Donner du sens à la science

Plongée dans l'univers des graffeurs

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Commentaire off : Intriguée par toutes les marques peintes qu'elle croise sur les murs, Virginie Grandhomme, sociologue à l'université de Nantes, décide de consacrer ses recherches à la pratique du graffiti.

Pendant 3 ans, son enquête ethnographique l'a amené à suivre les graffeurs, à les observer et à les écouter afin de comprendre le sens qu'ils donnent à leur pratique.

Qu’est ce que le graffiti ? Qu’est ce qui fait courir les graffeurs ?

Qu’est ce qui les stimule et justifie une telle prise de risque ?

À partir de ces relevés la chercheuse constate qu’il existe différents types de graffitis : les tags, les flops et les graffs parmi lesquels on trouve les chromes et les couleurs.

 

OBEN, Graffeur : Le graffiti c’est… C’est l’illégal déjà, parce que ça te fait prendre des risques. Et le tag c’est l’origine du graffiti par sa forme, c’est la calligraphie, c’est marquer son nom. Après pour moi le graffiti pur et dur c’est la lettre et c’est ce qui reste dans la rue : les stores, las camions, les voies ferrées, les trains.

 

PERSU, Graffeur : A l’origine le truc c’est de se faire sa propre pub en fait, sans avoir à payer les emplacements publicitaires.

 

JAME, Graffeur : Au début le côté affirmation, peut-être qu’on pense un peu qu’à soi-même mais justement, le fait d’écrire son nom ainsi de suite c’est exister dans une société anonyme quelque part. ça paraît abstrait pour n’importe qui qui s’intéresse pas à ça, c’est encore un gribouillage ainsi de suite. Mais pour la personne qui l’a fait t’as un côté adrénaline au moment de le faire, sentir que tu vibres, que tu vis et quand tu repasses après et que tu revois le nom ça te dit que tu es encore là, présent, même si c’est qu’une signature quelque part.

 

RADAR, Graffeur : C’est un dépassement de soi parce que tu te dis « Ben la prochaine fois faut que fasse mieux, en moins de temps ou je vais changer d’endroit pour que ce soit plus rapide parce que sinon je vais me faire cramer. » Parce que le but il faut que ça évolue. Et puis ça donne envie de découvrir des endroits. Justement on découvre des endroits que les gens aussi ne fréquentent jamais ! Qui marche sur les voies ferrées ? Pas grand monde. Qui traverse une quatre voies avec des bagnoles au milieu ? Pas grand monde tu vois. Qui monte sur des toits prendre des risques ? Pas grand monde. Donc c’est aussi tout ça.

Virginie Granhomme : Oui il y a un peu d’adrénaline… Il y a tout ça quoi.

RADAR, Graffeur : C’est aussi un moteur l’adrénaline. C’est une sensation qu’on n’a pas… Faut faire un sport extrême… Enfin y a pas beaucoup d’activités qui peuvent avoir un truc qui te monte comme ça quoi.

Virginie Granhomme : On devient dépendant à ça du coup.

RADAR, Graffeur : Ouai carrément !

Virginie Granhomme : T’as envie d’y retourner…

RADAR, Graffeur : C’est vrai que c’est une drogue. On le dit tous, c’est une came. L’adrénaline c’est « ouf ».

Virginie Granhomme : Quand ça se passe bien c’est cool quoi.

RADAR, Graffeur : Même quand ça se passe mal on recommence alors tu vois.

Il y a des gens qui gravent juste pour faire style quoi. Ils s’inventent une vie, ça va durer deux ans. Des étoiles filantes quoi. On en a vu. Il suffit que ce soit un peu la mode, puisque ça l’était et ça l’est encore. Il y a des gens qui font des graffitis parce que ça fait « cool »

 

JAME, Graffeur : En fait il y a peut-être 80% des personnes qui passent pas la première année.

Virginie Granhomme : Parce qu’elles font trop d’effort ou elles se font serrer ?

JAME, Graffeur : Ouai ou parce qu’elles n’arrivent pas à maitriser la technique ou à rentrer dans le m… en contact avec d’autres personnes ou je sais pas, qui fait qu’au bout d’un moment ça s’essouffle quoi.

 

Commentaire off : Même si l’exécution des graffitis est le point culminant de leur pratique elle n’est que la partie émergée de l’iceberg. Les graffeurs consacrent beaucoup de leur temps à la recherche d’espaces à peindre et au travail des esquisses.

 

Virginie Granhomme : T’as une idée à peu près de combien de temps tu dessines par jour ?

PERSU, Graffeur : Quand je suis posé là comme ça et que je dessine là vraiment un truc où je me suis assis exprès pour dessiner, on va dire une heure ou deux par jour, pas forcément plus. Et après par contre je dessine tout le temps, quand je suis au téléphone par exemple.

Virginie Granhomme : T’as une partie du cerveau sur le papier et une autre sur…

PERSU, Graffeur : Ouai voilà. C’était déjà comme ça à l’école.

Virginie Granhomme : D’accord.

PERSU, Graffeur : Tout mon argent passe plus ou moins dans le dessin et le graffiti, ça c’est clair. De toute façon c’est ma passion, je fais ça tous les jours donc je vois pas pourquoi je ferais le radin.

 

Commentaire off : Cette passion peut conduire certain d’entre eux à dépasser le seul cadre de la pratique de rue pour intégrer les milieux associatifs et artistiques et parfois en faire un métier.

 

Virginie Granhomme : T’as beaucoup de particuliers qui te demandent de bosser pour eux ?

PERSU, Graffeur : Du fait d’être dans le collectif, comme on a fait une plaquette, on diffuse on se fait de la pub et tout donc ouai : on reçoit quasiment des mails tous les jours de gens qui nous demandent nos services. C’est beaucoup d’appels pour faire des initiations avec des enfants dans des MJC, des trucs comme ça. Puis ça c’est une chambre que j’ai peinte où une gamine m’avait demandé des chevaux.

Virginie Granhomme : Ah oui d’accord.

PERSU, Graffeur : Donc ça change carrément de ce que je vais faire dans les terrains vagues.

 

Commentaire off : Contrairement à ce qu’on pourrait penser l’intégration sociale s’opère aussi à partir de la marge. Faire du graffiti permet à ces activistes d’évoluer sur une ligne de crête entre refus du suivisme et désir d’intégration.

 

OBEN, Graffeur : Moi ce qui me dérange le plus c’est le public à l’extérieur qui aime le graffiti en galerie sur un beau tableau, une belle fresque et tout mais par contre avoir un tag sur son portail ça fait chier… Et pourtant le graffiti il vient de là. Il faut pas oublier vraiment d’où il vient le graffiti.

 

JAME, Graffeur : Quelque part dans le graffiti, en tous les cas quand tu fais un peu d’illégal ou de chose comme ça, tu te dis : moi mon cadre de vie il est comme ça et en fait il est un peu décalé de la réalité, du modèle parfait de tout le monde. Je suis pas en plein milieu et puis je sais pas ce que je fais. C’est se dire : je suis en bordure et je regarde avec ma vision la société…

Virginie Granhomme : Mais du coup c’est une manière d’y appartenir. C’est pas un truc d’exclusion…

JAME, Graffeur : Ouai c’est pas de se dire je suis à l’extérieur, j’appartiens pas à ce monde.

 

OBEN, Graffeur : Le graffiti c’est une façon de vivre, c’est une façon de penser, c’est une façon de regarder la ville, la rue, le mobilier urbain.

« Elle est bien la lumière là. »

Ce qu’il y a derrière le graffiti c’est des mecs, c’est des souvenirs, c’est des anecdotes, c’est des galères, c’est des procès, c’est des amendes… Donc voilà. C’est le fait surtout de le faire dans la rue, entre autre illégalement. C’est ça qui est hyper fort ! C’est ce truc-là qui me donne l’énergie, qui me fait sortir de mon lit, qui me donne envie de produire et de laisser comme tout humain, laisser une trace dans le monde dans lequel on est et je trouve de mettre de la couleur sur les murs c’est pas une si vilaine trace. C’est aussi une belle école, d’une certaine éducation qui est populaire.

Plongée dans l'univers des graffeurs

27.01.2014

A la fois banals et encombrants, anodins et préoccupants, esthétiques et énigmatiques, les graffitis font partie du décor habituel des centres urbains mais ne cessent jamais d'interroger ceux qui les croisent.
Virginie Grandhomme, doctorante en sociologie à l’Université de Nantes, a consacré trois ans de recherche à la pratique du graffiti et à ses adeptes dans la ville de Nantes...

À propos de cette vidéo
Titre original :
Street View
Année de production :
2013
Durée :
8 min 32
Réalisateur :
Luc Ronat et Paul Rambaud
Producteur :
CNRS Images
Intervenant(s) :

Virginie Grandhomme, Centre Nantais de Sociologie (Université de Nantes) ;

OBEN, Graffeur ;

PERSU, Graffeur ;

JAME, Graffeur ;

RADAR, Graffeur ;

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