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Maimosine met le monde en modèles

Maimosine met le monde en modèles

26.05.2015, par
De l’exercice physique à la surchauffe des microprocesseurs, les mathématiciens de Maimosine, centre de modélisation et de simulation numérique, aident les chercheurs et industriels du bassin grenoblois à mieux comprendre certains phénomènes complexes.

Le point commun entre un coureur en plein effort, une pièce qui vibre dans un moteur, de la glace de mer en train de se fragmenter ou des microprocesseurs qui surchauffent ? Ce sont tous des sujets d’étude pour les mathématiciens de la Maison de la modélisation et de la simulation, nanosciences et environnement (Maimosine). Créée à Grenoble en 2010 et juchée sur les hauteurs d’une tour dominant le campus universitaire, elle constitue un refuge pour les chercheurs et entreprises de la région lorsqu’un phénomène complexe leur échappe. Ici, les mathématiques appliquées leur sont alors d’une aide précieuse pour le simuler et le comprendre finement, puis dans certains cas mieux le contrôler ou l’optimiser.

« Modéliser, c’est mettre en équations un phénomène, le simplifier. Par ordinateur, on tente ensuite d’approximer les solutions de ces équations pour mieux comprendre le phénomène : c’est la simulation numérique », explique Stéphane Labbé, professeur à l’université Joseph-Fourier et directeur de Maimosine. Pour un phénomène simple comme la trajectoire d’une balle de tennis, le modèle utilisé pourra facilement être résolu à la main. Les cas plus complexes, le déferlement d’une vague, par exemple, feront forcément appel à de la simulation numérique. « Au sein de Maimosine, nous sommes associés au mésocentre de calcul Ciment qui nous permet de disposer de la puissance de calcul nécessaire à l’étude de systèmes complexes », ajoute Stéphane Labbé. Des moyens techniques qui, associés à un réseau d’experts de différentes disciplines, sont par exemple sollicités par des industriels désireux de rendre leurs produits plus compétitifs. Zoom sur quatre projets menés par Maimosine.

Optimiser l’effort physique

« Véronique Billat, chercheuse au Genopole d’Évry et fondatrice de la SAS Billatraining, nous a sollicités sur des thématiques liées à la vitesse et à la force en course à pied, indique Stéphane Labbé. Mais cette collaboration porte aussi sur les pratiques sportives dans leur ensemble et l’optimisation des performances. » La modélisation est ici utilisée afin de mieux comprendre l’effort physique. À terme, l’ambition est de créer des guides de vitesse automatique : des logiciels qui permettront à chacun de mieux gérer son effort selon ses propres aptitudes physiques.

Instrumentation et tests effectués par la SAS Billatraining pour évaluer les capacités physiques des coureurs et utiliser ces données en vue d’un optimisation de leurs performances.
Instrumentation et tests effectués par la SAS Billatraining pour évaluer les capacités physiques des coureurs et utiliser ces données en vue d’un optimisation de leurs performances.

Pour tester la robustesse de ses modèles d’effort physique, Maimosine a notamment organisé une campagne de mesures en haute altitude. Trois alpinistes, partis pour une expédition de 32 jours dans le bassin glaciaire du Damodar Himal, au Népal, ont été équipés d’oxymètres mesurant le taux d’oxygénation du sang et de montres permettant d’enregistrer le pouls, le temps de foulée, le nombre de pas et la vitesse ascensionnelle. L’idée : obtenir un grand nombre de données sur l’effort dans des conditions très particulières. L’environnement de haute altitude est en effet générateur de facteurs limitants pour l’organisme, comme une plus faible capacité respiratoire. Les données récupérées lors de l’expédition sont en cours d’analyse et font par ailleurs l’objet d’une thèse.

Un des camps de l'expédition Damodar au Népal.
Un des camps de l'expédition Damodar au Népal.

Localiser un phénomène de vibration

Comment détecter la source d’une vibration au sein d’un objet fermé ? C’est la question qui intéresse MicrodB, une entreprise lyonnaise. « Cette problématique recouvre de nombreux objets », déclare Christophe Picard, maître de conférences à l’Institut polytechnique de Grenoble et directeur adjoint du Pôle logiciel et calcul intensif de Maimosine. S’il y a, par exemple, une pièce qui vibre dans un moteur, on veut éviter de devoir le démonter entièrement pour localiser cette pièce, car cela peut coûter cher ! »

Pour créer ce dispositif de détection, un ensemble de capteurs sera utilisé. Disposés autour de l’objet à analyser, ces capteurs vont enregistrer les ondes sonores de très basses et de très hautes fréquences émises lors de la vibration. Des ondes parfois indétectables par l’oreille humaine. Les données récupérées vont ensuite être traitées, c’est à ce stade qu’interviennent la modélisation et la simulation. Le résultat final, la localisation précise de la source de vibration, sera représenté dans un environnement en 3D et potentiellement en réalité augmentée. De la récupération des données issues des capteurs par communication sans fil à la création d’une interface utilisateur la plus accessible possible, ce projet fait appel à des expertises variées. « En tout, ce sont pas moins de cinq entreprises et quatre laboratoires qui sont impliqués dans ce projet », précise Christophe Picard.

Comprendre la dynamique de la banquise

En collaboration avec le groupe Total, Maimosine étudie la dynamique de la banquise au moment de la débâcle, lorsqu’elle se fragmente, au niveau la zone « marginale » de glace. Une zone où les blocs de glace peuvent atteindre de quelques mètres à quelques centaines de mètres de long. « Nous nous concentrons sur la glace de mer, une glace saisonnière d’un à deux mètres d’épaisseur, précise Stéphane Labbé. Pour développer un modèle de glace de mer, il a été nécessaire de prendre en compte des contacts complexes entre objets solides, des interactions multiples avec le vent, l’océan… » D’ores et déjà mis en équation, le modèle développé par Maimosine est prêt à passer à l’étape de la simulation numérique : un code de calcul est en train d’être implémenté sur plateforme de calcul haute performance Froggy.

Les scientifiques étudient la dynamique de la banquise lors de la débâcle.
Les scientifiques étudient la dynamique de la banquise lors de la débâcle.

Le but ? Mieux évaluer et prévoir « l’état » de la mer, c’est-à-dire la concentration des glaces de mer et leur degré de fragmentation à des échelles fines inaccessibles par des modélisations plus classiques. Mais Stéphane Labbé rappelle qu’il y a aussi des applications fortes en termes opérationnels : « Si vous envoyez un bateau traverser une zone de glace, savoir comment cette glace va réagir autour du bateau va, par exemple, permettre de dépenser le moins d’énergie possible pour tracer une route. »

Contrôler la température d’un circuit intégré

Lorsqu’il fabrique un circuit intégré, un ingénieur va vouloir évaluer si ce circuit restera dans une certaine gamme de températures lors de son utilisation ou au contraire s’il risque de surchauffer. « Le problème, c’est que, pour un milieu aussi complexe qu’un circuit intégré, il faudrait faire un vrai calcul de thermique. Et cela prendrait un temps considérable ! », explique Emmanuel Maitre, professeur à l’Institut polytechnique de Grenoble et directeur adjoint de l’Hôtel à projets de Maimosine.

Pour qui veut
comprendre
un phénomène
complexe,
la modélisation
et la simulation
sont des outils
indispensables.

Docea Power, une entreprise de l’agglomération grenobloise qui conçoit des logiciels de simulation thermique des microprocesseurs, a donc fait appel à Maimosine : « Ils sont venus vers nous parce qu’ils se sont rendu compte que leur modèle simplifié donnait parfois des températures négatives. Si jamais un utilisateur mesure – 10 °C, il risque vraiment de douter de l’efficacité du logiciel… », raconte Emmanuel Maitre. Pour garantir un modèle n’affichant pas de données aberrantes, deux mathématiciens sont entrés en jeu. En comparant différents modèles réduits, ils ont réussi à déterminer une « distance » entre le modèle complexe et le modèle simplifié au sein de laquelle les situations non désirées ne se produisent plus.

Chaque année, les scientifiques de Maimosine travaillent sur dix sujets comme ceux-ci. Et apportent la preuve, jour après jour, que les mathématiques appliquées viennent soutenir l’innovation scientifique et technologique. Comme le rappelle Stéphane Labbé : « Pour qui veut comprendre un phénomène complexe ou améliorer un produit, la modélisation et la simulation sont des outils indispensables à l’heure actuelle ! »

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