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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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Quels rôles jouent les femmes dans l’épopée de Gilgamesh ?
29.09.2018, par Cécile Michel
Mis à jour le 29.09.2018

Un fragment de tablette récemment publié apporte un nouvel éclairage sur le rôle de Shamhat, la prostituée qui transforme Enkidou en être civilisé dans l’Épopée de Gilgamesh[1], roi de la ville d’Ourouk, sorte d’Hercule sumérien qui, au gré de ses aventures, croise divers personnages avec lesquels il a des relations conflictuelles ou amicales. C’est l’occasion d’évoquer les rôles tenus par les femmes dans cette épopée, composée par des hommes, pour une audience masculine et centrée sur deux figures héroïques masculines, Gilgamesh et son ami Enkidou.[2]

Ces personnages féminins, pleinement intégrés à la société d’Ourouk, ont des destins variés : deux de ces femmes sont définies par rapport un homme, les deux autres mènent une vie indépendante et exercent un métier consacré au loisir des hommes.
Le nouveau fragment daté de l’époque paléo-babylonienne (début du IIe millénaire av. J.-C.), permet de compléter la version ancienne de l’Épopée connue à présent par 16 tablettes ou fragments[3]. Il provient malheureusement de fouilles illicites, et a été coupé artificiellement dans sa partie inférieure pour faire croire à un objet complet. Aujourd’hui dans la collection de l’Université de Cornell, il devrait être rendu à l’Irak avec les près de 10 000 autres tablettes de cette collection. Ce nouveau texte permet de reconstruire dans le détail la rencontre d’Enkidou avec Shamhat et de mieux comprendre son développement psychologique lors du processus d’humanisation.
Tablette de la collection Cornell publiée par A. George, p. 13.Tablette de la collection Cornell publiée par A. George, p. 13.

Shamhat, la prostituée, exerce un métier rémunéré qui lui permet de subvenir à ses besoins : elle travaille pour le loisir des hommes. Gilgamesh lui confie la tâche de séduire et apprivoiser Enkidou, le sauvage. Elle dévoile ses charmes, fait l’amour avec Enkidou et tente de le convaincre de venir avec elle à Ourouk à la rencontre de Gilgamesh. Mais au bout d’une semaine, celui-ci a conservé son instinct de bête sauvage et tente de retrouver sa vie auprès des animaux, qui le repoussent car il a goûté à l’intimité de l’ennemi.

S’en suit une deuxième semaine de sexe très peu détaillée au cours de laquelle la prostituée change de discours : à Ourouk, Enkidou trouvera un rôle à jouer dans la société humaine et pourra devenir un « homme » participant à l’entretien des dieux dans leurs temples. Shamhat est dépeinte comme une personne avisée, pleine de bons conseils et maternelle, alors que dans la société mésopotamienne, la prostituée constitue une menace pour la stabilité de la famille.

Les autres femmes de l’Épopée ont elles aussi un comportement maternel, à commencer par Ninsoun, la mère divine de Gilgamesh, qui a aussi enfanté les dieux Nergal et Doumouzi. Mère aimante, elle interprète les rêves de son fils et le rassure. En même temps, elle blâme le dieu soleil Shamash d’avoir fait de son fils un aventurier et le recommande au dieu afin qu’il l’assiste dans son combat contre le géant de la forêt des cèdres.

Le caractère le plus intéressant est sans doute celui de Sidouri, la cabaretière qui, comme la prostituée, exerce un métier dont elle vit. Alors que Gilgamesh est parti à la rencontre du survivant du Déluge, il s’arrête chez Sidouri, installée aux confins du monde connu. Celle-ci lui tient discours philosophique plein de sagesse. Elle tente de le dissuader de poursuivre sa quête pour l’immortalité, et lui conseille de jouir des bonheurs de la vie quotidienne : bien manger, être habillé de propre, avoir femme et enfants, vantant ainsi les normes de la société mésopotamienne.

L’épouse d’Outanapishti, le survivant du Déluge, n’est pas nommée dans l’Épopée, et elle joue un rôle passif dans le récit du Déluge que fait son mari à Gilgamesh. En revanche, elle tente d’intervenir en faveur de Gilgamesh auprès de son mari et lui rappelle les règles de l’hospitalité ; celui-ci dévoile alors à Gilgamesh l’existence de la plante de jouvence. Ce rôle d’intercession que tient la femme d’Outanapishti rappelle celui tenu par les mères et les épouses dans les textes littéraires mésopotamiens.

L’Épopée de Gilgamesh offre une description de la société sumérienne par genre. Les femmes y occupent pour moitié les places qui leur reviennent au sein de la famille et pour moitié exercent des métiers qui leur octroient revenus et indépendance. Les personnalités féminines reflètent les souhaits et les peurs des hommes mais aussi la diversité et l’ambiguïté caractéristiques de la vie des femmes.

[1] J. Bottéro, L’Épopée de Gilgameš : Le grand homme qui ne voulait pas mourir, Paris, 1992.
[2] C. Michel, « Le petit monde de Sumer (Dossier L’Épopée de Gilgamesh) », L’Histoire n°356, septembre 2010, p. 58- 61.
[3] A. R. George, « Enkidu and the Harlot : Another Fragment of Old Babylonian Gilgameš », Zeitschrift für Assyriologie, 108, 2018, p. 10-21.

 

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