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Zinder renoue avec son passé

Dossier
Paru le 16.03.2022
Le tour du patrimoine en 80 recherches

Zinder renoue avec son passé

25.02.2019, par
Vernissage de l’exposition «Zinder 1900», au Niger.
La deuxième ville du Niger accueille une exposition photographique retraçant la vie quotidienne de la région au tournant des XIXe et XXe siècles, aux prémices de la colonisation par la France. Historienne à l'Institut des mondes africains, Camille Lefebvre, qui est à l'initiative du projet, revient sur ce travail qui met en lumière un passé longtemps disparu.

L'exposition «Zinder 1900», visible encore quelques jours dans la deuxième ville du Niger, rencontre un grand succès populaire. Comment est née l'idée d'une telle exposition photographique sur cette ville à la fin du XIXe siècle?
Camille Lefebvre1 : A cette époque, qui coïncide avec l'arrivée des premiers militaires français dans le sud-est du Niger, Zinder est la capitale du puissant Sultanat de Damagaram, alors en pleine expansion. Or, ces dernières années, j'ai été amenée à me rendre régulièrement dans cette région pour poursuivre mes recherches sur les débuts de la colonisation au Niger. C'est à l'occasion d'une de ces missions scientifiques, en janvier 2017, que j'ai fait la connaissance de Laminou Issaka Brah, le maire d'une des trois communes qui forment l'agglomération de Zinder. Monsieur Issaka Brah, qui est un passionné d'histoire, avait depuis plusieurs années un projet d’exposition autour de l’histoire de la ville et nous avons décidé de la monter ensemble. Notre projet s'est finalement concrétisé en décembre 2018 à la faveur des célébrations des 60 ans de la République du Niger qui devaient justement se tenir à Zinder. Pour la mise en œuvre nous avons bénéficié du soutien de l’ambassade de France. La production de l’exposition a pour sa part été entièrement réalisée au Niger grâce à l’appui du Centre culturel franco-nigérien Jean Rouch.
 
D'où proviennent ces archives photographiques?
C.-L. : Les premiers militaires français arrivés à Zinder, notamment Henri Gouraud, Henri Gaden ou Fernand Foureau, disposaient d’appareils photos avec lesquels ils immortalisèrent de nombreuses scènes de la vie quotidienne. La plupart de ces photographies ayant toutefois été prises à titre privé, elles sont longtemps demeurées dans les archives personnelles de ces militaires. Ce n'est que très récemment qu'elles ont été cédées à différentes institutions de conservation françaises. Ces photographies se sont alors retrouvées dispersées entre les Archives nationales d'outre-mer, le Service de santé des armées, le Ministère des affaires étrangères, la Bibliothèque nationale de France et le Service historique de la Défense. Un grand nombre de ces photographies prises au tout début du XXe siècle n'avaient jamais été développées et encore moins publiées.
 

Les cavaliers du sultan (1902).
Les cavaliers du sultan (1902).

Cela a-t-il été compliqué de retrouver puis réunir ces documents?
C.L. : J'avais déjà pu identifier ces différents fonds d’archives privées dans le cadre de la préparation de mon prochain livre dédié aux débuts de l'occupation coloniale en Afrique de l'Ouest. Les Archives nationales d'outre-mer abritaient par exemple un fond de plus de 1000 photos ayant appartenu au commandant Henri Gaden, pour lesquelles il n'était mentionné aucune indication géographique. C'est en passant en revue la totalité de ces archives photographiques que j'ai pu identifier une centaine de clichés réalisés à Zinder au début du siècle précédent. Dans un second temps, il a fallu négocier avec les institutions de conservation pour qu'elles acceptent de nous céder des versions numériques de ces photographies. En tant que chercheuse, j'estimais que nous avions en quelque sorte le devoir de restituer au Zindérois ces images de leurs aïeux auxquelles ils n'avaient jamais eu accès.
 
Que racontent les photos et les témoignages rassemblés dans le cadre de «Zinder 1900» ?
C.-L. : Cette exposition n’est pas consacrée à la colonisation. Très peu d’images mettent donc en scène des militaires français. La majorité de ces photographies montrent la vie de Zinder et du sultanat du Damagaram. On y voit par exemple le mur de huit mètres de haut qui entourait toute la ville avant qu'il ne soit détruit par les Français. L'exposition rassemble aussi de nombreuses photographies de l'activité commerciale et des hauts-dignitaires de la cour. Toute une série est par ailleurs consacrée aux femmes. Mais à la différence des images de femmes autochtones prises à cette époque, celles-ci n'ont pas de caractère sexuel mais témoignent au contraire de la diversité des peuples qui vivent alors dans la région. L'exposition offre finalement un portrait de Zinder autour de 1900 mêlant à la fois ses composantes commerciale, culturelle, politique et architecturale.

Avec ses huit mètres de haut, le mur du Birni entourait toute la ville de Zinder.
Avec ses huit mètres de haut, le mur du Birni entourait toute la ville de Zinder.

Comment cette initiative a-t-elle été perçue par les habitants de la ville?
C.-L. : Le Sultan du Damagaram Aboubakar Oumarou Sanda a accueilli l’exposition dans la cour de son palais et l’a pour la première fois ouvert à tous, ce qui était en soi un événement. Fin janvier 2019, soit deux mois à peine après le début de l'exposition, près de 25 000 personnes l'avaient déjà visité. Toutes les générations et toutes les classes sociales sont venues participer à cet événement dans une grande émotion. Pour de nombreux Zindérois, à l'instar du sultan qui a pu admirer pour la première fois une photo de son grand-père, la découverte de ces images d'un autre temps a été marquée par une grande fierté car elles font prendre conscience à ces citadins de l’importance passée de leur ville. Les enfants se sont passionnés pour les légendes, recopiant ces descriptions de l’époque, dont certaines étaient écrites en Haoussa, qui est la langue la plus utilisée dans la région.
 
Quel a été l'impact de la colonisation sur cette région?
C.-L. :  A cette époque, les deux premiers français qui atteignent Zinder y sont assassinés. Lorsque les troupes coloniales arrivent à leur tour dans la ville, elles ont alors la volonté de l'humilier. En guise de représailles, le grand-oncle de l'actuel sultan de Zinder a ainsi été décapité par les troupes françaises et une répression violente a été mise en oeuvre. Ce sentiment d'humiliation qui reste profondément ancré dans les mémoires a refait surface en 2015, lorsqu'une partie de la population mit le feu au Centre culturel franco-nigérien en marge d'une manifestation contre le journal Charlie Hebdo. Or une initiative comme Zinder 1900 offre justement l'occasion d’imaginer de nouvelles modalités relationnelles entre la France et le Niger. Car selon moi, c'est en commençant par évoquer ouvertement les violences passées, comme le fait cette exposition, que l'on parviendra à apaiser les relations entre nos deux pays.
 

«En tant que chercheuse, j'estimais que nous avions en quelque sorte le devoir de restituer au Zindérois ces images de leurs aïeux auxquelles ils n'avaient jamais eu accès», commente l'historienne Camille Lefebvre à propos de «Zinder 1900».
«En tant que chercheuse, j'estimais que nous avions en quelque sorte le devoir de restituer au Zindérois ces images de leurs aïeux auxquelles ils n'avaient jamais eu accès», commente l'historienne Camille Lefebvre à propos de «Zinder 1900».

De quelle manière vos recherches actuelles entrent-elles en résonance avec cette exposition ?
C.-L. : Je travaille actuellement sur la question de l'occupation coloniale au Niger, ce que les colonisateurs appellent la conquête, au tournant du XIXe et du XXe siècles. Je cherche ainsi à comprendre comment moins d'une centaine de militaires français sont parvenus à prendre le contrôle d'une région vaste comme deux fois la France. En croisant les archives coloniales avec la documentation produite en arabe ou en langue africaine à la même époque par les sociétés autochtones, je m'efforce d’aborder cette question selon une pluralité de points de vue. A Zinder, J'ai par exemple découvert des récits de l’arrivée des troupes militaires françaises rédigés en Kanouri et en Haoussa, les deux principales langues véhiculaires de la région à cette époque. Ces textes qui racontent l'occupation de la ville telle que l'ont vécu les sociétés locales restent très peu connus au Niger. En choisissant d'intégrer certains de ces récits de la colonisation à l'exposition, j'avais à cœur de les faire revenir là où ils avaient été produits.
 
Peut-on imaginer qu'un travail similaire à Zinder 1900 puisse être réalisé dans d'autres régions d'Afrique de l'Ouest ?
C.-L. : A la manière des projets de restitution des œuvres d'art qui agitent le monde des arts depuis plusieurs mois, il me paraît important de réfléchir à des manières de restituer des photographies ou des documents qui offrent une autre version de l'histoire de ces pays. Avec la numérisation de centaines de milliers photographies sur plaques de verre, actuellement en cours au sein des différentes institutions de conservation françaises, un fond documentaire inédit couvrant une large partie de l'Afrique francophone sera bientôt disponible. Une fois ce travail de numérisation achevé, il faudra donc réfléchir avec les nations concernées au meilleur moyen de valoriser ce patrimoine en s'inspirant, pourquoi pas, de l'exposition Zinder 1900. ♦

Notes
  • 1. Chercheuse à l'Institut des mondes africains (IMAF) (CNRS/ Univ. Panthéon-Sorbonne/EHESS/ IRD/ Aix Marseille Université)
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Auteur

Grégory Fléchet

Grégory Fléchet est né à Saint-Étienne en 1979. Après des études de biologie suivies d’un master de journalisme scientifique, il s’intéresse plus particulièrement aux questions d’écologie, d’environnement et de santé.

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