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La cristallographie, impossible de s’en passer!

La cristallographie, impossible de s’en passer!

06.02.2014, par
2014 a été proclamée Année internationale de la cristallographie. Mais en quoi consiste cette science, considérée comme « l’instrument le plus puissant pour l’étude de la structure de la matière » ? Une chose est sûre, la cristallographie, qui a déjà conduit à des applications dans de nombreux domaines, est encore loin d’avoir révélé tout son potentiel.

La matière offre mille et un visages. Dont un très prisé dans le monde entier : celui du cristal. Dans ce dernier, les atomes ou molécules s’organisent selon un motif élémentaire qui se répète à intervalle régulier, périodiquement comme disent les scientifiques, ce qui les dote de propriétés bien particulières. « Médicaments, alliages pour l’aéronautique, composants électroniques, matériaux géophysiques… Les cristaux sont partout », assure Sébastien Pillet, du laboratoire Cristallographie, résonance magnétique et modélisations1, à Nancy, et chargé de mission à l’Institut de physique du CNRS.

La science qui leur est consacrée, la cristallographie, permet donc d’élaborer de nouveaux matériaux à la structure et aux propriétés toujours plus complexes. Mais elle est surtout sans égal pour explorer la matière ! En effet, lorsqu'elle se présente dans un état ordonné comme celui du cristal, la matière se laisse scruter grâce à un formidable outil : la diffraction. Il va sans dire que ce talent intéresse des scientifiques d'horizons bien différents, et que cette science connaît aujourd'hui des applications dans de nombreuses disicplines allant de la biologie à la chimie.

Une discipline en plein essor depuis cent ans

L’essor de la cristallographique remonte à 1912, lorsque le physicien Max von Laue comprend que l’on peut déterminer la distance entre les atomes d’un cristal, et donc sa structure, en le bombardant de rayons X. De fait, lorsqu’un cristal est irradié par un faisceau, celui-ci « rebondit » sur les atomes dans toutes les directions. Or, selon la manière dont ces derniers sont disposés, ils se recombinent de manière à faire apparaître, sur le détecteur, un motif de taches caractéristiques des positions relatives des atomes entre eux. Autrement dit, de la structure du matériau considéré. En 1913, les Bragg, père et fils, déterminent la structure cristallographique du diamant et du chlorure de sodium, et posent les bases de la discipline.

Mais ce n’est qu’un début tant les développements qui suivent permettront l’élucidation de structures toujours plus complexes. Symbole de cette plongée au cœur de la matière : la découverte, en 1953, de la structure en double hélice de l’ADN par Francis Crick et James Watson. Comment ? En analysant un cliché de diffraction d’une fibre d’ADN obtenue par la biologiste Rosalind Franklin. Ou encore l’élucidation de la structure du ribosome, gigantesque assemblage de protéines et d’ARN qui synthétise les protéines au sein de la cellule, qui a valu le prix Nobel de chimie 2009 à ses auteurs.
 

Venkatraman Ramakrishnan, Ada E. Yonath, Thomas A. Steitz, lauréats du prix Nobel de chimie 2009.
Grâce à la cristallographie, Venkatraman Ramakrishnan, Ada E. Yonath et Thomas A. Steitz ont réussi à élucider la structure du ribosome et ainsi décroché le prix Nobel de chimie 2009.
Venkatraman Ramakrishnan, Ada E. Yonath, Thomas A. Steitz, lauréats du prix Nobel de chimie 2009.
Grâce à la cristallographie, Venkatraman Ramakrishnan, Ada E. Yonath et Thomas A. Steitz ont réussi à élucider la structure du ribosome et ainsi décroché le prix Nobel de chimie 2009.
 

Médicaments,
alliages pour
l’aéronautique,
composants
électroniques,
matériaux
géophysiques…
Les cristaux
sont partout.

Une chose est sûre, les biologistes sont parmi les plus gros utilisateurs de la cristallographie. Certes, la matière vivante ne se présente pas sous forme cristalline. Mais les techniques de biochimie permettent de synthétiser des cristaux à partir de ses constituants élémentaires (ADN, ARN, protéines…), dont on peut alors déterminer la structure par diffraction de rayons X. « Or la structure d’une molécule biologique est à l’origine de sa fonction, explique Jacqueline Cherfils, du Laboratoire d’enzymologie et biochimie structurales du CNRS, à Gif-sur-Yvette. D’où le rôle central de la cristallographie dans notre discipline. » Par exemple, en 2013, le groupe de cette chercheuse a déterminé la structure des protéines qui permettent à la bactérie responsable de la légionellose de se jouer des défenses immunitaires d’une cellule infectée. « En élucidant ces structures, nous avons révélé des aspects clés des processus biochimiques en jeu qui peuvent inspirer des approches thérapeutiques », précise la biologiste.

Structure de l’enzyme de Legionella pneumophila
La structure de cette enzyme de Legionella pneumophila a été déterminée à partir de données de diffraction des rayons X collectées au synchrotron Soleil.
Structure de l’enzyme de Legionella pneumophila
La structure de cette enzyme de Legionella pneumophila a été déterminée à partir de données de diffraction des rayons X collectées au synchrotron Soleil.

À la base de nouveaux matériaux

Autres adeptes de la cristallographie : les chimistes. « Je ne connais pas un laboratoire de chimie qui ne dispose pas de moyens de diffraction X. Et toute publication sur une espèce chimique se doit aujourd’hui de présenter la structure de la molécule étudiée », résume simplement Jean-Claude Daran, du Laboratoire de chimie de coordination du CNRS, à Toulouse. À cet égard, la façon dont Gérard Férey, médaille d’or du CNRS en 2010, a mis au point ses matériaux « mésoporeux », caractérisés par la présence en leur sein de pores dans lesquels on peut loger différentes espèces chimiques, est exemplaire. Comme l’explique Sébastien Pillet, « c’est typique d’une démarche dans laquelle le lien entre la topologie de ces matériaux, présentant des cavités ou des canaux plus ou moins alignés, et leurs propriétés d’adsorption de différentes molécules – médicaments, gaz… – a été établi grâce à l’outil cristallographique ».
 

Diffractomètre de rayons X
Ce diffractomètre de rayons X permet d’étudier la structure de la matière, et notamment des cristaux, à l’échelle atomique et moléculaire.
Diffractomètre de rayons X
Ce diffractomètre de rayons X permet d’étudier la structure de la matière, et notamment des cristaux, à l’échelle atomique et moléculaire.

Un outil qui, depuis les découvertes du début du siècle dernier, a été métamorphosé. D’abord du fait de l’évolution des moyens expérimentaux. Ainsi, aux rayons X se sont adjoints les électrons dans les années 1930, puis les neutrons dans les années 1940, comme sondes de la matière. Sans oublier le développement des sources synchrotrons, instruments permettant d’obtenir des faisceaux X ultra-énergétiques et très intenses, dont Soleil, inauguré en 2006 à Gif-sur-Yvette, est un représentant de la dernière génération. Mais aussi du fait d’une évolution constante des méthodes d’analyse. Ainsi, Herbert Hauptman et Jerome Karle ont, par exemple, partagé le prix Nobel de chimie en 1985 pour la mise au point des méthodes dites directes, qui permettent d’extraire plus d’informations à partir des signaux de diffraction. Jean-Claude Daran précise : « L’évolution est telle en chimie que l’on obtient en moins d’une heure aujourd’hui ce qui demandait plusieurs jours il y a trente ans. »

Image de diffraction
Au cours d’une collecte de données, plusieurs centaines d’images de ce type peuvent être enregistrées avec un diffractomètre.
Image de diffraction
Au cours d’une collecte de données, plusieurs centaines d’images de ce type peuvent être enregistrées avec un diffractomètre.

Une avancée obtenue à grand renfort de physique et de mathématiques, qui illustre à merveille le caractère éminemment interdisciplinaire de la cristallographie. De même que la découverte des quasi-cristaux par Dan Shechtman en 1982, lors d’expériences de diffraction électronique sur des composés métalliques. Une mise en évidence à laquelle a également contribué Denis Gratias, du Laboratoire d’étude des microstructures2, à Châtillon. Quasi-cristaux ? Des matériaux à la fois ordonnés comme un cristal et pourtant non périodiques comme le sont les matériaux désordonnés… Découverte qui a obligé à remettre en cause la notion mathématique de symétrie cristalline, de même qu’à inventer de nouveaux outils théoriques pour étudier leur structure et leurs propriétés.

Les défauts des cristaux, véritable mine d’or

Avec le temps, la cristallographie s’est donc bel et bien abstraite du seul univers des cristaux. Mais pas complètement. Comme le rappelle Sébastien Pillet, « le silicium, qui est à la base de toute l’industrie électronique et photovoltaïque, représente 60 % de la production de cristaux dans le monde. Et c’est l’objectif de nombreux laboratoires de parvenir à des cristaux de silicium présentant des caractéristiques toujours meilleures ». Du reste, c’est à travers le façonnage de cristaux toujours plus purs que les spécialistes entrevoient les futures applications dans le domaine des lasers et de l’optique.

Il n’empêche, de nombreux matériaux sont également intéressants de par leur écart avec la pureté cristalline. Soit parce qu’on y a inséré des défauts, c’est-à-dire des espèces chimiques étrangères en faible quantité qui s’intègrent tant bien que mal dans le réseau cristallin de base, soit parce que ce réseau même présente des dislocations, des joints de grains ou des macles, bien connus par exemple des métallurgistes. Ainsi, le contrôle des défauts dans certains oxydes est à l’origine de leur propriété de supraconduction – c’est-à-dire de conduction du courant électrique sans la moindre résistance – à haute température.

Quant aux dislocations, ce sont elles qui confèrent leur solidité aux alliages et sont de ce fait les meilleures alliées des matériaux légers de l’automobile ou de l’aéronautique du futur. « Bien souvent, c’est désormais l’écart à la perfection, le désordre et la complexité qui intéressent pour la conception de nouveaux matériaux », confirme Marc de Boissieu, du Laboratoire de science et ingénierie des matériaux et procédés3, à Grenoble. Par exemple, pour la conception d’électrodes de batterie ou les têtes de lecture de nos joujoux électroniques. Le scientifique ajoute : « Le rêve ultime d’un cristallographe serait de parvenir à déterminer à l’avance la composition et la structure que doit avoir un matériau en fonction d’une propriété requise ! »

Panneaux photovoltaïques sur la façade sud du bâtiment Adream
Les panneaux photovoltaïques sont souvent fabriqués à partir de cristaux de silicium. Ici, une partie du bâtiment Adream, au Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes, à Toulouse.
Panneaux photovoltaïques sur la façade sud du bâtiment Adream
Les panneaux photovoltaïques sont souvent fabriqués à partir de cristaux de silicium. Ici, une partie du bâtiment Adream, au Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes, à Toulouse.

Déterminer la structure des planètes

Cette démarche s’apparente à celle des spécialistes en science de la Terre, pour déterminer la structure interne des planètes, par définition inaccessible. Pour la Terre, ils disposent de certaines propriétés telles que la densité, la vitesse des ondes sismiques ou l’intensité du champ magnétique. Leur travail consiste alors à synthétiser en laboratoire des composés ayant les mêmes propriétés une fois placés dans les conditions de température et de pression censées régner dans les profondeurs planétaires. « Par exemple, au milieu des années 1980, des sismologues ont montré qu’au sein du noyau ferreux de notre planète les ondes sismiques se propageaient plus rapidement le long de l’axe de rotation que dans les autres directions, raconte Guillaume Fiquet, de l’Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie4. Il a donc fallu confirmer que les cristaux de fer présents dans la graine terrestre pouvaient effectivement avoir une structure autorisant ce phénomène. Et leur structure a été déterminée il y a quatre ans par une équipe japonaise qui a réussi à recréer et à maintenir les conditions du noyau, soit 360 gigapascals (plus de 3 millions de fois la pression atmosphérique, NDLR) et 5 000 °C, tout en couplant l'expérience à une source de rayonnement synchrotron. »

Pour identifier la structure interne des planètes géantes ou de certaines planètes extrasolaires plus massives que la Terre, il faudra faire encore mieux, ce dont seules des expériences où une impulsion brève d’un laser surpuissant, type laser mégajoule, engendre une onde de choc à travers un échantillon sont capables. « Et il faut qu’un flash de rayons X traverse le matériau au même moment pour avoir accès aux propriétés pertinentes que sont la structure et la densité ! », ajoute le scientifique.

Les autres disciplines concernées par les méthodes cristallographiques ne seront pas non plus en reste de nouveaux moyens. Ainsi, l’un des nouveaux horizons de la discipline est le laser à électrons libres, dont il n’existe actuellement que deux exemplaires dans le monde, aux États-Unis et au Japon, plus un troisième en construction, à Hambourg, en Allemagne. « C’est la source de rayonnements X du futur, détaille Marc de Boissieu. De quoi délivrer des impulsions X ultra-brillantes et ultra-courtes qui permettront d’accéder à la dynamique des protéines ou à celle de transitions entre différentes structures au sein d’un matériau. » Et observer la structure de la matière en mouvement. D’un mot, parfaire l’image que nous nous faisons de ses mille et un visages.

Notes
  • 1. Unité CNRS/Univ. de Lorraine.
  • 2. Unité CNRS/Onera.
  • 3. Unité CNRS/INP/UJF.
  • 4. Unité CNRS/UPMC/IRD/MNHN.

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