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Un pan de voile se lève sur le quotidien au Néolithique

Un pan de voile se lève sur le quotidien au Néolithique

05.03.2024, par
La région des marais de Saint-Gond est fouillée depuis 150 ans.
La découverte exceptionnelle d’un habitat daté de 3000 ans avant notre ère, dans la région des marais de Saint-Gond, en bordure du bassin parisien, va permettre d’éclairer le fonctionnement encore méconnu des sociétés néolithiques.

Comment vivaient nos ancêtres 3 000 ans avant notre ère, sur le territoire de l’actuel nord de la France ? Si les nombreux monuments funéraires déjà mis au jour pour cette période avaient livré des objets, ils ne donnaient qu’une vision parcellaire du quotidien des sociétés du Néolithique récent. « Le mobilier funéraire que l’on trouve dans les tombes collectives de cette période induit un biais de compréhension », explique l’archéologue Rémi Martineau, chercheur CNRS au laboratoire Archéologie, terre, histoire, société1. Les sites d’habitation manquaient pour compléter le tableau. Jusqu’à la découverte par l’archéologue et son équipe, durant l’été 2023, des premières traces d’habitations néolithiques dans la région des marais de Saint-Gond, entre Reims et Troyes. Une « découverte majeure, que j’attendais depuis plus de dix ans que je fouille dans cette région », s’enthousiasme le chercheur.

Toutes premières traces d'un habitat

Un sondage archéologique, mené sur la commune de Val-des-Marais à grand renfort de pelle mécanique – « la pelleteuse est un outil indispensable à l’archéologue d’aujourd’hui, car elle permet de décaper de grandes surfaces » – a permis d’identifier ce que les archéologues désespéraient de trouver : les traces d’un d’habitat, assorti qui plus est d’un système défensif. « À l’intérieur d’une enceinte palissadée, on a identifié un premier bâtiment, un puits et deux grandes dépressions naturelles utilisées comme dépotoirs, le tout daté entre 3 600 et 2 900 ans avant notre ère, décrit Rémi Martineau. Le site, d’une surface de 5 000 m2, pourrait s’étendre sur plusieurs hectares. »

De gauche à droite, une fosse dépotoir, le bâtiment d'habitation à abside et un tronçon de la palissade.
De gauche à droite, une fosse dépotoir, le bâtiment d'habitation à abside et un tronçon de la palissade.

Le bâtiment identifié semble être une maison d’une quinzaine de mètres de long sur trois de large à peine, terminée par une abside à l’une de ses extrémités. « C’est un type d’architecture qu’on va beaucoup retrouver dans la période suivante, au Néolithique final », raconte Rémi Martineau. Les fosses dépotoirs sont collectives – une surprise, qui donne une première indication sur le fonctionnement du village. Elles regorgent d’objets de la vie quotidienne : des céramiques qui seront utiles aux chercheurs pour dater plus précisément le site, des meules pour broyer le grain, ou encore des éléments de parure, probablement cousus sur les vêtements. « On a retrouvé un bouton en nacre d'Unio (une moule d'eau douce) jamais porté, une pièce de musée unique », témoigne Rémi Martineau, qui s’attend à mettre au jour « encore beaucoup de mobilier archéologique, des bois de cerf, des outils en os et en silex, du matériel de mouture

Un site fouillé depuis 150 ans

La région des marais de Saint-Gond est connue des archéologues depuis plus de cent cinquante ans. Dans les années 1870, le baron Joseph de Baye, passionné d’archéologie, y menait déjà des fouilles en amateur. La découverte d’importantes quantités de silex taillés le convainc que des populations préhistoriques ont habité là. Sa fortune lui permet de lancer d’ambitieuses recherches et de mettre au jour de nombreux hypogées : des sépultures collectives souterraines creusées dans la craie, l’équivalent pour ce territoire calcaire des dolmens édifiés ailleurs dans l’Hexagone. Il ne trouve malheureusement aucune trace des habitats recherchés.

Ce pendentif en nacre a été trouvé dans une des fosses dépotoirs du site d'habitation. Cousu sur les vêtements, il était peut-être l'ancêtre de nos boutons.
Ce pendentif en nacre a été trouvé dans une des fosses dépotoirs du site d'habitation. Cousu sur les vêtements, il était peut-être l'ancêtre de nos boutons.

Depuis la fin du XIXe siècle, 135 hypogées, 15 minières servant à l’extraction souterraine du silex, 5 allées couvertes mégalithiques, ont été mis au jour dans les marais de Saint-Gond.

Il faut attendre 1924 pour que l’archéologue champenois André Brisson repère par sondage manuel le site prometteur de Val-des-Marais, le « Pré à Vaches », dans la partie orientale des marais, où les fouilles sont depuis concentrées. Au total, depuis la fin du XIXe siècle, 135 hypogées, 15 minières servant à l’extraction souterraine du silex, 5 allées couvertes mégalithiques, 8 polissoirs pour polir les haches en silex, ainsi que des champs cultivés, ont été mis au jour dans cette région.

« L’habitat était la pièce manquante du puzzle, raconte Rémi Marineau. Grâce à cette découverte exceptionnelle, on va pouvoir mieux comprendre comme s’organisait cette société, sur le plan sociétal comme territorial. » Est-ce que les habitats se situaient tous à côté des minières de silex, ou bien existait-il des habitats qui relayaient les productions pour leur diffusion ? Dans un autre registre, pourquoi les minières sont-elles toujours situées à côté des hypogées ? « Il existe des modèles théoriques d’organisation territoriale, mais ce site va nous permettre pour la première fois de les confronter à des données archéologiques de terrain », se réjouit le chercheur.

Une méthode de travail originale

C’est l’aboutissement d’un projet et d’une méthode de travail originale. « Une difficulté des recherches sur la Préhistoire est que les chercheurs travaillent à partir de peu de données sur des aires immenses, et des périodes de temps tout aussi vastes. De plus, chacun est spécialiste d’un domaine restreint – les hypogées par exemple, ou bien les pratiques agricoles, explique l’archéologue. J’ai décidé de prendre le contre-pied de l’hyper spécialisation en me focalisant sur une région restreinte qui comporte des centaines de sites archéologiques, et en élargissant nos recherches pour tenter de comprendre le fonctionnement des sociétés néolithiques dans leur ensemble. »

Vue de l’enceinte palissadée identifiée après un premier "décapage" du site. Cela fait dix ans que Rémi Martineau et son équipe fouillent la région des marais de Saint-Gond.
Vue de l’enceinte palissadée identifiée après un premier "décapage" du site. Cela fait dix ans que Rémi Martineau et son équipe fouillent la région des marais de Saint-Gond.

Un pari qui porte aujourd’hui ses fruits : avec ses minières, ses tombes, ses vestiges agricoles et désormais son habitat, les sites des marais de Saint-Gond n’ont pas d’équivalent en Europe occidentale pour la période du Néolithique récent. Reste maintenant à s’atteler au chantier le plus long, et le plus exigeant : la fouille minutieuse des milliers de mètres carrés décapés l’été dernier. Pour Rémi Martineau, « l’enjeu reste de comprendre comment vivaient nos ancêtres il y a plus de 5 000 ans ». ♦

Notes
  • 1. Unité CNRS/Ministère de la Culture/Université de Bourgogne.
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Auteur

Fabien Trécourt

Formé à l’École supérieure de journalisme de Lille, Fabien Trécourt travaille pour la presse magazine spécialisée et généraliste. Il a notamment collaboré aux titres Sciences humaines, Philosophie magazine, Cerveau & Psycho, Sciences et Avenir ou encore Ça m’intéresse.

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