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Alors que l’Unesco vient de lancer la Décennie pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030), découvrez sur ce blog un aperçu de la diversité des recherches menées au CNRS sur l’océan.
 

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Ce blog collaboratif rassemble des contributions issues des 10 instituts thématiques du CNRS.

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Des « méta-organisations » pour une gestion durable des océans
07.04.2023, par Héloïse Berkowitz (1), Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (Lest), Aix-en-Provence
Mis à jour le 11.04.2023
Comment gérer les effets des activités humaines sur les océans afin de préserver ces derniers durablement ? Les “méta-organisations multi-parties prenantes”, ces organisations dont les membres proviennent de différents domaines sociétaux, sont une piste prometteuse pour répondre à cette question.

Le littoral, un milieu sur-sollicité
 
La santé des océans est essentielle pour la santé humaine, c’est le principe du concept “one health”. Si la santé des océans se dégrade, la santé humaine se dégrade elle aussi, car nous sommes dépendants des services rendus par les océans, qu’il s’agisse notamment d’alimentation, de transport, de protection et de régulation climatique, ou de loisirs. Pollutions chimique et plastique, espèces invasives, zones mortes, acidification des océans, destruction des habitats marins et de la biodiversité : la santé des océans est au plus mal.  En cause :  les multiples usages issus des activités industrielles, économiques et récréatives. Comment assurer une gestion durable et partagée de ces usages afin d’assurer la bonne santé des océans et des populations humaines ?
 
 Déchets plastiques sur la plage des Rouleaux dans la baie Sainte-Marie en Guadeloupe © Cyril Frésillon / PEPSEA / CNRS Images
Déchets plastiques sur la plage des Rouleaux dans la baie Sainte-Marie en Guadeloupe. La baie est exposée au gyre de l’océan Atlantique nord, un vaste ensemble de courants océaniques accumulant d’immenses quantités de plastiques.
© Cyril Frésillon / PEPSEA / CNRS Images

Des « méta-organisations » pour rassembler et co-gérer le littoral
 
Des travaux récents en gestion et en théorie des organisations montrent l’importance des “méta-organisations” en tant que dispositifs de coordination de l’action collective entre différentes parties prenantes pour traiter ces enjeux2. Ces travaux démontrent que ces dispositifs, qui rassemblent des organisations de différentes sphères (scientifique, économique, sociale, publique) facilitent les collaborations entre acteurs potentiellement concurrents. En effet, les méta-organisations sont avant tout des organisations et se distinguent en cela des institutions et des réseaux. Elles reposent sur la décision comme mécanisme de coordination et d’explicitation des règles, tandis que réseaux et institutions, qui intègrent des règles informelles telles des valeurs, des coutumes, émergent de façon spontanée et peuvent difficilement être remis en cause 3. Par ailleurs, elles sont constituées elles-mêmes d’organisations mettant à leur disposition des ressources financières, humaines et des savoirs et expertises variés dont ne disposent pas les particuliers ou les organisations seules pour résoudre les problèmes de développement durable 4. Les méta-organisations multi-parties prenantes permettent ainsi de rassembler des acteurs aux valeurs et visions diverses, de construire des objectifs communs, et au final de réguler les pratiques des membres qui y adhèrent.
 
 
La Catalogne : un exemple de méta-organisation réussie
 
Ces dispositifs se développent de plus en plus dans une perspective de co-gestion de la gouvernance 5. Par exemple, la Catalogne a mis en œuvre une méta-organisation multi-parties prenantes pour la gestion durable du littoral du Baix Empordà, sur la Costa Brava. Cette expérimentation de gouvernance rassemble plusieurs organisations représentants différents usages du littoral habituellement en conflit : la pêche commerciale et récréative, les activités touristiques, les activités scientifiques et éducatives, la protection du patrimoine, dans la mesure où il s’agit d’une zone protégée... Cette méta-organisation gère conjointement et de manière collaborative, socialement juste et écologiquement durable, les différents usages de la zone. Elle a très bien fonctionné car elle a permis de transformer la compétition des acteurs sur l’usage en une forme de “coopétition”, la combinaison simultanée de stratégies de coopération et de compétition. Ce faisant, la méta-organisation multi-parties prenantes a eu trois effets :

  • en impliquant des organisations scientifiques, elle a permis de passer à une approche écosystémique de la gestion des conflits d’usage, intégrant santé écologique et humaine ;
  • elle a décentralisé et territorialisé la prise de décision, qu’elle a rendue collective et locale au lieu d’être imposée par le haut et centralisée ;
  • elle a permis la hiérarchisation des valeurs des parties prenantes qui ont fait le choix de donner la priorité à la bonne santé environnementale.

  Fruits de la pêche dans un port de pêche sur la Costa Brava en Catalogne © Héloïse Berkowitz / LEST
Fruits de la pêche dans un port de pêche sur la Costa Brava en Catalogne. © Héloïse Berkowitz / LEST
 

Vers une généralisation du dispositif ?
 
La question du caractère généralisable et transposable de ces dispositifs - non seulement à d’autres territoires marins mais aussi au-delà - peut se poser. On pourrait ainsi envisager de les transposer pour la gestion des usages en haute mer ou le “Deep sea mining”, ou dans d’autres domaines, comme celui de la forêt amazonienne, de la transition agricole et des systèmes alimentaires durables et justes vis à vis des humains et des non-humains. Le projet ANRJCJC MetaOrgTrans qui débutera en 2023, explorera précisément ces questions sur différents terrains, marins et non marins, au sein d’une équipe pluridisciplinaire et internationale. Le projet visera notamment à comprendre comment engager différentes parties prenantes locales dans la gouvernance des transitions écologiques et sociales, puis définir et mettre en œuvre des futurs souhaitables.

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[1] Aix Marseille Université, porteuse du projet ANRJCJC MetaOrgTrans.

[2] Berkowitz, H. (2018), « Meta-organizing firms capabilities for sustainable innovation : A conceptual framework », Journal of Cleaner Production, 175, 420-430. https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2017.12.028 ; Berkowitz et al. (2020), « Organizational perspectives on sustainable ocean governance : A multi-stakeholder, meta-organization model of collective action », Marine Policy, 118, 104026. https://doi.org/10.1016/j.marpol.2020.104026 ; Chaudhury et al. (2016), « Emerging meta-organisations and adaptation to global climate change : Evidence from implementing adaptation in Nepal, Pakistan and Ghana », Global Environmental Change, 38, 243-257. https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2016.03.011.

[3] Grothe-Hammer, M., Berkowitz, H., & Berthod, O. (2022). Decisional Organization Theory: Towards an Integrated Framework of Organization. En M. Godwyn (Ed.), Research Handbook on the Sociology of Organizations (pp. 30-53). Edward Elgar Publishing Ltd.

[4] Berkowitz, H., Brunsson, N., Grothe-Hammer, M., Sundberg, M., & Valiorgue, B. (2022). Meta-organizations: A clarification and a way forward. M@n@gement, 25(2), 1-9.

[5] Lleonart et al. (2014), « The co-management of the sand eel fishery of Catalonia (NW Mediterranean) : The story of a process », Scientia Marina, 78(1), 87-93; Makino et al. (2017), « A transdisciplinary research of coastal fisheries co-management : The case of the hairtail Trichiurus japonicus trolling line fishery around the Bungo Channel, Japan », Fisheries Science, 1-12. https://doi.org/10.1007/s12562-017-1141-x

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