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Le fructose, un additif problématique?

Le fructose, un additif problématique?

19.11.2015, par
Tandis que le sucre est soupçonné de jouer un rôle dans l’épidémie d’obésité, des chercheurs dénoncent les dangers de l’utilisation de plus en plus massive de sirop de fructose-glucose par l’industrie alimentaire. Les explications de la biologiste Anne-Françoise Burnol.

Si l’on tient compte des apports par les aliments industriels, on s’aperçoit qu’au cours du XXe siècle la consommation annuelle de sucre raffiné est passée en France de 2 à 35 kilogrammes par personne. Parallèlement à l’augmentation de la consommation de sucre, on a assisté à l’émergence d’une épidémie de maladies métaboliques, comprenant l’obésité, le diabète de type 2 et la stéatose hépatique non alcoolique. Le sucre a donc été accusé de jouer un rôle délétère majeur dans l’apparition de ces pathologies.

Une forme de sucre dédiée à l’industrie alimentaire

Au cours des dernières décennies, conjointement avec l’industrialisation, la forte progression de l’habitat en zone urbaine et la généralisation du travail des femmes hors du foyer, les habitudes alimentaires se sont considérablement modifiées au profit de la consommation d’une quantité croissante de produits alimentaires transformés industriels. Ce mode de production des aliments s’est, entre autres, caractérisé par l’addition de sucre. Ce sucre ajouté rehausse le goût, masque l’acidité ou l’amertume, agit comme conservateur, bloque l’oxydation dans les charcuteries et les viandes, et permet la formation de composés colorés et aromatiques.

Ingrédients dans une boîte de biscuits
Le sirop de glucose-fructose figure en bonne place dans la liste des ingrédients de très nombreux produits alimentaires manufacturés. Il entre notamment dans la composition d’un grand nombre de gâteaux industriels.
Ingrédients dans une boîte de biscuits
Le sirop de glucose-fructose figure en bonne place dans la liste des ingrédients de très nombreux produits alimentaires manufacturés. Il entre notamment dans la composition d’un grand nombre de gâteaux industriels.

Pendant longtemps, ce sucre ajouté était exclusivement du saccharose extrait de la betterave ou de la canne, une molécule qui combine une molécule de glucose et une molécule de fructose. Depuis plusieurs années, le saccharose tend à être remplacé par du sirop de glucose-fructose, aussi appelé isoglucose ou high fructose corn syrup (HFCS). La production et l’utilisation massives de HFCS découlent d’une décision politique prise par les États-Unis dans les années 1970 afin de se libérer des importations de sucre de canne et de betterave. Plus ou moins enrichi en fructose - dont le pouvoir sucrant est supérieur au glucose-, le HFCS a une texture liquide facilitant son utilisation par l’industrie. Et comme il est très bon marché, il est aujourd’hui largement utilisé dans les produits alimentaires manufacturés1.

Le fructose : un super-sucre toxique et addictif ?

Comme son nom l’indique, le fructose est la forme de sucre simple produite naturellement par les fruits ; on le trouve aussi dans le miel. Au niveau énergétique le glucose et le fructose apportent le même nombre de calories. Cependant, le fructose n’est pas métabolisé de la même manière que le glucose, et ses effets sont donc différents du glucose. Tandis que le glucose, dont la concentration sanguine est contrôlée par l’insuline, est utilisable par l’ensemble des tissus de l’organisme, le fructose n’est métabolisé que par le foie et ne dépend pas de l’action de l’insuline.

La consommation de fructose engendre une augmentation des lipides et du cholestérol dans le sang, ainsi qu’une accumulation de graisse hépatique.

La consommation de fructose est, en revanche, associée à une modification du métabolisme incluant une augmentation des lipides et du cholestérol circulant dans le sang, ainsi qu’une accumulation de graisse hépatique. Le fructose agit aussi par le biais d’autres mécanismes moléculaires qui provoquent une altération de l’action de l’insuline dans l’ensemble des tissus de l’organisme et induisent le développement de la masse grasse viscérale, considérée comme le « mauvais tissu adipeux ». Par ailleurs, le fructose exerce un effet plus faible que le glucose sur la sécrétion d’incrétines, des hormones intestinales qui favorisent l’action de l’insuline et la régulation de la glycémie.

Enfin, le fructose est beaucoup moins efficace que le glucose pour induire la satiété. Sa consommation peut notamment entraîner une résistance à l’action de la leptine, une hormone produite par le tissu adipeux et qui agit au niveau du cerveau pour réduire la prise alimentaire. Alors qu’on sait que le goût sucré provoque chez les animaux de laboratoire une addiction comparable à celle des drogues, le fructose, qui a un pouvoir sucrant cinq fois supérieur à celui du glucose, pourrait agir comme un « super-sucre » entraînant une véritable dépendance.

Des études épidémiologiques difficiles à mener

Les avis ne sont toutefois pas unanimes sur l’existence d’effets toxiques propres au fructose chez l’homme. Si les études réalisées chez les animaux de laboratoire montrent sans ambiguïté que le fructose à haute dose entraîne des conséquences néfastes sur la régulation du métabolisme énergétique, l’obésité et le diabète de type 2, il est beaucoup plus difficile de tirer des conclusions aussi claires d’études menées sur l’homme.

Fructose
Vue au microscope de cristaux de fructose sur une figue séchée.
Fructose
Vue au microscope de cristaux de fructose sur une figue séchée.

Il faut noter en effet qu’il est extrêmement compliqué d’avoir des études prospectives précises à long terme sur la consommation alimentaire dans des cohortes humaines. D’une part parce que l’autoévaluation est très peu fiable dans ce domaine. D’autre part parce que les intérêts financiers en jeu sont énormes… et cela peut entraîner des biais dans l’interprétation des analyses. On notera d’ailleurs que 80 % des études qui sont cofinancées par les industriels de l’alimentation suggèrent que la consommation de boissons sucrées n’a pas d’impact sur la prise de poids, alors que 80 % des études réalisées de façon indépendante trouvent au contraire une corrélation positive entre les boissons sucrées et l’obésité.

Une urgence de santé publique

La situation actuelle est très préoccupante en termes de santé publique, car l’épidémie d’obésité atteint les enfants les plus jeunes et, depuis quelques années, le diabète de type 2 et la stéatose hépatique sont détectés chez des enfants et des adolescents. Il n’y a pas encore le recul nécessaire pour savoir quelles seront les conséquences sur la santé de ces individus à l’âge adulte et à l’âge mûr. L’autre crainte est que ces pathologies métaboliques soient une bombe à retardement, entraînant des conséquences néfastes pour les générations futures par le biais notamment de modifications épigénétiques.

La question qui se pose actuellement est donc de savoir si le sucre raffiné – notamment ses versions liquides enrichies en fructose de plus en plus utilisées par les industriels, comme le sirop de glucose-fructose – doit être considéré comme un « poison » au même titre que le tabac ou l’alcool, et donc être soumis à la législation. Devant la complexité de ce problème de notre société moderne et la multiplicité des intérêts en cause, il semble toutefois clair que la réponse qui sera apportée ne reposera pas uniquement sur l’abondance et la crédibilité des études scientifiques traitant le sujet.

   

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
 

Notes
  • 1. Différents types de HFCS se distinguent par leur teneur en fructose et leur pouvoir sucrant : 1) Le HFCS 90, qui contient 90 % de fructose et 10 % de glucose, est utilisé en pâtisserie en raison de son fort pouvoir sucrant ; 2) Le HFCS 55, qui contient 55 % de fructose et 45 % de glucose, a un pouvoir sucrant comparable au sucre de table et est donc très apprécié des fabricants de sodas et autres produits alimentaires industriels ; 3) Le HFCS 42, qui contient 42 % de fructose et 58 % de glucose, est utilisé dans les boissons « énergisantes ».

Commentaires

4 commentaires

Bonjour. Article fort intéressant. Attention toutefois, le fructose utilisé en alimentation humaine n'est pas un ADDITIF, mais un INGREDIENT. Déjà que les additifs n'ont pas bonne presse, inutile d'en rajouter. Cela n'enlève pas les aspects très préoccupants en terme de santé. Cordialement

Article fort préoccupant qui rappelle d'autres cas d'ingrédients ajoutés comme les graisses saturées (palme ou autre), et qui ramène toujours au même problème: que peut-on contre les lobbies agro-alimentaires ? Les intérêts économiques et financiers passeront toujours avant les questions sanitaires et de santé publique ... D'autre part, qu'en est-il du fructose des fruits et des légumes ? S'il a les mêmes effets, alors qu'en est-il de nos "cinq fruits et légumes" par jour ? Manger trop de fruits pourrait-il être tout aussi délétère ?

aïe, la question montre la non compréhension susceptible de naître avec ce type d'article : nous sommes passés de 2 kg de sucre/an à 35 kg/an en un siècle : le pb est ici, ds la consommation exagérée de produit transformé (le sucre raffiné (extrait et concentré) et son utilisation ds les gateaux, etc..). Cette nourriture transformée n'est déjà plus une alimentation naturelle. C'est dans ces conditions de surconsommation que des différences apparaissent entre les effets du fructose et du succrose. Dans une alimentation uniquement naturelle (fruits, légumes) les millions d'années d'évolution ont fait de nous des êtres parfaitement capables de gérer les faibles quantité de sucres contenues. Tout est dans l'excès, une fois de plus, excès de consommation que notre société induit. 2 pommes par jour c'est excellent, alors que si je bois chaque jours le jus de plusieurs kg de pommes, je risque de tomber dans l'excès de fructose.

Bonjour, Qu'en est-il du Xylitol ? Son index glycémique extrêmement bas le rend intéressant comme substitut au saccharose. Quelle est sa voie principale de métabolisation, et connaît-on les effets indésirables de son ingestion à long terme ? Merci
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du journal CNRS