Quand les citoyens construisent la science

16.03.2015, par

Le principe du forum ouvert : la parole de chacun a le même poids, quel que soit son statut, expert ou simple citoyen.

Permettre aux citoyens de proposer de nouveaux sujets de recherche, c’est l’objet du premier forum ouvert organisé par le Muséum national d’histoire naturelle et le CNRS. Ces journées déboucheront sur la création, en 2016, d’un nouvel Observatoire de la biodiversité, comme l’explique le chercheuse Anne-Caroline Prévot.

Vous organiserez à partir d’avril une série de trois forums ouverts sur le thème de la biodiversité. En quoi consistent ces rencontres ?
Anne-Caroline Prévot1 : Nous nous plaçons dans la continuité des Observatoires participatifs de la biodiversité mis en place dans le cadre du programme Vigie Nature du Muséum national d’histoire naturelle. Ces observatoires, au nombre d’une douzaine, permettent de collecter des données essentielles pour les chercheurs sur les papillons des jardins, les oiseaux, les chauves-souris ou encore la diversité dans les zones littorales… et ce grâce aux observations fournies par des milliers de citoyens, naturalistes avertis ou simples curieux. Avec les forums ouverts, nous franchissons une étape supplémentaire, puisque nous demandons cette fois au grand public de définir avec nous le thème d’un nouvel observatoire consacré à la problématique « biodiversité et changement climatique ».

En somme, vous demandez aux citoyens de s’impliquer encore davantage en participant à la formulation même des questions scientifiques ?
A.-C. P. : C’est l’idée, oui. Nous partons du principe que les chercheurs ont tout à gagner à élargir leur réflexion en faisant appel à l’intelligence collective. L’objectif de ces forums est de brasser les propositions de personnes venues de tous les horizons pour faire émerger des thématiques inédites : militants du milieu associatif, simples citoyens et, bien évidemment, scientifiques… La forme du forum ouvert a été pensée spécialement pour trouver une réponse à une question complexe en un minimum de temps en faisant appel à un maximum de personnes. Pour les forums « biodiversité », nous tablons sur une centaine de participants à chaque session.

Les observatoires du programme Vigie Nature, comme celui des papillons des jardins, profitent des données collectées par des milliers de volontaires.

Expliquez-nous en quoi consiste précisément ce format de « forum ouvert »…
A.-C. P. : C’est un concept imaginé aux États-Unis, et qui commence à être utilisé en France dans la sphère publique : à Rennes autour du Plan Climat, à Bordeaux sur la question de l’eau… L’idée, c’est que la parole de chacun a le même poids, quel que soit son statut, expert ou simple citoyen. Personne ne sait qui sont les autres participants, ce qui évite la langue de bois et facilite les échanges. On commence la journée en se mettant tous en cercle. Les personnes qui commencent à avoir des idées les écrivent sur un bout de papier qu’elles affichent sur un grand mur. Puis les participants consultent les papiers et décident quel thème ils souhaitent approfondir. C’est le deuxième temps, le temps de la discussion en petits groupes, sachant que chacun peut décider à tout moment de quitter le groupe et d’en rejoindre un autre. À la fin de la session, chaque groupe fait une restitution de ce qui a été dit et on vote pour un projet.

Les trois forums, organisés à Paris, en Corse et à Marseille, se déroulent sur une seule journée. C’est suffisant pour trouver LA bonne idée ?
A.-C. P. : C’est le principe du forum ouvert : les personnes qui sont là sont les bonnes personnes, et la réponse trouvée dans le temps imparti, la bonne réponse. Le Muséum s’est en tout cas engagé à créer l’observatoire imaginé au cours de ces sessions dès 2016. Concrètement, les journées seront scindées en deux : la matinée permettra de déterminer le thème de l’observatoire, et l’après-midi, d’esquisser les protocoles d’observation (à quelle fréquence, où, etc.) Puisqu’il y a trois journées, ce sont donc trois projets d’observatoire qui vont émerger, et le Muséum - associé au CNRS - fera son choix parmi ceux-ci.

C’est une expérience inédite en science. Qu’attendez-vous de ces brainstormings géants ?
A.-C. P. : Nous n’avons aucune idée préconçue de ce qui pourra arriver, car c’est une première pour nous. Mais nous espérons être surpris, et si possible voir émerger des questions qu’on ne se serait jamais posées tout seuls !

Forum ouvert sur le changement climatique et la biodiversité :
- le vendredi 3 avril 2015 à Paris,
- le samedi 25 avril 2015 à Corte,
- le jeudi 11 juin 2015 à Marseille.