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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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Du neuf dans le ciel de Babylone
05.03.2016, par Cécile Michel
Mis à jour le 06.04.2023

Toute la presse a relayé la découverte de M. Ossendrijver qui, à partir de tablettes cunéiformes de la fin du Ier millénaire av. J.-C., a montré que les savants de la Babylonie hellénistique (323-63 av. J.-C.) avaient développé un algorithme utilisant la méthode des trapèzes pour calculer la distance parcourue par Jupiter sur l’écliptique en fonction de l’évolution de sa vitesse journalière au cours des 60 jours suivant sa réapparition dans le ciel1.

Comment cette découverte s'inscrit-elle dans les développements de l'astrologie, puis de l'astronomie mésopotamienne? Les habitants de cette région ont très tôt observé le ciel afin de fixer le calendrier et, à partir du IIe millénaire, pour établir des présages pour l’avenir. Le calendrier babylonien est composé d’une année solaire et de mois lunaires. Le nouvel an est fêté à Babylone le jour de l’équinoxe de printemps. Le mois débute le soir où le nouveau croissant lunaire réapparaît. Avec 12 mois lunaires de 29 ou 30 jours, l’année comporte 354 jours; il manque donc 11 jours pour compléter l’année solaire de 365 jours. Pour combler ce retard, on intercale de temps à autre un treizième mois. Au début du IIe millénaire, l’ajout d’un mois est décidé par le roi et relève de l’arbitraire. Vers 400 av. J.-C., les savants attachés au service des temples de Babylone et d’Uruk établissent des règles pour ajouter les mois intercalaires selon un schéma mathématique : 7 mois sur un cycle de 19 ans.

L’autre raison pour observer le ciel c’est la divination. Dès le IIe millénaire, les phénomènes célestes sont interprétés comme des messagers à travers lesquels les dieux s’adressent aux hommes ; ils délivrent de bons ou de mauvais augures. Pour les interpréter, les astrologues disposent de recueils, le plus important étant « Lorsque les dieux Anu, Enlil » qui rassemble sur 70 tablettes près de 7 000 présages relatifs au roi ou au pays. La tablette 63 donne la liste des levers et couchers visibles de Vénus sur un cycle de 21 ans enregistrés au milieu du XVIIe siècle av. J.-C. à Babylone. Un autre texte, « La Constellation de la Charrue (Grande Ourse) » (XIVe siècle, sur 2 tablettes), donne la liste de plus de 70 étoiles et constellations réparties selon trois voies parallèles à l’équateur (Anu, Ea et Enlil) et le lever héliaque de certaines, les procédures pour prédire les mouvements du Soleil, de la Lune et des planètes, et la longueur de l’ombre d’un gnomon à différents moments de la journée. Une tablette range à part 18 constellations se trouvant sur l’orbite de la lune, du soleil et des planètes : il s’agit là de la toute première définition de la ceinture zodiacale (le zodiaque de 12 constellations date de 419 av. J.-C.). Les « Douze fois trois », datant de la fin du IIe millénaire, donnent pour chaque mois les trois astres qui se lèvent juste avant le Soleil dans les trois voies du ciel. On y relève une connaissance des phénomènes cycliques principaux, de la variation de la durée du jour et de la nuit au cours de l’année, des mouvements des constellations, de la Lune et des planètes.

L’astrologie se développe de manière importante au Ier millénaire. Les astrologues contribuent à la surveillance de l’Assyrie. Installés dans des stations astronomiques réparties dans tout le royaume, ils envoient des comptes rendus de leurs observations au roi ; une attention particulière est portée aux éclipses (date, début, fin, situation dans le ciel, magnitude). On dresse des tables des éclipses lunaires qui remontent à 747 av. J.-C. Les savants attachés au temple de Marduk à Babylone observent le ciel chaque jour, dressent des journaux astronomiques et établissent des rapports d’observations sur six mois consécutifs. Ces observations relèvent la première visibilité de la Lune, ses jours de visibilité, les levers de la Lune et des planètes, leur parcours dans le ciel, solstices et équinoxes, conditions météorologiques, prix des denrées, niveau des eaux de l’Euphrate…

Dans la deuxième moitié du Ier millénaire, les progrès de l’astronomie affectent profondément l’astrologie. Dès lors que l’on peut calculer à l’avance certains phénomènes célestes, on considère qu’ils peuvent avoir une influence sur les personnes : les premiers horoscopes babyloniens datent de 410 av. J.-C. Les almanachs astronomiques babyloniens apparaissent en 220 av. J.-C. Vers le milieu du IIIe siècle, les astronomes connaissent la périodicité des mouvements des corps célestes permanents. Une centaine de tablettes indiquent les méthodes pour calculer des phénomènes astronomiques périodiques et plus de 300 éphémérides listent les résultats qui leurs sont associés. On y trouve deux systèmes qui utilisent des techniques de calcul arithmétiques. Dans un cas le Soleil se déplace le long de l’écliptique avec une succession de deux vitesses constantes (dites « en escalier »), dans l’autre, sa vitesse croît et décroît de manière constante (« en zigzag »).

Le calcul de la distance parcourue par Jupiter sur l’écliptique en 60 jours s’inscrit donc dans les développements spectaculaires de l’astronomie babylonienne basée sur plusieurs siècles d’observation intensive du ciel. Les découvertes des astronomes babyloniens ont été relayées par les auteurs grecs, et on considère aujourd’hui que l’astronomie qui s’est par la suite développée en Inde, dans le monde arabe et en Europe est l’héritière des découvertes babyloniennes.

[1] Mathieu Ossendrijver, Ancient Babylonian astronomers calculated Jupiter’s position from the area under a time-velocity graph, Science  29 Jan 2016, Vol. 351, Issue 6272, p. 482-484.

À lire : Les astronomes babyloniens, des mathématiciens en avance sur leur temps, Pourlascience.fr, 21 février 2016

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