Donner du sens à la science

L'ABC de la biologie de synthèse

Point de vue

L'ABC de la biologie de synthèse

17.06.2015, par
La biologie de synthèse passionne et intrigue, tant pour les avancées qu’elle atteste dans la connaissance du vivant que pour les applications industrielles qu'elle promet. Le biologiste François Képès nous présente cette discipline en plein essor.

Objet de curiosité – et de controverse – médiatique depuis le milieu des années 2000, la biologie de synthèse est un domaine émergent dont l’ambition est d’élaborer de nouveaux systèmes inspirés des circuits métaboliques naturels. Elle combine ainsi la biologie avec les principes de l’ingénierie, cela afin de concevoir rationnellement et de construire, à l'instar de l'électronique, des circuits biochimiques à partir de composants standardisés et interchangeables.

Du génie biologique à la biologie de synthèse

L’exploitation des processus du vivant, ce qu’on appelle le génie biologique, n’est pas une discipline nouvelle ; on peut même la faire remonter à la Genèse puisque Noé est censé avoir exploité la fermentation du jus de raisin au lendemain du Déluge. La biologie de synthèse est parfois vue comme un simple prolongement de l’ingénierie biotechnologique. À ceci près qu’elle ne se réduit pas à une collection de solutions industrielles, mais propose un ample socle de concepts et de méthodes propres à la recherche en biologie, en mathématiques et en informatique.

biologie de synthèse
Schéma montrant quels analogues électroniques correspondent aux composants biologiques employés dans les circuit de biologie synthétique.
biologie de synthèse
Schéma montrant quels analogues électroniques correspondent aux composants biologiques employés dans les circuit de biologie synthétique.
 

Les applications
de la biologie
de synthèse
concernent aussi
bien la santé que
l’environnement,
l’énergie ou
les matériaux.

La biologie de synthèse doit permettre de développer des applications industrielles dont le potentiel économique est considérable puisqu’elles concernent aussi bien la santé que l’environnement, l’énergie ou les matériaux ; on citera en exemple la production d’isoprène qui ne passe ni par l’arbre à caoutchouc ni par la synthèse à base de pétrole. Elle constitue aussi un excellent moyen de faire progresser les connaissances sur le monde vivant. En effet, modéliser et construire un système biologique qui fonctionne comme prévu est une bonne manière de s’assurer que l’on a compris comment s’articulent les phénomènes biologiques sous-jacents.

Un projet de biologie de synthèse débute par la définition d’un cahier des charges spécifiant un but donné et précisant les circuits biochimiques qui vont être exploités pour permettre de le réaliser. On parle de circuit par analogie avec l’électronique, sauf qu’en lieu et place des composants de silicium, ces circuits connectent entre elles des molécules organiques, notamment des protéines et de l’ADN. De tels circuits peuvent être de type métabolique : ils permettent alors d’effectuer une chaîne de réactions biochimiques transformant un composé naturel en un produit valorisable (médicament, carburant ou autre). Ils peuvent aussi être de type régulatoire : ils permettent dans ce cas de déclencher telle ou telle production au moment opportun, de la réguler et d’améliorer son efficacité. Ces circuits biochimiques peuvent ensuite être combinés et intégrés au sein de tissus ou de cellules vivantes.

Un exemple d’application : l’horloge biomoléculaire

Prenons pour exemple l’élaboration d’un dispositif biologique implantable de chrono-chimiothérapie destiné aux patients atteints de cancer. Un tel dispositif consiste à délivrer plusieurs fois par jour, selon un cycle temporel précis, des doses de deux médicaments différents. Le principal défi est ici l’intégration d’une horloge biomoléculaire. L’analogue électronique de cette horloge serait un circuit oscillant basé sur des transistors et des diodes. Afin de pouvoir fonctionner et interagir avec les tissus biologiques où elle sera implantée, notre horloge sera réalisée par un circuit biochimique comprenant quelques protéines en interaction.

Une fois le cahier des charges défini, le développement du projet comporte généralement quatre phases successives : conception, test virtuel, construction et caractérisation.
     1. Phase de conception : le nouveau composant, dispositif ou système biologique est élaboré par modélisation mathématique. Le recours à cette méthodologie, la complexité des objets conçus et la liberté créative vis-à-vis de la nature sont les éléments qui distinguent la biologie de synthèse du génie génétique. Dans notre exemple, il s’agirait de développer un modèle mathématique d’horloge.
     2. Phase de test des propriétés de l’objet modélisé (virtuel) : cette phase permet d’explorer par avance le comportement de l’objet qui sera construit. Pour notre horloge, il faudrait faire « tourner » son modèle dans l’ordinateur par simulation numérique en ajustant ses paramètres pour approcher sa période de la valeur ciblée.
     3. Phase de construction de l’objet : selon les cas, il sera fait appel au génie génétique, à la chimie de synthèse, aux micro- ou nano-technologies, ou encore à une combinaison de ces approches. Pour notre exemple, il s’agirait de réaliser par génie génétique le circuit biochimique oscillant en respectant les paramètres obtenus en phase précédente.
     4. Phase de caractérisation de l’objet en condition réelle. Pour l’horloge, il faudrait vérifier la présence d’oscillations et mesurer leur période effective en comparaison de la valeur ciblée. 

Si les propriétés de l’objet construit ne donnent pas entière satisfaction, il est nécessaire de revenir en phase de conception et de reprendre tout le cycle de développement. Le nombre de cycles nécessaires est appelé à diminuer à mesure que les modèles s’affineront en accumulant de l’expérience. Cependant, aujourd’hui, le cas le plus fréquent est celui où plusieurs cycles demeurent nécessaires pour aboutir à un résultat respectant le cahier des charges initial.
 

Biologie de synthèse ou fabrication du vivant ? (Fondamentales 2014)

À propos
Fermer
L'insertion d’un chromosome artificiel dans le génome d’une levure l’a confirmé : jamais l’homme n’avait atteint une telle capacité d’agir sur le vivant. Et ce n’est qu’un début. Biologistes, chimistes, anthropologues... réfléchissent tous à ces questions vertigineuses. Domaine en pleine ascension, la biologie de synthèse passionne les scientifiques pour les avancées qu’elle propose, tant sur la connaissance du vivant que pour ses nombreuses applications industrielles dans les domaines de la santé, de l'énergie, des matériaux, de l'environnement et de l'agriculture. Autant d’avancées importantes qui soulèvent un grand nombre de questionnements jusqu’à la définition même du vivant. Des spécialistes en discutent dans ce débat des Fondamentales 2014, organisées par le CNRS à Grenoble.
2015 1h30 François Képès, Directeur de recherche au CNRS, co-fondateur et directeur du Programme d'épigénomique (Genopole)

Stéphane Ménage, Directeur de recherches à l’Institut de recherches en technologies et sciences pour le vivant, iRTSV.

Perig Pitrou, Chargé de recherche au laboratoire d’anthropologie sociale

Gilles Truan, Chercheur au Laboratoire d'Ingénierie des Systèmes Biologiques et des Procédés au sein de l’équipe « Ingénierie Moléculaire et Métabolique »

Des dispositifs optimisables et recyclables

La biologie de synthèse se distingue ainsi par l’usage systématique de méthodes de simulation numérique, la complexité des objets conçus et la créativité qu’elle permet. Elle se différencie aussi des biotechnologies par le découplage qu’elle introduit entre conception (phases 1 et 2) et fabrication (phases 3 et 4). En effet, sans ce découplage, on doit s’en remettre à des processus de production ad hoc ; ces derniers ne sont donc presque jamais réutilisables pour accélérer le cycle de développement de nouveaux objets ou dispositifs. En première approximation, on peut affirmer que, dans la biotechnologie traditionnelle, c’est principalement le savoir-faire d’une personne ou d’une équipe qui peut être recyclé. Tandis que la biologie de synthèse s’attache à concevoir et à optimiser des solutions génériques aux problèmes biotechnologiques. Elle bâtit un socle de concepts et de techniques d’ingénierie qui peuvent être réutilisés.

Mycoplasme synthétique
Bactérie synthétique (mycoplasme) créée par les scientifiques au J. Craig Venter Institute, aux États-Unis.
Mycoplasme synthétique
Bactérie synthétique (mycoplasme) créée par les scientifiques au J. Craig Venter Institute, aux États-Unis.

L’autre différence réside dans la démarche de normalisation des composants et l’établissement de méthodes systématiques permettant leur assemblage. Il convient de noter que cette normalisation a aussi pour conséquence de rendre encore plus efficace le développement de nouveaux dispositifs biologiques en l’appuyant sur un corpus croissant de composants assurant des fonctions biologiques spécialisées.

Elle se différencie des biotechnologies
par le découplage
qu’elle introduit
entre conception
et fabrication.

Bien entendu, on a par le passé pu concevoir des circuits biochimiques de taille assez importante sans recourir aux méthodes de modélisation et simulation. Mais ces rares cas ont illustré à merveille la lourdeur d’une approche par essai et erreur, dont les coûts sont très importants en temps comme en argent. Au plan appliqué, c’est précisément le but de la biologie de synthèse que de réduire significativement l’effort nécessaire à un projet moyen ou gros par la normalisation et le découplage entre conception et fabrication.

Tous ces éléments de nouveauté dans le champ de la biologie et de la biotechnologie fondent et justifient la forte transdisciplinarité de la biologie de synthèse, qui s’appuie ainsi sur la biologie, la physique, la chimie, les mathématiques, l’informatique, l’automatique et les sciences de l’ingénieur.

 

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS. 

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS