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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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Les plus vieux traités de paix
13.01.2024, par Cécile Michel
Mis à jour le 16.01.2024
Si les guerres et les conflits remontent aux origines de l’humanité, les plus anciens traités de paix datent du IIIe millénaire avant Jésus-Christ. L'assyriologue Cécile Michel nous propose de découvrir ces textes cunéiformes dans ce nouveau billet du blog Brèves Mésopotamiennes.

L’année 2023 a été marquée par des guerres qui continuent à endeuiller le monde. Conflits et guerres remontent aux origines de l’humanité, et peuvent trouver une conclusion heureuse dans un accord de paix, ratifié éventuellement par écrit. Des textes cunéiformes datés du IIIe millénaire avant J.-C. représentent les plus anciens traités de paix.

Dans le sud de la Mésopotamie, à Uruk, une nouvelle dynastie est mise en place à partir du milieu du IIIe millénaire. Enshakushana, qui serait le descendant d’un roi d’Ur et aurait vaincu le roi de Kish, est le premier à porter le titre de « Roi de Sumer ». Son successeur, Lugal-kinishe-dudu, aurait conclu un traité de fraternité avec Enmetena, qui règne sur le royaume de Lagash vers 2420 av. J.-C. Un clou de fondation découvert en plusieurs exemplaires commémore la construction d’un temple à Bad-Tibira par ce dernier et précise : « à cette époque, Enmetena, roi de Lagash et Lugal-kinishe-dudu, roi d’Uruk ont établi un pacte de fraternité entre eux ».
Clou de fondation, Girsu, 2420 av. J.-C. (musée du Louvre, AO 22934) Clou de fondation, Girsu, 2420 av. J.-C. © 2011 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux (https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010120697)

Le plus ancien traité diplomatique célébrant la paix entre deux États a été conclu entre les rois d’Ebla et d’Abarsal vers 2350 av. J.-C. Découvert à Ebla, à 65 km au sud d’Alep en Syrie, et rédigé en langue éblaïte, il précise le nouveau statut d’Abarsal en tant que vassal d’Ebla consécutivement à sa défaite. Abarsal était une ville de moindre importance, située sur la rive opposée de l’Euphrate, entre le haut Habur et le Balih. Parmi la quarantaine de clauses figurent un ajustement de la frontière entre les deux royaumes, des accords sur les échanges de marchandises, la circulation des voyageurs par voie de terre et par voie fluviale, et leur accueil dans le pays voisin.
Traité entre Ebla et Abarsal, Ebla, 2350 av. J.-C. (ref ARET 13, 5) © Mission archéologique de Tell MardikhTraité entre Ebla et Abarsal, Ebla, 2350 av. J.-C. © Mission archéologique de Tell Mardikh, http://ebda.cnr.it/tablet/view/2854

Un autre traité, rédigé en langue élamite, est celui découvert à Suse (en Iran), passé vers 2250 av. J.-C. entre Naram-Sîn, roi d’Akkad (dans la région de Bagdad), et un souverain d’Awan (Elam).  Il se présente comme un long serment prêté par le roi d’Elam. Il promet d’être loyal et de soutenir militairement le roi d’Akkad contre ses ennemis : « L’ennemi de Naram-Sîn est mon ennemi, l’ami de Naram-Sîn est mon ami ».
Traité entre Naram-Sîn d’Akkad et Khita, roi d’Awan, Suse, 2250 av. J.-C. (musée du Louvre SB 8833)Traité entre Naram-Sîn d’Akkad et Khita, roi d’Awan, Suse, 2250 av. J.-C. © 2008 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi (https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010181586)

Ces accords internationaux, excepté l’allusion à l’accord de fraternité entre le roi d’Uruk et celui de Lagash, ne sont pas paritaires car les clauses ne sont pas réciproques. Ce sont des traités de vassalité dont seule une version nous est parvenue.  Les rois d’Abarsal et d’Akkad devaient également conserver dans les archives de leur palais leur propre version, rédigée dans la langue de leur pays. Les traités de paix, paritaires ou non, sont beaucoup plus nombreux pour le deuxième millénaire. Les plus célèbres des trente-cinq accords recensés commémorent la paix signée entre Zimrî-Lîm de Mari et Hammurabi de Babylone (vers 1770 av. J.-C.) et celle conclue entre Hattushili III, rois des Hittites, avec l’égyptien Ramsès II (1260 av. J.-C.). La version égyptienne de ce dernier traité est aussi gravée dans la pierre en hiéroglyphes à Karnak, ou encore au Ramesseum à Thèbes. Enfin, une dizaine de traités utilisant le syllabaire cunéiforme ont été exhumés dans les ruines des palais assyriens (800-612 av. J.-C.).

À l’image de ces anciens souverains, il est temps que les dirigeants politiques d’aujourd’hui s’assagissent et déclarent la paix. Comme l’écrivait Jean-Paul Sartre dans sa pièce Le diable et le bon dieu (1951) : « Quand les riches se font la guerre, ce sont les pauvres qui meurent. »

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