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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches bénéficient du label « Science avec et pour la société » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
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Lithium-soufre : la paire gagnante pour les batteries de demain ?
04.04.2024, par Samuel Belaud
Laboratoires et fabricants se démènent pour développer des systèmes électrochimiques plus économiques et plus puissants que ceux utilisés dans les batteries Lithium-Ion actuellement en service. Mais pour que ces prochaines générations de batteries voient le jour, plusieurs verrous technologiques doivent être levés. Un laboratoire grenoblois s’emploie à la tâche.

Les batteries de demain embarqueront un électrolyte solide et une association de lithium métal et de soufre, une configuration très prometteuse en termes de rendement et d’efficacité. Mais cette prochaine génération d’accumulateurs peine à sortir des laboratoires, en raison de défaillances persistantes à l’interface entre ses différents composants. Didier Devaux, chargé de recherche en électrochimie au CNRS, est à la tête d’un projet[1] qui vise justement à « comprendre ce qui ne fonctionne pas dans ces nouveaux assemblages et parvenir à lever ces verrous à moyen terme ».

Avant de plonger au cœur de ces recherches, un détour par la mécanique d'une batterie s’impose. Celle-ci est composée de deux électrodes, une positive (cathode) et une négative (anode), séparées par un électrolyte (substance conductrice aux ions). Lors de la décharge, les ions (particules chargées) migrent de la négative vers la positive à travers l'électrolyte séparateur, générant un courant électrique. Lors de la charge, le processus est inversé : les ions migrent de la cathode vers l'anode.

Le projet SHUTTLE, financé par l'Agence nationale de la recherche (ANR), vise à optimiser des batteries dites « tout-solides », qui associent un électrolyte solide polymère avec du soufre (électrode positive) et du lithium métal (électrode négative). Les accumulateurs tout-solides sont dans les tiroirs de la recherche depuis plusieurs dizaines d’années, mais un phénomène physique associé au lithium métal pose de sérieux problèmes de sécurité et a empêché leur développement. En effet, à force d’enchainer des cycles de charge/décharge, des résidus de lithium métallique ont tendance à s’agglomérer et à croitre en direction de l’électrode positive sous forme de dendrites. Ces ponts métalliques favorisent l’apparition de courts-circuits et font peser un risque important d’emballement thermique des batteries.

Assemblage d'une cellule au Lithium - crédit Ernest Ahiavi

Assemblage d'une cellule au Lithium. Extrait de la thèse d'Ernest Ahiavi, Université Grenoble Alpes, 2023 (directeur de thèse : Renaud Bouchet, co-encadrant : Didier Devaux) © Ernest Ahiavi - LEPMI

C’est la raison pour laquelle les industriels ont abandonné les électrodes négatives en lithium métal dans les années 1980, pour lui préférer celles en graphite et signer l’acte de naissance des batteries Li-ion. « Malgré des capacités plus faibles, cela réduisait considérablement le risque d'accident », note Didier Devaux, et a permis d’envisager un déploiement à grande échelle. Le volume de production annuel des batteries Li-ion atteignait près de 1.6 TWh en 2022[2].

Le nouveau souffle du lithium-soufre

Mais le tout solide n’a pas dit son dernier mot ! Pour contenir les risques associés au lithium métal, les chercheurs envisagent de « changer la chimie des batteries traditionnelles et les matériaux qui la composent ». Didier Devaux et ses collègues proposent d’associer ce lithium métal avec un électrolyte solide polymère qui peut contenir la croissance des dendrites, et à une électrode positive à base de soufre, un matériau à forte capacité électrique. Ce faisant, les chercheurs ouvrent la voie à « des batteries à haute densité d'énergie, peu chères, recyclables et plus durables ».

Outre son aptitude à porter d’importantes quantité de charges électriques, le soufre est un élément chimique très abondant et peu cher. « Ses gisements sont bien distribués sur la planète, ce qui fait qu'il ne représente pas un enjeu géostratégique critique », abonde Didier Devaux. Il note toutefois qu’une « soupe chimique encore mal comprise se produit lorsque le soufre rencontre le lithium ». Les scientifiques ont en effet observé que des produits de dégradation (des polysulfures), issues de cette rencontre, ont tendance à s'échapper de l'électrode positive pour se diriger vers l’électrode négative via l'électrolyte. Leur objectif est de caractériser ces réactions indésirables en laboratoire, pour parvenir à les contenir et - in fine – participer à l’émergence d’une batterie hyper performante.

Dépôt de soufre sur de la roche - crédit Béatrice Devaux

Dépôt de soufre sur une roche en Guadeloupe © Béatrice Devaux

Pour y parvenir les chimistes développent un électrolyte polymère qui empêche les polysulfures de s’échapper dans le système. L’originalité de leur approche réside dans le fait de ne pas considérer les polysulfures « comme de simples produits de dégradation, mais comme des espèces ioniques électrochimiquement actives et intéressantes ». Dans le détail, l’électrolyte polymère que les chercheurs ont utilisé[3] encapsule un sel de lithium, auquel ils ajoutent des charges anioniques (charge négative). Cette méthode « permet à l’électrolyte d'interagir avec les polysulfures - également chargés négativement - et de les repousser grâce à la répulsion électrostatiques, comme deux aimants de même polarité », précise Didier Devaux. Ainsi, les polysulfures restent confinés dans l'électrode de soufre, et ne viennent pas perturber le fonctionnement de la batterie.

Grâce à une série de tests des paramètres de performance (conductivité ionique, nombre de transport, coefficients de diffusion, méso-structures[4] par rayon X, imagerie par tomographie aux rayons X), les chercheurs du Laboratoire d'Électrochimie et de Physico-chimie des Matériaux et des Interfaces (LEPMI) ont pu « déterminer une chimie idéale pour bloquer certaines espèces de polysulfure ». Il leur faut désormais intégrer cette composition dans un assemblage complet de batterie « Li-soufre», et vérifier ses performances en conditions réelles. Si cela fonctionne, les chercheurs devront également déterminer le degré de recyclabilité des matériaux assemblés, avant d’imaginer transposer le concept à l’échelle industrielle.

Et Didier Devaux de s’enthousiasmer : « si jamais tous les verrous sont levés et que cette batterie lithium soufre arrive sur le marché, elle supplantera toutes les précédentes technologies de batterie ! ». À court terme, le règne du Li-ion n’est pas menacé. Mais la recherche scientifique est sur le pont pour accélérer la croissance de son successeur. Didier Devaux a d’ailleurs lancé de nouvelles collaborations notamment en Europe pour capitaliser sur ces résultats prometteurs et consolider la rampe de lancement du lithium-soufre.

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Ces recherches et cet article ont été financés en tout ou partie par l'Agence Nationale de la Recherche.
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[1] Projet SHUTTLE | Batteries au lithium-soufre avec un électrolyte solide polymère | Agence Nationale de la Recherche - ANR-19-CE05-0023

[2] World Energy Investment 2023, International Energy Agency (IEA), May 2023 | https://www.iea.org/data-and-statistics/charts/lithium-ion-battery-manuf...

[3] Un matériau déjà connu et synthétisé par l’Institut de Chimie Radicalaire (ICR) d’Aix-Marseille Université

[4] En collaboration avec le Laboratoire Léon Brillouin (CNRS, CEA)

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