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Pasteur par-delà la légende

Pasteur par-delà la légende

16.12.2022, par
Louis Pasteur dans son laboratoire par Edmond-Charles Fournier (1872 –1924).
À l’occasion du bicentenaire de la naissance de Louis Pasteur (1822 - 1895), le biologiste Michel Morange, auteur d’une récente biographie, revient sur la vie, l’œuvre et le mythe du célèbre savant.

L’expression de « révolution pasteurienne » est devenue courante. Avec le recul dont disposent les scientifiques et biographes, quelles innovations peuvent vraiment être attribuées à Louis Pasteur ?
Michel Morange1. Il y aurait beaucoup plus à dire sur la première découverte qui l’a rendu célèbre : la mise en évidence de l’asymétrie moléculaire ou chiralité – des molécules peuvent exister sous deux formes différentes, images l’une de l’autre dans un miroir. Toutefois, Pasteur n’avait qu’un modèle très simple du phénomène. On parlait de « molécules » mais sans savoir quelle était leur forme. Pour lui, une forme neutre, symétrique, naissait et, sous l’effet de forces asymétriques de l’univers dont il faisait l’hypothèse, prenait la forme asymétrique droite ou gauche. Il a cherché toute sa vie à reproduire cette conversion au laboratoire, sans succès.

Pasteur dans son laboratoire à l’École normale supérieure (dessin de Henri Meyer, gravé par F. Meaulle, publié dans "Le Journal Illustré" du 30 mars 1884.
Pasteur dans son laboratoire à l’École normale supérieure (dessin de Henri Meyer, gravé par F. Meaulle, publié dans "Le Journal Illustré" du 30 mars 1884.

Mais sa grande découverte est la vaccination. Edward Jenner est souvent mentionné comme étant le père de la vaccination contre la variole en inoculant une maladie bénigne de la vache appelée vaccine. L’effet protecteur de la vaccine avait déjà été observé par d’autres mais Jenner développa une méthode pour en faire bénéficier toute la population. Pasteur travaillait lui sur les microbes et cela ouvrait la possibilité d’étendre la méthode de Jenner à toutes les maladies. Il atténuait les microbes par culture en flacon et passage chez l’animal, et quand il avait vérifié que le microbe était atténué, il avait à sa disposition un vaccin. Ce principe est applicable à toute maladie : c’est la vaccination moderne.
 
Enfin, il a aussi découvert que les micro-organismes étaient responsables des fermentations et des putréfactions, entre autres.
 
Comment Pasteur envisageait-il son rôle de scientifique ?
M. M. Premièrement, c’était un chercheur qui consacrait toutes ses journées à travailler. Ce qu’il a écrit sur la recherche et l’enseignement est d’ailleurs toujours d’actualité. L’objectif de sa vie était de faire des découvertes dont la communauté scientifique reconnaîtrait l’importance, pas d’être un bienfaiteur de l’humanité. Cela viendra avec le vaccin qui offrira de nouvelles stratégies préventives à la médecine.
 
Deuxièmement, il y a le problème du profit. Pasteur a pris, à un moment particulier, un brevet sur la bière qui lui a rapporté beaucoup d’argent en France et à l’étranger. Mais il en a aussi pris d’autres simplement pour protéger ses découvertes, comme sur le vinaigre, qu’il a rapidement mis dans le domaine public. Il n’a donc pas touché d’argent sur ces derniers. Affirmer qu’il était intéressé par l’argent que pouvaient lui procurer ses découvertes serait faux. Il a également répondu à Napoléon III qu’il n’était pas d’accord pour donner des conférences payantes, il souhaitait garder tout son temps pour ses recherches.

Gravure montrant la première machine utilisée par Louis Pasteur pour refroidir et fermenter le moût pendant ses travaux sur la bière. (Début XIXe siècle.)
Gravure montrant la première machine utilisée par Louis Pasteur pour refroidir et fermenter le moût pendant ses travaux sur la bière. (Début XIXe siècle.)

Néanmoins, après la guerre franco-prussienne, son hémiplégie et son handicap, il a eu des doutes sur son futur et était hanté par l’idée de mourir en laissant sa famille sans ressources. La protéger était sa motivation. La recherche de la fortune n’entrait pas dans sa conception des choses et ne correspondait pas à son mode de vie. Fils de tanneur, il est resté très simple jusqu’à la fin de sa vie.
 
Vous indiquez que le mythe a créé un malentendu toujours présent : Pasteur n’a pas eu pour seul objectif de guérir les maladies, il voulait plutôt faire reculer l’ignorance. Pouvez-vous en dire plus ?
M. M. On dit qu’il a pensé dès le début de ses recherches aux microbes, ce n’est pas tout à fait exact. Il n’était pas obsédé par les microbes et n’a pas immédiatement adopté l’idée que les maladies infectieuses étaient dues aux micro-organismes. Cette idée s’est forgée petit à petit. Quand il a mis au point le vaccin contre la rage, il a déclaré que l’objectif premier n’avait pas été de la soigner, le moteur de sa recherche était de comprendre les phénomènes.
 
D’après ses premiers carnets, il ne s’intéressait pas à la génération spontanée. C’est pourtant lui qui a clôturé le virulent débat. De quoi s’agissait-il et quels étaient les principaux enjeux autour de cette question ?
M. M. Selon la théorie très ancienne de la génération spontanée, des organismes vivants peuvent naître des restes d’organismes morts. Ainsi, d’après cette théorie, on aurait toujours dû obtenir des levures après fermentation du raisin, or Pasteur montra que si l’on prend la précaution d’éviter toute contamination, aucune levure n’apparaît. À force d’observer la reproduction des globules (levures) lors des fermentations, Pasteur a été convaincu qu’ils se reproduisaient en se divisant, il n’y avait donc pas de génération spontanée.
 
Quel fut le plus grand échec de Louis Pasteur ?
M. M. En 1876, Robert Koch (médecin allemand découvreur du bacille de la tuberculose, ndlr) a publié une série d’expériences décisives sur le microbe responsable de la maladie du charbon. Ce sera un choc pour Pasteur et cela explique le conflit qui les opposa. Non seulement Koch a décrit le microbe, la formation de spores et transmis la maladie à des animaux après avoir cultivé le micro-organisme in vitro, mais en plus, il a établi une méthode pour déterminer que chez certains malades, le microbe était bien la cause de la maladie. Le mérite en revient vraiment à Koch. Pasteur en était conscient mais ne l’a jamais reconnu et l’a minimisé. C’est sa plus grande faute éthique.
 
Pasteur pourrait être comparé aujourd’hui à un « start-uper » à la tête d’un empire. Il savait comment communiquer pour rendre publics ses travaux et les valoriser, et il n’hésitait pas à solliciter ses réseaux politiques et financiers pour concrétiser ses projets. D’où lui est venue l’idée d’adopter cette stratégie si actuelle ?
M. M. Au début, il n’avait pas ce don de la communication. Il « engueulait » par exemple les journalistes qui ne disaient pas ce qu’il fallait selon lui. À la fin de sa vie en revanche, il les invitait et les amenait avec amabilité à dire ce qu’il voulait ! D’après l’historienne Bernadette Bensaude-Vincent, il a appris à communiquer, sans doute suite à ses multiples échecs dans ce domaine. Devenir une personnalité reconnue l’a également aidé.

Le savant entouré de ses collaborateurs dans la grande bibliothèque de l'Institut Pasteur, en 1894.
Le savant entouré de ses collaborateurs dans la grande bibliothèque de l'Institut Pasteur, en 1894.

Il a déclaré : « Ah ! Messieurs on a dit quelquefois que la science tue le cœur. Mais sachez (...) lire dans ces beaux phénomènes pleins de grandeur et de mystère où les desseins de Dieu sont si manifestes et vous verrez ! » Ses croyances catholiques influençaient-elles sa démarche scientifique ?
M. M. Pasteur n’était pas un croyant qui obéissait à la lettre à l’Église. Il n’assistait pas à la messe régulièrement et travaillait le dimanche. Il ne supportait pas que l’Église interfère avec la connaissance scientifique mais n’a jamais renié son lien avec la religion catholique. Il disait avoir une foi du cœur. Il expliquait par exemple que lorsque l’on voit un enfant mourir – et il en a perdu trois – on a le sentiment que ce n’est pas la fin de tout, qu’il y a « quelque chose » après. Il ne mentionnait pas le Ciel pourtant il était persuadé que tout n’est pas sans signification.

Louis Pasteur a été érigé en héros de son vivant. Était-il la figure dont le pouvoir politique – l’empereur Napoléon III d’abord puis la IIIe République ensuite – et la France avaient besoin ?
M. M. Il a transcendé des oppositions fortes, notamment entre croyants et incroyants avant la séparation de l’Église et de l’État. D’un point de vue politique, il répondait au besoin de développer l’hygiène dans le pays, il est l’un des premiers à avoir prôné l’asepsie, méthode préventive selon laquelle il est préférable d’éviter la présence des germes plutôt que de devoir les éliminer. Pasteur était acceptable par absolument tout le monde. C’est d’ailleurs ce qui explique sa place dans l’enseignement et les livres d’école. Par la suite, il fut même un modèle, aussi bien pour Che Guevara que pour Pétain  !

Pasteur lors de son jubilé à la Sorbonne, le 28 décembre 1892, au bras du président de la République, Sadi Carnot. Le chirurgien écossais Lister s'avance en lui tendant les bras. (Huile sur toile de Jean-André Rixens, 1902.)
Pasteur lors de son jubilé à la Sorbonne, le 28 décembre 1892, au bras du président de la République, Sadi Carnot. Le chirurgien écossais Lister s'avance en lui tendant les bras. (Huile sur toile de Jean-André Rixens, 1902.)

Revenons à la découverte qui lui a valu le plus de reconnaissance scientifique. Afin de prouver l’innocuité du vaccin contre la rage et après l’avoir testé sur des chiens, Pasteur envisagea de se vacciner lui-même, puis le testa sur le jeune Joseph Meister sans l’accord des médecins de son équipe. Ne serait-ce pas une faute éthique grave ?
M. M. Sa méthode de vaccination était très spéciale, basée sur la moelle de lapin enragé atténuée par dessiccation (élimination de l’eau, ndlr). Il inoculait ensuite des extraits de moins en moins atténués et utilisait en dernier les moelles les plus virulentes afin de vérifier que le sujet était devenu « réfractaire » à la rage. On sait aujourd’hui que celles qu’il a fini par utiliser sur le petit Meister auraient été mortelles si les premières inoculations ne l’avaient pas protégé.
 
De fait, Pasteur, qui n’était pas médecin mais chimiste, s’appuyait sur une procédure de validation astucieuse mais qui soulevait un sérieux problème éthique : si un animal ou une personne vaccinée ne mourait pas, cela prouvait que la vaccination « fonctionnait » car, dans le cas contraire, les dernières injections de moelle les auraient tués. Le plus beau est que ça ait marché !

Pasteur (à gauche) supervise l'inoculation du vaccin à Joseph Meister, 9 ans, qui a été mordu par un chien enragé, le 6 juillet 1885. (Gravure sur bois d'après le journal "L'Illustration").
Pasteur (à gauche) supervise l'inoculation du vaccin à Joseph Meister, 9 ans, qui a été mordu par un chien enragé, le 6 juillet 1885. (Gravure sur bois d'après le journal "L'Illustration").

Le problème avec les vaccins de Pasteur est qu’on n’avait pas l’explication du mécanisme de la vaccination. Quand on lui demandait comment ça marchait, il apportait des réponses différentes. Curieusement, à l’époque, personne n’a vu le problème ! Il était séduisant et suffisant de penser que le microbe atténué protégeait l’organisme. Pasteur ne disait rien sur les mécanismes de défense de l’organisme.
 
Vous avez commencé ce projet de livre avant la pandémie de Covid-19, qui l’inscrit dans l’actualité. Les doutes autour des vaccins, éventuellement acceptables du temps de Pasteur, le sont-ils aujourd’hui ?
M. M. Il faut trier parmi les critiques contre les vaccins, certaines méritent tout à fait d’être discutées. J’ai commencé l’écriture de cette biographie il y a quatre ans mais il m’est apparu avec la pandémie qu’il était important d’insister sur des questions déjà posées par Pasteur : comment vacciner ? Combien de temps un vaccin protège-t-il ? Le système immunitaire est d’une complexité extraordinaire et on ne comprend pas encore toutes ses subtilités donc quand on fabrique un vaccin, on fait tout pour qu’il soit efficace mais on ne peut pas toujours anticiper l’effet. On ne sait pas non plus prévoir les éventuels effets secondaires.
 
La frontière de la vaccination aujourd’hui, c’est cette complexité redoutable. On pourrait avoir l’illusion qu’on a tout compris. Non ! Ce n’est jamais gagné, même de nos jours. Il n’y a pas de recette pour anticiper le succès d’un vaccin ni la gravité des effets secondaires.
 
Est-il juste de dire qu’en France, à la période durant laquelle Pasteur a vécu, personne n’a eu un tel parcours ni une telle renommée nationale et internationale ?
M. M. Effectivement, il n’a pas d’équivalent et surtout pas avec autant de résonance actuelle. C’est le bon moment pour se replonger dans sa vie car il y a tellement de critiques aujourd’hui sur sa personne et son œuvre. Il faut reparler de Louis Pasteur et de son héritage sans hagiographie et en se débarrassant des mythes. ♦ 

À lire
Pasteur, Michel Morange, Gallimard, Coll. « Nrf Biographies », octobre 2022, 432 p., 24 €.

Notes
  • 1. Enseignant-chercheur à l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques (CNRS/Université Panthéon/Sorbonne).
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