kilomètres de long. Même si la plongée humaine est possible à ces profondeurs, nous n’aurions jamais pu enchaîner d’aussi nombreuses plongées dans un intervalle de temps aussi bref. Aucune des cibles expertisées ne correspondait à un vestige archéologique. La zone d’emprise de passage du câble pourra donc être libérée par le Drassm pour que les travaux de pose puissent être réalisés par l’aménageur sans risque de destruction de sites archéologiques. À défaut, il aurait fallu, par exemple, modifier le trajet du câble ou procéder à la fouille complète du site archéologique.

#09 - 3 juillet 2020 – 11 h 00 - Retour d'expérience

Nous accostons à la base navale de l’Adour. Les plongées nous ont permis de collecter des données robotiques et d’identifier plusieurs améliorations logicielles possibles, qui donneront aux robots toujours plus d’ergonomie et de fonctionnalités. Ces évolutions seront préparées au Lirmm dans les semaines à venir et seront testées au cours de prochaines missions. Ce retour d’expérience sera également mis à profit pour le ROV Arthur, le prochain robot archéologue du Drassm, développé lui aussi en étroite collaboration avec le Lirmm, et qui opérera cette fois jusqu’à 2 500 mètres de profondeur à bord de l’Alfred Merlin, le prochain navire du ministère de la Culture.

Le soleil se couche sur le golfe de Gascogne, tandis que le Malraux repart vers Bayonne.
Le soleil se couche sur le golfe de Gascogne, tandis que le Malraux repart vers Bayonne.

En attendant, un événement majeur se prépare à bord. Le dîner d’au revoir d’Alan Landure, le chef machine, qui quitte le bord pour une ultime année d’études à terre et laisse sa place à Lucas Vermersch. Nous sommes tous à la fois très émus et heureux d’avoir pu faire cette dernière mission avec lui et sommes convaincus de le retrouver bientôt, au hasard de nos navigations. ♦

Notes
  • 1. Ministère de la Culture
  • 2. Unité CNRS/Université de Montpellier.
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Auteur

Vincent Creuze

Vincent Creuze est chercheur en robotique marine, maître de conférences HDR au Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier (Lirmm, CNRS/ Université de Montpellier) et à l'IUT de Montpellier.

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