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Visualiser les relations génétiques entre les populations anciennes

Visualiser les relations génétiques entre les populations anciennes

28.10.2020, par
L’information contenue dans les échantillons d’ADN ancien est à présent mieux interprétée grâce à de nouveaux outils mathématiques. Des bio-informaticiens ont développé un modèle dont l’application permet de visualiser les migrations et les flux géniques des populations de la Préhistoire européenne.

Les sites archéologiques et les collections de musées sont inestimables d’un point de vue culturel, mais aussi pour la biologie. Ils peuvent en effet renfermer des échantillons d’ADN humains ancestraux, éléments précieux pour retracer l’histoire de l’espèce humaine et les mouvements des populations préhistoriques. L’archéologie et l’anthropologie sondent depuis longtemps les traces de cette humanité passée et ont fourni de nombreuses connaissances sur son évolution et son lien avec les populations actuelles. 

Les études mathématiques des populations sont à présent indispensables pour compléter les études biologiques, en particulier pour essayer de représenter les liens entre les génomes.

Aujourd’hui, la paléo-génomique et la bio-informatique prennent le relai dans l’analyse des génomes anciens. « Les études mathématiques des populations sont à présent indispensables pour compléter les études biologiques, en particulier pour essayer de représenter les liens entre les génomes », explique Olivier François, chercheur au laboratoire TIMC-Imag1. Ses travaux, en collaboration avec Flora Jay, chercheuse CNRS au laboratoire de recherche en informatique2, ont récemment fait l’objet d’un article dans Nature communications3 (en anglais).

Savoir projeter des génomes sur une carte

Pour déterminer les origines des populations et leurs évolutions, les scientifiques ont pris l’habitude d’établir des cartes en deux dimensions à partir des échantillons d’ADN ancien à leur disposition. Mais le procédé souffre d’un biais important lié d’une part au caractère aléatoire de l’évolution de la fréquence des gènes au cours du temps (un phénomène connu sous le nom de dérive génétique) et d’autre part à la taille des populations étudiées. Des outils mathématiques s’attèlent déjà à corriger ce problème. Mais ils ont eu aussi leur talon d’Achille : « Par exemple, l’analyse en composante principale, le modèle mathématique majoritairement utilisé pour établir ce genre de cartes, repose sur l’utilisation de populations de référence. Cependant les génomes de référence correspondent à ceux qui sont disponibles, comme les génomes actuels, et ne sont donc pas toujours représentatifs pour étudier les populations anciennes. Leur utilisation influence alors les estimations et déforme les projections », détaille Olivier François.

Carte représentant les génomes de 704 anciens individus d’Eurasie ayant vécu entre le Néolithique (N), le Néolithique moyen (NC), l’âge du cuivre (C) et le début de l’âge du bronze (EBA).
Carte représentant les génomes de 704 anciens individus d’Eurasie ayant vécu entre le Néolithique (N), le Néolithique moyen (NC), l’âge du cuivre (C) et le début de l’âge du bronze (EBA).

L’enjeu de ses derniers travaux consistait donc à créer un modèle mathématique qui s’affranchisse de ce besoin de référence. « L’objectif est de représenter le mieux possible les individus et leurs relations ancestrales à la fois dans l’espace, mais aussi dans le temps, précise le chercheur. Nous avons modifié la méthode utilisée pour corriger les distorsions qui étaient liées à l’échantillonnage. Cela permet d’améliorer la quantification de la structure des populations et des taux de métissage. »

Une visualisation des populations européennes qui s’approche du réel

Les scientifiques ont pu appliquer leur nouvelle méthode aux données mises à disposition par le laboratoire de David Reich, de l’université Harvard. Celles-ci comprennent les génomes de milliers d’individus eurasiatiques ayant vécu entre le Néolithique et le Moyen Âge, éléments cruciaux pour comprendre l’évolution des populations européennes préhistoriques. Les résultats obtenus confirment des hypothèses déjà existantes, ce qui corrobore la justesse du modèle mathématique.

L’objectif est de représenter le mieux possible les individus et leurs relations ancestrales à la fois dans l’espace, mais aussi dans le temps.

Selon l’étude, l’histoire des peuples européens de cette période implique la contribution de trois grands groupes distincts identifiés depuis longtemps par les anthropologues et les archéologues. « Nous avons obtenu une carte avec trois points extrêmes qui correspondent chacun aux populations ancestrales européennes, décrit Olivier François. D’un côté nous avons des groupes de chasseurs-cueilleurs de Serbie, qui vivaient il y a 10 000 ans en Europe de l’Ouest. D’autre part, nous avons les populations de culture Yamnaya, provenant de la steppe pontique, et enfin les premiers fermiers d’Anatolie. » Les ancêtres des Européens modernes venaient donc de l’est du continent et même de la partie occidentale de l’Asie.

La carte générée grâce aux nouveaux outils mathématiques confirme aussi les déplacements des populations ancestrale de culture Yanmaya. « Les données montrent une migration massive depuis les steppes pontiques, connue pour avoir eu lieu il y a 4 500 ans », précise le chercheur. L’étude souligne également que certaines populations européennes plus récentes ont conservé une part importante du patrimoine génétique de la culture Yamnaya, notamment en Scandinavie et dans les Îles Britanniques.

Une représentation plus précise des évolutions

Les résultats retranscrivent les origines et les métissages de ces populations avec une grande exactitude et révèlent même des détails précédemment obscurcis par la dérive génétique. En effet, la nouvelle méthode mathématique permet de mieux estimer et de représenter les influences des trois populations ancestrales sur les peuples plus récents. « Nous observons sur cette carte que des génomes se situent entre les populations précédentes, ce qui signifie qu’il y a eu plusieurs phénomènes de métissage », explique Olivier François. Ces phénomènes impactent des peuples ayant existé depuis le Néolithique jusqu’à aujourd’hui, allant des Vikings aux Arméniens en passant par les Slaves.

Carte représentant 22 populations européennes anciennes d’une période allant du Néolithique jusqu’à l’Antiquité. Les extrémités du triangle correspondent aux génomes des peuples ancestraux.
Carte représentant 22 populations européennes anciennes d’une période allant du Néolithique jusqu’à l’Antiquité. Les extrémités du triangle correspondent aux génomes des peuples ancestraux.

D’autre part, le chercheur remarque que ses projections sont effectivement moins déformées que celles obtenues avec les modèles précédents, grâce à la répartition des génomes sur la carte : « Il n’y a pas du tout de données spatiales dans les projections génétiques, mais si nous regardons attentivement, nous voyons que la position des populations dans l’espace est conservée sur nos cartes. » La projection des génomes ne correspond pas exactement à la carte de l’Europe, mais elle conserve effectivement une certaine logique spatiale. La Suède se situe au-dessus de l’Ukraine, l’Iran à l’est de la Hongrie et l’Allemagne au sud de la Grande-Bretagne. Les liens génétiques entre les populations permettent à eux seuls d’orienter les pays.

Des possibilités d’études pour tous les ADN

Les travaux de recherche retranscrivent l’histoire des populations européennes, mais leurs applications sont bien plus larges. 

Les outils que nous avons développés ne s’appliquent pas seulement à l’ADN humain, mais à tous les ADN possibles (...) Cela pourrait permettre d’étudier les processus de domestication de certains animaux, comme les moutons ou les chevaux.

« Les outils mathématiques que nous avons développés ne s’appliquent pas seulement à l’ADN humain, mais à tous les ADN possibles, souligne Olivier François. La méthode peut être utilisée dès que nous avons de l’ADN ancien ou un échantillonnage temporel de l’ADN. Cela pourrait permettre d’étudier les processus de domestication de certains animaux, comme les moutons ou les chevaux, qui ont accompagné l’invention et le développement de l’agriculture. » Interrogé sur les applications de son modèle, le chercheur remarque également que les outils mathématiques sont applicables aux virus, sujet qui alimente actuellement grandement la littérature scientifique : « Nous pouvons parler d’ADN ancien pour les virus au bout de seulement quelques mois, ce qui représente une échelle de temps très différente de celle de l’humanité. »

Les objets d’étude sont donc multiples et les perspectives nombreuses. Mais de son côté, Olivier François souhaite continuer à étudier les origines de l’humanité : « Mon domaine de recherche essaie avant tout de répondre à des questions fondamentales. Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? » Les génomes anciens sont encore bien loin d’avoir révélé tous leurs secrets. ♦

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Notes
  • 1. Techniques de l’ingénierie médicale et de la complexité - Informatique, Mathématiques, Applications, Grenoble (CNRS/Université Grenoble-Alpes).
  • 2. Unité CNRS/Université Paris-Saclay.
  • 3. François, Olivier et Jay, Flora, « Factor Analysis of Ancient Population Genomic Samples », Nature Communications, vol. 11, article 4661, septembre 2020. doi: 10.1038/s41467-020-18335-6
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Auteur

Clara Barrau

Rédactrice scientifique.

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