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« Ce que je dois à la cristallographie »

« Ce que je dois à la cristallographie »

06.02.2014, par
Le pharmacochimiste Patrick Couvreur
Trois scientifiques, Patrick Couvreur, Gérard Férey et Philippe Walter, nous racontent comment la cristallographie, bien qu’elle ne soit pas au cœur de leurs recherches, s’est avérée d’une aide précieuse dans leurs travaux.

« Progresser plus vite dans la mise au point de nano-médicaments »

Patrick Couvreur est professeur à l’université Paris-Sud et responsable de l’équipe Nouvelles stratégies de ciblage appliquées au cancer au sein de l’Institut Galien1, à Châtenay-Malabry. Il a reçu en 2012 la médaille de l’innovation du CNRS.

« Nous élaborons des nano-médicaments. Ce sont des particules d’une centaine de nanomètres qui piègent le principe actif pour le conduire jusqu’à sa cible, par exemple les cellules d’une tumeur résistante du foie. C’est pour cette indication qu’un de nos nanomédicaments vient d’entrer en essai clinique de phase III. Cette encapsulation de la molécule active permet de prolonger sa durée de vie dans l’organisme, en évitant qu’elle ne soit éliminée trop rapidement, notamment par les macrophages du système immunitaire. De plus, le nano-vecteur peut jouer le rôle d’une clé biochimique capable d’ouvrir les portes de la cellule pour y faire pénétrer la molécule active. Nous avons observé que ces deux fonctions, et donc l’efficacité thérapeutique, sont intimement liées à la structure supramoléculaire du nano-vecteur. C’est pour cela que nous avons souvent recours à la cristallographie. Grâce à la cryo-microscopie électroniqueFermerTechnique de microscopie dans laquelle l’échantillon est refroidi à des températures cryogéniques (celles de l’azote liquide). et à la diffraction des rayons X, nous avons pu mettre en évidence une relation entre la structure ou la géométrie de nos particules et leur efficacité pharmacologique. Cela nous permet de progresser plus vite dans nos recherches en déterminant si telle ou telle forme mérite ou pas d’être étudiée de manière plus approfondie au niveau de la cellule ou de l’animal. »

 

« La cristallographie montre que la nature privilégie souvent le beau »

Gérard Férey, chimiste spécialiste des matériaux poreux, est académicien et professeur émérite à l’université de Versailles. Il a reçu en 2010 la médaille d’or du CNRS.

Le chimiste Gérard Férey
Le chimiste Gérard Férey
Le chimiste Gérard Férey
Le chimiste Gérard Férey

« Déterminer une structure est un combat permanent entre la matière et notre intelligence, aidée en cela à la fois par les expériences de diffractionFermerPhénomène qui se produit lorsque les rayons lumineux effectuent une déviation en rencontrant un obstacle. La diffraction permet d’étudier la structure des matériaux à l’échelle nanométrique et sub-nanométrique. des rayons X, des neutrons ou des électrons. Si les rayons X et les neutrons ne donnent qu’une structure moyenne, seule la diffraction des électrons permet d’accéder aux défauts structuraux dans les solides, défauts qui sont souvent à l’origine des propriétés physico-chimiques d’un matériau. À cause de développements technologiques performants, la cristallographie est souvent – et à tort ! – considérée aujourd’hui comme une technique presse-bouton, alors qu’elle reste une science, la seule capable d’expliquer les origines structurales de ces propriétés. De ce point de vue, elle est absolument indispensable aux progrès de la chimie, de la physique et de la biologie. J’en ai fait un outil privilégié pour mes études sur les matériaux poreux qui piègent le dioxyde de carbone ou des médicaments dans des endroits précis de la structure. Même si, mathématiquement, on peut trouver plusieurs solutions possibles au calcul de la structure, il est troublant de constater que c’est l’arrangement le plus esthétique qui correspond à la solution physique, parce que la nature semble souvent privilégier le beau. »

 

« Un outil indispensable pour l’histoire des arts »

Philippe Walter dirige le Laboratoire d’archéologie moléculaire et structurale2, à Ivry-sur-Seine. Il a reçu en 2008 la médaille d’argent du CNRS.

Le chimiste Philippe Walter
Le chimiste Philippe Walter
Le chimiste Philippe Walter
Le chimiste Philippe Walter

« Au I er siècle, Pline l’Ancien disait que tous les blancs de plomb, la céruse, ne se valaient pas et que le meilleur provenait de l’île de Rhodes. Léonard de Vinci avait conscience de cette diversité, puisqu’il utilisait différentes céruses sur un même tableau en fonction de l’effet recherché, pour un ciel ou un visage par exemple. Pour le maquillage, les Égyptiens broyaient la galène, un sulfure de plomb, en fonction du rendu de noir désiré : de gros cristaux donnent des reflets métalliques quand les petits sont mats. C’est la structure cristalline de ces pigments et leur forme à l’échelle du micromètre qui sont à l’origine de leurs couleurs, conditionnant la manière dont ils absorbent ou réfléchissent la lumière. La cristallographie est donc indispensable aux recherches historiques sur les techniques et matériaux utilisés par les artisans et les artistes. Au laboratoire, nous fabriquons depuis sept ans des diffractomètres X portables, et c’est une vraie révolution : nous pouvons étudier les tableaux dans les musées ou des manuscrits dans une bibliothèque, sans les déplacer et sans faire de prélèvements ! La cristallographie nous permet aussi d’étudier le vieillissement des matériaux pour remonter à leur couleur d’origine ou pour apprendre à mieux les préserver : les fresques noircies de Pompéi étaient d’un beau rouge, et les tournesols de Van Gogh d’un jaune beaucoup plus vif ! »

Notes
  • 1. Unité CNRS/Univ. Paris-Sud.
  • 2. Unité CNRS/UPMC.
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Auteur

Denis Delbecq

Denis Delbecq, né en 1963, est journaliste indépendant. Ancien chercheur et enseignant, il a été rédacteur en chef adjoint à Libération. Il collabore, entre autres, à La Recherche, Tout comprendre, Science et Vie, Le Monde et Le Temps (Suisse). Il est également créateur de logiciels et photographe.

À lire / À voir

L’Art-Chimie. Enquête dans le laboratoire des artistes, Philippe Walter et François Cardinali, Fondation Maison de la chimie/Michel de Maule, 2013

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du journal CNRS