Donner du sens à la science

Contre le sida, la lutte continue

Contre le sida, la lutte continue

03.06.2021, par
Il y a tout juste 40 ans, une revue américaine faisait état d'une nouvelle forme de pneumonie touchant cinq patients : il s'agit en fait de la première évocation du sida. Rappel des faits dans cette chronique de Denis Guthleben, historien des sciences au CNRS.

5 juin 1981. La revue américaine Morbidity and Mortality Weekly Report publie une note révélant que cinq malades ont été admis depuis octobre 1980 dans trois hôpitaux de Los Angeles, et traités pour une forme de pneumonie qui n’apparaît que lorsque le système immunitaire est très affaibli. Or ces malades, dont deux sont déjà décédés, sont tous de jeunes hommes qui ne se connaissaient pas et étaient en parfaite santé jusqu’à l’apparition des premiers symptômes…

SIDA, Sida, sida

Difficile de ne pas être saisi aux tripes en lisant cette note, « Pneumocystis Pneumonia – Los Angeles », à quarante ans de distance. Sans le savoir encore, ses auteurs posent un jalon dans notre histoire : il s’agit de la première mention, dans la littérature scientifique, d’une maladie baptisée dans les mois suivants « syndrome d’immunodéficience acquise ». En France, l’acronyme « SIDA » se transformera peu à peu en nom propre, « le Sida », puis en nom commun, « le sida », un parcours étymologique qui est à lui seul révélateur de la place que la maladie a prise dans nos vies.

Le 28 avril 1987 sur un écran de télévision, dernière image du clip réalisé par Jean-Jacques Beineix sur le sida, qui sera diffusé aux heures de grande écoute.
Le 28 avril 1987 sur un écran de télévision, dernière image du clip réalisé par Jean-Jacques Beineix sur le sida, qui sera diffusé aux heures de grande écoute.

Des vies, justement, le sida en fauche de plus en plus au début des années 1980. Après la publication initiale, de nouveaux cas ne tardent pas à être identifiés en Amérique du Nord et en Europe. En France, les docteurs Willy Rozenbaum et Jacques Leibowitch font le lien entre certains des malades qu’ils rencontrent et les observations effectuées outre-Atlantique. Ensemble, ils créent le premier « groupe français de travail sur le SIDA ». Et le travail ne manque pas, en effet, pour trouver l’origine de cette maladie dont le profil des victimes, tous « active homosexuals » comme le relevait dès juin 1981 la MMWR, commence à déchaîner les passions… et les délires : des enragés n’hésitent pas à évoquer un châtiment tombé du ciel, comme au bon vieux temps de la peste noire !

Garde haute

Dans ce contexte parfois nauséabond, la recherche, elle, progresse. À Paris, au sein de l’unité Institut Pasteur/CNRS/Inserm d’oncologie virale, une équipe de scientifiques est sur la piste du responsable : le « virus de l’immunodéficience humaine » est isolé sur le ganglion d’un malade traité à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, et décrit en 1983. Cette découverte vaudra le prix Nobel de physiologie ou médecine à Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier 25 ans plus tard. Mais la communauté savante n’est pas non plus à l’abri des polémiques. Un âpre conflit de paternité sur le VIH a opposé l’équipe française à un chercheur américain, Robert Gallo, finalement débouté au terme de longues années de procédures. De plus, au grand regret des récipiendaires eux-mêmes, en 2008 le comité Nobel a ignoré le rôle clé joué par l’un des membres de l’équipe de Luc Montagnier, Jean-Claude Chermann.

Les professeurs Luc Montagnier, Françoise Barré-Sinoussi et Jean-Claude Chermann, posent le 25 avril 1984 dans leur laboratoire de recherche sur le virus du sida à l'Institut Pasteur à Paris.
Les professeurs Luc Montagnier, Françoise Barré-Sinoussi et Jean-Claude Chermann, posent le 25 avril 1984 dans leur laboratoire de recherche sur le virus du sida à l'Institut Pasteur à Paris.

Mais si la recherche n’est pas un long fleuve tranquille, elle n’en débouche pas moins sur des résultats prometteurs, en matière de diagnostic et de traitement. En 1987, l’anti­rétroviral AZT apporte une première réponse encourageante – avec en prime une réduction des risques de transmission de la mère à l’enfant, mais hélas de sévères effets secondaires. D’autres solutions thérapeutiques suivront, plus ciblées, mieux tolérées, au point qu’aujourd’hui une personne infectée conserve son espérance de vie si elle est détectée et traitée précocement – avec cette fois-ci pour revers imprévu une quasi banalisation de la maladie, alors que des centaines de milliers de personnes continuent d’être infectées chaque année dans le monde, et dépistées trop tardivement.

Marche organisée le 1er décembre 2019, pour la Journée mondiale de lutte contre le sida.
Marche organisée le 1er décembre 2019, pour la Journée mondiale de lutte contre le sida.

Heureusement, à côté des chercheurs, les associations veillent et agissent : depuis la création de Gay Men Health Crisis en 1982 aux États-Unis, puis de Vaincre le SIDA en 1983 et Aides en 1984 en France, elles ont été à la pointe de la lutte et ont mené un combat qui a bousculé les politiques et transformé jusqu’à la pratique scientifique elle-même : le sida marque clairement un tournant dans le domaine des relations entre chercheurs, médecins et malades. Ensemble, ils nous rappellent qu’il ne faut pas baisser la garde : à l’heure où une nouvelle pandémie accapare nos esprits, un vieil ennemi rode toujours, qui continue de tuer ! 

À lire 
Une histoire de la lutte contre le sida, Olivier Maurel et Michel Bourrelly, Nouveau Monde Eds., coll. « Histoire des sciences », mars 2021, 25,90 €.

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur(s) auteur(s). Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS