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Joseph Fourier transforme toujours la science

Joseph Fourier transforme toujours la science

21.03.2018, par
Gravure du mathématicien Jean Baptiste Joseph Fourier (1768-1830).
Des images JPEG à la détection des ondes gravitationnelles, les travaux de Joseph Fourier ont conduit à de nombreuses applications contemporaines. Alors que l’on célèbre le 21 mars le 250e anniversaire de sa naissance, retour sur le parcours de ce savant hors normes encore méconnu du grand public.

À la manière de ses sujets de recherche, la postérité de Joseph Fourier (1768-1830) a ondulé entre des hauts et des bas. Encensé à la fin de sa vie, puis relégué à l’arrière-plan des sciences et de leur histoire, ce physicien et mathématicien connaît un important retour en grâce depuis l’après-guerre. À l’heure de son 250e anniversaire, ce 21 mars 2018, ses travaux se perpétuent aussi bien dans des applications quotidiennes que dans la recherche la plus pointue.

Fourier est ainsi entré dans la liste des commémorations nationales de 2018, que la Société mathématique de France a d’ailleurs décrétée « année Fourier ». Né à Auxerre en 1768, Joseph Fourier se retrouve très jeune orphelin et s’oriente vers une vie de moine auprès des bénédictins. La Révolution suspend les vœux monastiques juste avant qu’il ne prononce les siens, le laissant libre de se tourner vers l’enseignement et la science.
 

Il a montré que la chaleur se comporte comme une onde. Une idée aujourd’hui triviale, mais qui aurait fait éclater de rire n’importe quel chercheur de l’époque.

Après ce retournement de situation, Fourier s’implique dans de nombreux épisodes clés de son époque. S’il enseigne l’analyse à partir de 1795 dans la toute récente École polytechnique, il préside en 1793 le comité de surveillance révolutionnaire d’Auxerre, subdivision locale du Comité de salut public de Robespierre. Il embarque ensuite pour la campagne d’Égypte avec Gaspard Monge, à qui il doit son poste à l’X. Repéré à cette occasion par Napoléon, Fourier est nommé préfet de l’Isère en 1802.

Loin de l’image du savant enfermé dans son laboratoire, Joseph Fourier participe donc activement aux mutations d’une France en pleins remous. Comme l’explique Jean Dhombres, directeur de recherche émérite au centre Alexandre-Koyré1 et coauteur d’une biographie de référence sur Fourier2, c’est une spécificité française.

Une vie de chercheur atypique

« Alors que l’Ancien Régime n’avait jamais établi d’enseignement obligatoire des mathématiques ni, contrairement à l’Angleterre, anobli de savants, des scientifiques apparaissent en politique à partir de la Révolution. » Jean Dhombres cite ainsi Lazare Carnot, physicien, mathématicien et membre du Directoire, et Napoléon, qui entre à la future Académie des sciences dès 1797. Il n’est alors encore « que » général.

Avec sa situation, « Fourier sort complètement des cadres usuels de la vie d’un chercheur, détaille Jean Dhombres. Il se livre à la science de manière brève, mais intense. » Alors qu’il découvre un problème de propagation de la chaleur en octobre 1804, il a pratiquement achevé son texte et sa théorie sur le sujet en janvier 1807. Il connaît un second moment de génie en 1817 avec les « transformées de Fourier », qui occupent aujourd’hui largement le champ scientifique.

Sa théorie analytique de la chaleur recevra au début un accueil très mitigé, rejetée par les académiciens Joseph-Louis Lagrange et Pierre-Simon de Laplace. Elle ne sera publiée qu’en 1822, et seulement après son accession au poste de secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences. Pour ces travaux, Fourier a développé de nouveaux outils mathématiques appelés aujourd’hui les « séries de Fourier ». Elles permettent de décomposer n’importe quel signal périodique en une somme de sinusoïdes, dont les fréquences restent des multiples entiers de la période.

La transformée de Fourier révèle le "contenu fréquentiel" d'un signal, autrement dit sa répartition entre les différentes bandes de fréquence. Ici, la transformée optique de la courbe de Koch.
La transformée de Fourier révèle le "contenu fréquentiel" d'un signal, autrement dit sa répartition entre les différentes bandes de fréquence. Ici, la transformée optique de la courbe de Koch.

La transformée de Fourier donne quant à elle le spectre fréquentiel d’une fonction, c’est-à-dire la répartition d’un signal selon différentes bandes de fréquences. Ces outils sont devenus incontournables dans le traitement du signal, une discipline qui n’existait alors pas encore.

Une théorie construite à partir d'expériences

 « Fourier fait de la physique-mathématique sans que l’une domine l’autre ou soit son adjectif, insiste Jean Dhombres. Il part d’expériences et de théories fondamentales, et non d’un raisonnement a priori. Il a ainsi montré que la chaleur se comporte comme une onde. Une idée aujourd’hui triviale, mais qui aurait fait éclater de rire n’importe quel chercheur de l’époque. »
 

Fourier a eu un impact considérable sur la vie quotidienne et scientifique, tout en montrant une personnalité très riche.

Fourier n’est en effet parti d’aucune hypothèse particulière sur la nature de la chaleur, il a construit sa théorie uniquement sur des faits et des expériences. Cette approche lui a d’ailleurs valu l’admiration d’Auguste Comte, qui la considère comme un parfait exemple de positivisme. Cette attention illustre assez bien la célébration immédiate de Fourier une fois sa théorie publiée, avant que sa notoriété ne fluctue au cours des ans.

« La postérité de Fourier n’a pas seulement changé en matière d’histoire des sciences, mais également en science tout court, précise Jean Dhombres. » Au cours du XIXe siècle, l’analyse de Fourier n’est pas reprise par les chercheurs et n’apparaît pas dans les cours de mathématiques de Polytechnique, où Fourier a pourtant enseigné avant de partir pour la campagne d’Égypte. À partir des années 1930 et de l’après-guerre, ses travaux reviennent enfin sur le devant de la scène et s’imposent comme une rubrique à part dans les enseignements d’analyse.

Spectromètre infrarouge à transformée de Fourier de l’observatoire du Maïdo, situé à 2 200 m d'altitude sur l'île de La Réunion. Il mesure les profils de constituants chimiques de la stratosphère, à partir de la lumière du soleil absorbée par l’atmosphère.
Spectromètre infrarouge à transformée de Fourier de l’observatoire du Maïdo, situé à 2 200 m d'altitude sur l'île de La Réunion. Il mesure les profils de constituants chimiques de la stratosphère, à partir de la lumière du soleil absorbée par l’atmosphère.

Selon Patrick Flandrin, directeur de recherche au laboratoire de physique de l’ENS de Lyon3 et membre de l’Académie des sciences, l’informatique a joué un grand rôle dans ce retour vers la lumière. « L’analyse de Fourier était bien connue dans les années 1960, mais son usage a été démultiplié par l’apparition de l’algorithme dit de transformation de Fourier rapide. Il l’a rendue à la fois moins chère, plus rapide et plus accessible. »
 

L’héritage de Jean-Pierre Kahane

Mais surtout, Patrick Flandrin met en avant l’importance d’un autre chercheur : Jean-Pierre Kahane. Professeur aux universités de Montpellier et d’Orsay, membre de l’Académie des sciences, Jean-Pierre Kahane (1926-2017) a livré une œuvre majeure autour des séries de Fourier et des séries aléatoires. Des travaux qui ont beaucoup participé à la seconde gloire de Fourier.

« Jean-Pierre Kahane aimait rappeler que, dans les années 1970, il n’y avait toujours pas d’entrée sur Joseph Fourier dans l’Encyclopædia Universalis, raconte Patrick Flandrin. Aujourd’hui, l’analyse de Fourier se retrouve aussi bien en astrophysique, en chimie, en mathématiques… Pourtant, Joseph Fourier n’a pas encore la reconnaissance qu’il mérite auprès du grand public. »
 

Jean-Pierre Kahane aimait rappeler que, dans les années 1970, il n’y avait toujours pas d’entrée sur Joseph Fourier dans l’Encyclopædia Universalis.

Pour preuve des nombreuses applications apparues ces dernières décennies, un acte anodin comme de lire en ligne cet article demande plusieurs transformées de Fourier. Elles interviennent en effet dans la compression d’images numériques, en particulier dans l’incontournable format JPEG. Aussi utilisé pour les réseaux 3G et 4G, cet outil un temps oublié est aujourd’hui devenu un des calculs les plus courants en informatique.

 

Patrick Flandrin cite ensuite la théorie des ondelettes, développée en particulier par Ingrid Daubechies, professeure à l’université de Duke, ou Yves Meyer, professeur émérite à l’ENS Paris-Saclay, prix Abel 2017 et ancien doctorant de Jean-Pierre Kahane. Alors que les travaux de Fourier analysent les fréquences d’un signal, les ondelettes le décomposent également dans le temps. Ces outils sont particulièrement utilisés pour compresser les images numériques, mais ils ont aussi permis de détecter les ondes gravitationnelles, isolées grâce à la décomposition en ondelettes d’un signal capté par l’interféromètre LIGO4.

 « Fourier a ouvert un champ considérable, s’enthousiasme Patrick Flandrin, de nombreux chercheurs se sont appuyés sur son travail pionnier pour le prolonger. Dès que des lois sont établies, on veut les regarder, les pousser à leurs limites et en tirer profit. »

Des « transformées de Fourier » aux ondelettes

Un avis que partage Hervé Queffélec, professeur émérite de l’université Lille 1 et qui eut, comme Yves Meyer, Jean-Pierre Kahane pour directeur de recherche : « On peut dire que les ondelettes sont les petits-enfants de Fourier, justement introduites pour pallier certaines déficiences numériques de ses transformées. » Le chercheur, qui a travaillé sur les séries de Fourier, explique ainsi que l’analyse de Fourier se heurte au principe d’incertitude de Heisenberg, selon lequel la connaissance simultanée de la position et de la vitesse d’une même particule est limitée à partir d’un certain seuil de précision.

« Fourier utilisait des exponentielles imaginaires, qui restent des fonctions assez rigides, poursuit Hervé Queffélec. Les ondelettes permettent de localiser le signal à la fois en temps et en fréquence. » Il mentionne également les séries de Fourier aléatoires, grâce auxquelles Gilles Pisier, professeur émérite à l’université Pierre-et-Marie-Curie, à la Texas A&M University et membre de l’Académie des sciences, a obtenu des avancées majeures sur les séries de Fourier lacunaires. Des outils probabilistes d’autant plus intéressants que les séries de Fourier peuvent servir à construire un mouvement brownien.

Cette image a été produite grâce au processus mathématique connu sous le nom d’ondelettes, en convertissant en un graphique les fréquences sonores d’une chanson de baleine à bosse.
Cette image a été produite grâce au processus mathématique connu sous le nom d’ondelettes, en convertissant en un graphique les fréquences sonores d’une chanson de baleine à bosse.

On se rapproche alors de nouveau du cœur des travaux de Fourier : la propagation de la chaleur. La « loi de Fourier », qui stipule qu’un flux de chaleur à travers un solide est proportionnel au gradient de température, a abouti à la première équation de la chaleur. Ces principes se retrouvent en partie dans le mouvement brownien, mais surtout dans les lois d’Ohm et de Fick, qui décrivent respectivement le courant électrique et la diffusion de la matière à différentes concentrations.

La loi de Fourier, « un sujet de recherche très actuel »

Tout comme les outils qui ont permis de le développer, cet apport majeur de Fourier fait toujours aujourd’hui l’objet de recherches poussées. Comme l’explique Bernard Derrida, chercheur au Laboratoire de physique statistique de l’ENS5, membre de l’Académie des sciences et professeur au Collège de France, les progrès de l’informatique ont là encore donné une seconde vie à l’œuvre de Fourier.

« La loi de Fourier sur la conduction de la chaleur est redevenue un sujet de recherche très actuel. Des simulations numériques ont en effet montré que cette loi n’est pas satisfaite pour les systèmes à une ou deux dimensions. » Elle ne fonctionne pas non plus sur certains des systèmes les plus simples, comme les gaz parfaits ou les solides harmoniques, c’est-à-dire des chaînes d’oscillateurs couplés.

« Des calculs assez élémentaires montrent que si des particules traversent un milieu sans subir de collisions, le système ne peut pas s’équilibrer. » Cela peut sembler de prime abord contre-intuitif, mais c’est justement parce que ces systèmes ne sont pas assez chaotiques qu’ils ne parviennent pas à s’équilibrer. Mais pourquoi cet engouement actuel pour la loi de Fourier ?

« Les chercheurs, en ce début de XXIe siècle, s’intéressent beaucoup aux systèmes hors d’équilibre, comme par exemple un matériau en contact avec deux sources de chaleur à des températures T1 et T2 différentes. La loi de Fourier est conceptuellement une des questions les plus simples de cette physique hors d’équilibre. La comprendre à partir d’une description microscopique en termes d’atomes reste un sujet de recherche très actuel. »

Fourier célébré

Le vaste écho que rencontrent enfin les travaux de Joseph Fourier justifie aisément la volonté de mieux faire connaître ce savant. L’Académie des sciences a ainsi tenu le 13 mars 2018 la conférence « Fourier et la science d’aujourd’hui », organisée par Patrick Flandrin et Jean-François Le Gall, professeur à l’université Paris-Sud et également membre de l’Académie des sciences. Un événement filmé et disponible en ligne.

« Fourier a eu un impact considérable sur la vie quotidienne et scientifique, tout en montrant une personnalité très riche, souligne Patrick Flandrin. Savant investi dans la vie de la cité, il a par exemple soutenu la carrière de Sophie Germain afin qu’elle assiste aux séances de l’Académie des sciences, alors interdites aux femmes. »

Autre signe de reconnaissance d’après-guerre, l’université de Grenoble, fondée par Fourier quand il était préfet de l’Isère, est devenue l’université Joseph-Fourier. Dans la capitale des Alpes, on trouve également l’Institut Fourier6, un laboratoire de mathématiques de pointe. 250 ans après sa naissance, l’année 2018 doit permettre de rendre un hommage mérité à ce scientifique d’exception. ♦

 

Plus d’infos sur les commémorations du 250e anniversaire de la naissance de Joseph Fourier.

Notes
  • 1. Unité CNRS/EHESS/MNHN.
  • 2. Fourier. Créateur de la physique-mathématique, Jean Dhombres et Jean-Bernard Robert, Belin, collection « Un savant, une époque », 1998, 767 p.
  • 3. Unité CNRS/Université Claude-Bernard/ENS Lyon.
  • 4. Observatoire d’ondes gravitationnelles par interférométrie laser.
  • 5. Unité CNRS/ENS Paris/Université Paris-Diderot/Sorbonne Université.
  • 6. Unité CNRS/Université Grenoble Alpes.
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Auteur

Martin Koppe

Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.

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