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Un climat sous influence?

Un climat sous influence?

15.09.2015, par
Programme cadre 2030 pour le climat et l’énergie
Manifestation organisée par plusieurs ONG devant le siège de la Commission européenne, le 22 janvier 2014, à l’occasion de la publication du programme-cadre 2030 pour le climat et l’énergie.
Alors que se profile la COP21, une expérience de crowdsourcing cherche à identifier l'influence de centaines d'organisations (ONG, multinationales, etc.) sur la politique climatique de l’Europe. Le mathématicien Antoine Mandel nous en dit plus sur cet outil destiné à être utilisé par les citoyens sur bien d‘autres sujets.

Fin 2014, la Commission européenne a statué sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (– 40 %) ou sur la part des énergies renouvelables (27 %) à l’horizon 2030. Comment ces mesures ont-elles été prises ?
Antoine Mandel1 :
Je répondrais que l’élaboration des lois est un processus complexe. Certes, nous élisons des représentants et ces représentants votent les textes. Mais qu’il s’agisse d’ONG, de multinationales, d’organisations gouvernementales ou autres, de nombreux acteurs visent à exercer une influence sur ce processus politique pour faire prendre en compte leurs intérêts. Et c’est afin de rendre un peu plus visibles ces influences, notamment sur la politique climatique européenne, que nous avons monté le projet Simpol2 et que nous faisons appel à la participation des citoyens.

En quoi consiste justement cette participation, autrement appelée crowdsourcing ?
A. M. :
Sur notre plateforme en ligne3, chacune des personnes participantes mène l’analyse de l’un des textes émanant de la consultation publique par la Commission européenne, lors de la préparation du programme-cadre 2030 pour le climat et l’énergie. Lorsqu’elle prépare un texte législatif important, la Commission européenne propose en effet aux parties prenantes de donner leurs opinions par écrit sur les propositions qu’elle formule dans un Livre vert.

Si une entreprise
ou une ONG
est la seule
dont toutes les
recommandations
ont été suivies,
on peut constater
qu’elle aura eu
du poids.

Dans ce cadre, plus de 550 organisations, dont des ONG (WWF, Greenpeace…), des groupes industriels (BASF, ThyssenKrupp…), des compagnies d’électricité (comme EDF), des institutions (conseils locaux, parlements…), etc., ont donné leurs avis sur les mesures phares de la politique climatique européenne (objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, part d’énergie renouvelable, efficacité énergétique, etc.). Ces avis peuvent pousser la politique énergétique dans un sens ou dans l’autre. Au moyen d’un questionnaire, les participants doivent identifier les positions (en faveur/contre/sans opinion) des différents acteurs sur quinze mesures clés susceptibles d’être l’objet de débats ou de lutte d’influence. Notre objectif est de faire lire chaque texte par au moins dix personnes pour minimiser les erreurs d’interprétation possibles. Nous avons rempli 11 % de notre objectif, avis aux amateurs !

Comment peut-on alors mesurer l’influence des parties prenantes ?
A. M. : Au final, nous disposerons de trois éléments : les propositions initiales de la Commission, les opinions des acteurs et la décision du Conseil de l’Europe sur le sujet, qui a été rendue en octobre 2014. Ces éléments nous permettrons de dessiner un réseau « bipartite », liant des organisations à des mesures politiques via une opinion (voir schéma). Nous pourrons ainsi comprendre quels avis ont été les plus écoutés et qui a donc eu le plus d’influence sur le déroulement du processus législatif. Si une entreprise ou une ONG est la seule dont toutes les recommandations ont été suivies, on peut constater qu’elle aura eu du poids. Dans une deuxième phase, nous verrons quels acteurs ont les mêmes opinions sur certains sujets et nous pourrons mettre au jour des coalitions inattendues. Ainsi, nous pouvons imaginer que Shell et WWF s’accordent sur la réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, tandis que Shell, qui dispose de réserves massives de gaz, s’oppose au développement imposé des énergies renouvelables, tout comme les industriels de l’aluminium.

Représentation des opinions de la centaine d’acteurs analysée par les chercheurs. Un lien vert indique le soutien d’une organisation à une mesure politique, un lien rouge, son opposition.
Représentation des opinions de la centaine d’acteurs analysée par les chercheurs. Un lien vert indique le soutien d’une organisation à une mesure politique, un lien rouge, son opposition.

Pourquoi avoir choisi le crowdsourcing ?
A. M. : D’abord, pour une question de temps : il y a entre cinq et dix mille pages de documents à traiter, et une équipe de recherche devrait s’y consacrer une année à temps plein. Ensuite, pour des raisons techniques : un ordinateur peut certes évaluer si une opinion est globalement positive ou négative et retrouver des mots clés dans un texte. Mais, dans notre étude, nous cherchons les réponses à des questions spécifiques, comme « faut-il réduire les émissions de gaz à effet de serre de – 30 ou de – 40 % ? », et le format des 550 textes, qui est libre, n’est justement pas spécifique.

Nous aimerions
contribuer au
développement
de nouvelles
formes
d’engagement
citoyen.

Enfin, cette plateforme est en fait un pilote car notre objectif à plus long terme est de mettre ces outils collaboratifs à la disposition du public. Nous essayons de créer un modèle qui permette aux gens de mener des analyses du même genre sur d’autres sujets, de manière spontanée. Il faut juste qu’il y ait eu consultation publique. Cela a, par exemple, été fait pour le projet de loi sur le traitement des données privées dans l’économie numérique au Parlement européen : comme l’a montré le site www.lobbyplag.eu/influence, les amendements qui ont été déposés par les parlementaires sont une copie conforme des textes écrits par Google, Facebook ou Microsoft. Notre souhait est que notre plateforme vive d’elle-même.

Votre démarche est donc autant citoyenne que technologique ?
A. M. : Nous aimerions contribuer au développement de nouvelles formes d’engagement citoyen dans un contexte où les institutions décisionnelles sont éloignées, puisque très centralisées, surtout au niveau européen. Grâce aux technologies de l’information, nous avons la possibilité de produire des outils qui aident les citoyens à se réapproprier le processus politique. C’est donc bien un projet technologique, et non pas politique, mais son domaine d’application est la vie publique, les outils de fonctionnement d’une société démocratique. Je pense que les développements technologiques peuvent ouvrir un nouvel espace public de discussion et contribuer à une meilleure appréhension des enjeux politiques et sociaux.
 

Notes
  • 1. Unité CNRS/Univ. Paris-I Panthéon Sorbonne/ENS Cachan. L’équipe de recherche comprend également Tomas Balint, de l’université Paris-I Panthéon Sorbonne, Franziska Schütze, du Global Climate Forum, et Stefano Battiston, de l’université de Zurich.
  • 2. Financial Systems Simulation and Policy Modelling : www.simpolproject.eu
  • 3. http://crowdsourcing.simpolproject.eu
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Auteur

Stéphanie Arc

Diplômée de philosophie morale et politique à la Sorbonne, Stéphanie Arc est journaliste (CNRS Le journal, Science et Santé, Science et Vie Junior, Arts Magazine, Première…) et écrivaine. Elle travaille depuis 2005 sur les questions de genres et sexualités (Identités lesbiennes, en finir avec les idées reçues, 3e édition, 2015). Auteure d’un roman (Quitter Paris,...

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