Donner du sens à la science

A propos

À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches bénéficient du label « Science avec et pour la société » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Pour en savoir plus, lire l'édito.

Les auteurs du blog

Par le réseau de communicants du CNRS

A la une

Comprendre l’extrême extensibilité du gluten
28.08.2023, par Simon Pierrefixe
Mis à jour le 29.08.2023
Pains, pâtes, biscuits, plats préparés... le gluten est partout dans notre alimentation. Les scientifiques du projet Elastobio en étudient les propriétés mécaniques.

Le gluten a quelque chose de magique. Sans lui, le pain, les brioches, les gâteaux ou les biscuits n’ont pas la même texture. Pourtant, le gluten n’existe pas en tant que tel dans les farines. Il se constitue lors du pétrissage à travers l’interaction de protéines végétales que l’on retrouve dans le blé et l’épeautre mais aussi l’orge, l’avoine ou encore le seigle. Au contact de l’eau et sous l’action mécanique du pétrissage, ces protéines forment alors un réseau tridimensionnel. Élastique et résistant, ce réseau de gluten est essentiel à la panification : il se déforme considérablement lors de la fermentation à la suite de la formation de bulles de gaz carbonique mais sans se rompre et permet ainsi d’obtenir des pains aérés et des gâteaux moelleux. Consommé par les humains depuis des millénaires via l’utilisation de farines, le gluten n’en garde pas moins sa part de mystère.

Le gluten, une matière molle

Mais comment étudier cette matière qui n’est ni liquide ni vraiment solide ? « Cela relève du domaine de la matière molle », explique Amélie Banc, maître de conférences à l’Université de Montpellier et physicienne spécialisée dans l’étude de la matière molle. Parmi ces matériaux, on trouve par exemple les crèmes, les mousses ou encore les gels utilisés dans des domaines aussi variés que l’alimentaire, les cosmétiques ou encore le bâtiment. Une de leurs caractéristiques principales est leur viscoélasticité. En effet, « lorsqu’elle est déformée, la matière molle ne réagit pas tout à fait comme les liquides qui s’écoulent. Ni d’ailleurs comme les solides qui eux retrouvent leur forme première lorsque la contrainte mécanique est relâchée, si cette dernière n’est pas trop forte », explique la physicienne. Ce qui est le cas du gluten, qui est ni liquide – il ne s’écoule pas – ni solide car il peut notamment s’étirer tel un chewing-gum.


Ces propriétés si particulières du gluten de blé sont depuis plusieurs années au cœur des travaux de recherche qu’effectuent Amélie Banc et ses collègues, Laurence Ramos, directrice de recherche du CNRS au laboratoire Charles Coulomb de Montpellier, et Marie-Hélène Morel, biochimiste et directrice de recherche de l’INRAE de Montpellier.

L’étude du gluten : un problème insoluble

Caractériser les propriétés mécaniques de cette pâte élastique et collante n’est toutefois pas chose aisée. Tel quel, le gluten est en effet insoluble dans l’eau, ce qui exclue l’étude de ses propriétés physico-chimiques et structurales dans son solvant naturel. En conséquence, de nombreux laboratoires de recherche utilisent des détergents, aussi appelés des tensioactifs, pour solubiliser dans l’eau gliadines et gluténines, les deux principales protéines végétales composant le gluten de blé. « Mais cette manipulation a un impact sur certaines interactions physiques et chimiques essentielles aux propriétés mécaniques du gluten », estime Amélie Banc. Afin d’éviter cet écueil, les chercheurs ont identifié un protocole d’extraction des protéines du gluten basé sur un solvant composé pour moitié d’eau et d’éthanol qui permet d’obtenir des échantillons représentatifs de ces protéines en partie hydrophobes. De plus, « ce solvant nous permet, notamment en jouant sur la température, de faire varier la composition des échantillons en gliadines et en gluténines afin de mieux comprendre l’influence de ces protéines sur la structure et les propriétés du gluten », poursuit la chercheuse. À partir de ces échantillons extraits en eau/éthanol, les scientifiques ont même réussi à reconstituer des gels de gluten de composition et de rigidité variables dans l’eau.

Mieux comprendre le gluten et ses propriétés mécaniques

Les échantillons de gluten obtenus par ces procédés vont alors être triturés et torturés par les scientifiques. Étudier leur résistance aux contraintes et aux déformations, autrement dit leur rhéologie, permet en effet de caractériser les matériaux mous. Pour cela, « nous utilisons notamment un rhéomètre rotatif, explique Amélie Banc. Cet appareil applique des contraintes mécaniques de cisaillement1 grâce à deux plaques parallèles tournant sur elles-mêmes entre lesquelles l’échantillon est confiné. » Cela permet aux chercheurs d’observer entre autres la relaxation de contrainte. « Ce test rhéologique consiste à imposer une déformation au matériau tout en mesurant la force nécessaire pour maintenir cette déformation. Si le matériau est élastique, la contrainte pour conserver cette déformation est constante dans le temps. Mais dans le cas du gluten, la force nécessaire pour maintenir l’échantillon déformé diminue petit à petit, une caractéristique des matériaux viscoélastiques. » À travers différents tests de cet acabit sur une variété d’échantillons de gluten de compositions variées, complétés d’études structurales par diffusion de la lumière et de rayons X, et en comparant les résultats obtenus à des modèles théoriques, Amélie Banc et ses collègues ont prouvé que le gluten se comporte comme un gel.

Le gluten, un gel proche de l’état critique

Mais qu’est ce qu’un gel du point de vue d’une physicienne ? « C'est un matériau hydraté par un solvant qui présente des propriétés élastiques. Il ressemble à un solide mou », précise Amélie Banc. Ce type de matière molle s’organise spontanément dans certaines conditions via la formation de liaisons intermoléculaires pour constituer un réseau tridimensionnel au cœur duquel se trouve piégé le solvant. Dans le cas du gluten, ce sont les gliadines et les gluténines qui composent le réseau de ce gel dit polymérique2. Cependant, au contraire de la plupart des gels qui sont formés d’un réseau dense, le gluten demeure dans un état proche de l’état dit critique avec des propriétés rhéologiques particulières, notamment une extensibilité extrême. Mieux comprendre cette caractéristique du gluten est d’ailleurs la principale thématique du projet Elastobio coordonné par Amélie Banc et financé par l’Agence nationale de recherche (ANR). Car, à l’heure actuelle, la plupart des recherches sur le gluten se focalisent sur de petites déformations. « Dans le cadre d’Elastobio, nous avons poussé les déformations de cisaillement jusqu’à 200 000 % et étrangement, nous retrouvons les mêmes temps caractéristiques que pour de petites déformations, raconte Amélie Banc. Ce qui implique que, soit le réseau reste intact malgré les déformations, soit cette structure tridimensionnelle se reforme très rapidement. » La deuxième hypothèse est probablement la bonne. Le gluten, à l’image d’autres gels, présente ainsi des propriétés d’autocicatrisation. « Cette caractéristique est liée aux liaisons entre gliadines et gluténines – des ponts disulfures entre deux atomes de soufre et des liaisons hydrogène – qui permettent de former un maillage dynamique capable de se réorganiser sous la contrainte. » Ces types de liaisons chimiques sont en effet relativement faibles et peuvent facilement se briser avant de se reconstituer un peu plus loin sur la même chaîne de protéine ou sur une autre à proximité.

Un bénéfice pour l’agroalimentaire

Toutes ces connaissances accumulées ont permis de rationaliser et de mieux maitriser les propriétés du gluten en jouant entre autres sur la composition en protéines, sa concentration, la qualité du solvant ou encore à travers l’ajout d’additifs pour contrôler la formation de liaisons entre les différentes chaines du réseau. Ces travaux intéressent d’ores et déjà des entreprises agroalimentaires. Par ailleurs, ces recherches pourraient aussi aider au développement d’alternatives au gluten pour l’alimentation. Environ 1% de la population est en effet intolérante au gluten3. « Nous cherchons actuellement à créer des échantillons avec des propriétés viscoélastiques similaires au gluten à partir d’un mélange de protéines végétales et de polysaccharides, des chaines de glucides complexes », ajoute Amélie Banc. Un espoir pour les intolérants au gluten qui pourraient de nouveau déguster des pains moelleux et aérés, mais sans gluten.

Notes
  • 1. Se dit de contraintes mécaniques appliquées de manière parallèle ou tangentielle à la face d'un matériau.
  • 2. Dans un gel de type polymérique, les briques élémentaires du réseau sont de longues chaînes plus ou moins étendues, et non pas des particules nanométriques, comme cela peut-être le cas des gels laitiers, comme le yaourt par exemple.
  • 3. La maladie cœliaque est une réaction auto-immune aux gliadines du blé et de l’épeautre qui provoque une inflammation au niveau de l’intestin chez environ 1% de la population. Celle-ci se traduit entre autres par de la fatigue, des troubles intestinaux ou encore des carences, notamment en fer.

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS