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Comment se préparer à une crue de la Seine?

Comment se préparer à une crue de la Seine?

15.03.2017, par
Après plusieurs jours de pluies exceptionnelles, la crue de la Seine a atteint 6,10 mètres à Paris en juin 2016.
Quelques semaines avant la crue de la Seine de juin 2016, un exercice de gestion de crise de grande ampleur, « EU Sequana », avait lieu en Île-de-France pour se préparer à une prochaine « crue du siècle ». Une équipe de chercheurs était présente, parmi lesquels Valérie November, qui publie un ouvrage sur cette expérience exceptionnelle et ses enseignements.

Pouvez-vous nous présenter l’exercice « EU Sequana » ?
Valérie November1 : Il s’agit d’un exercice de gestion de crise, simulant une crue majeure en Île-de-France, organisé du 7 au 18 mars 2016 par le Secrétariat général de la zone de défense et de sécurité de Paris (SGZDS). Il a nécessité deux années de préparation et a réuni 87 opérateurs publics et privés.
Quatre pays européens – Belgique, Espagne, Italie et République tchèque – ont également participé à l’exercice et une trentaine de pays étaient observateurs. En effet, la zone de défense a proposé l’exercice à l’Union européenne dans le cadre du déclenchement du Mécanisme européen de protection civile.
 
Comment s’est-il déroulé concrètement ?
V. N. : L’exercice s’est joué dans les salles de gestion de crise des partenaires mobilisés – et parfois dans leurs filiales, ce qui a fait qu’en réalité beaucoup plus de personnes jouaient. Les acteurs devaient faire face à la crise, en temps réel, et réagir à des « surprises », des événements inattendus impulsés régulièrement au cours de la journée par les animateurs. Le scénario de l’exercice a en effet été écrit, puis animé, par le Secrétariat général de la zone de défense et de sécurité de Paris et l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). La première semaine a été consacrée à la montée des eaux et la seconde a été focalisée sur la décrue, ce qui est une vraie nouveauté.
 

Les acteurs devaient faire face à la crise, en temps réel, et réagir à des "surprises".

Car la décrue, dont la temporalité est beaucoup plus longue, a très peu été travaillée en coordination interpartenariale. Nous pouvons noter qu’il y a progressivement un changement dans la philosophie de gestion de crise : avant, l’accent était mis sur la montée en crise et les actions mises en œuvre consistaient avant tout à chercher à réduire l’ampleur de l’événement ou à l’éviter ; aujourd’hui, les acteurs admettent que les crises peuvent survenir et ils réfléchissent davantage aux conséquences et à la façon de les traiter.

 
Comment votre équipe a-t-elle pu observer l’exercice au plus près ?
V. N. : Le programme de recherche Euridice2, que je dirige, s’intéresse aux risques et à la gestion de crise et pratique la recherche-action, ou recherche embarquée. En 2015, le préfet de l’époque, Jean-Paul Kihl, secrétaire général de la zone de défense et de sécurité de Paris, a souhaité accueillir des chercheurs pour avoir un regard extérieur sur la gestion de crise, dans la perspective d’un calendrier événementiel parisien particulièrement chargé : la COP21 fin 2015, EU Sequana en mars 2016 puis l’Euro de football en juin-juillet. Il s’agissait aussi d’observer les événements inattendus qui pouvaient survenir. Nous venions juste de commencer la recherche lorsque les attentats du 13 novembre 2015 se sont produits à Paris. Malgré ces circonstances dramatiques, la préfecture a tenu ses engagements de nous ouvrir ses portes et nous nous sommes ainsi retrouvés plongés au cœur de l’action. Nous avons été habilités « confidentiel défense » et avons pu travailler. Il faut noter que les portes de la zone de défense restent ouvertes aux chercheurs du programme Euridice et le nouveau préfet, Marc Meunier, continue de soutenir nos recherches.

Cellule de crise au Secrétariat général de la zone de défense et de sécurité de Paris, dans le cadre de l’opération «EU Sequana».
Cellule de crise au Secrétariat général de la zone de défense et de sécurité de Paris, dans le cadre de l’opération «EU Sequana».

Quels types de données avez-vous pu recueillir ?
V. N. : Nous savions que l’exercice attirait l’attention de nombreux chercheurs, aussi nous avons lancé un appel à ceux qui voulaient observer avec nous. Nous avons constitué une équipe d’une quarantaine de chercheurs (géographes, sociologues, ingénieurs ou chercheurs en science de la gestion) provenant d’institutions diverses : ENS, Dauphine, la Sorbonne, l’École des ponts, Sciences Po, ou encore les Mines d’Alès et jusqu’à des observateurs venant d’Angleterre et de Norvège. Cela nous a permis d’être présents sur l’ensemble des sites, en observant chaque jour, à l’aide des grilles d’analyses que nous avions préalablement conçues, 5 à 12 salles de gestion de crise simultanément. Nous avons par exemple observé le niveau de relations entre les partenaires, les outils de coordination privilégiés, ou encore les différentes façons qu’ils avaient d’improviser devant l’inattendu. L’observation de l’ensemble des scénarios représente une base de données considérable qui nous donne énormément de matériau à analyser !
 
Quels sont pour vous les principaux enseignements de l’exercice ?
V. N. : Cela a été un moment de partage où les acteurs ont réalisé à quel point ils étaient interdépendants. Un exemple : la RATP doit fermer des stations pour préserver ses infrastructures, mais dans le même temps la préfecture appelle à ne plus circuler en voiture, ce qui soulève une problématique sur la façon dont les gens peuvent ou doivent se déplacer : faut-il faire venir les travailleurs en ville ou les laisser à l’extérieur pour éviter davantage de congestion ? Ils ont aussi réalisé qu’il y a des actions à effectuer rapidement et d’autres qui peuvent attendre. Par exemple, si un hôpital possède un générateur qui a une durée de 12 heures, il n’est pas nécessaire de l’évacuer tout de suite ; mais dans le cas contraire, il faut aller très vite. La connaissance du fonctionnement de chaque infrastructure est ainsi primordiale. L’exercice a permis de vérifier cela, en fonction du niveau d’eau, car les scénarios diffèrent à chaque aggravation de la situation.

Un bon gestionnaire de crise doit pouvoir s’adapter à tout instant à une situation mouvante et imprévue.

Beaucoup de travail a été fait également sur la façon de communiquer avec les citoyens : à travers le « point information » mis en place sur le Champ-de-Mars, le week-end des 12 et 13 mars, mais aussi par la mise en ligne de vidéos montrant des simulations en 3D de la montée des eaux. La chaîne France 3 a même enregistré de faux journaux télévisés et de faux directs relatant l’évolution de la crise. Le but était de faire prendre conscience aux habitants de l’Île-de-France de la réalité du risque d’une inondation et ses conséquences multiples.

Enfin, la participation de partenaires comme les hôpitaux, les services pénitentiaires ou les services sociaux, notamment, a permis d’analyser des problématiques de maintien d’activité, d’évacuation, d’approvisionnement, etc., en mettant en lumière les effets en cascade qui peuvent être considérables. Le fonctionnement urbain est un équilibre fragile. Dès lors qu’il n’y a plus d’électricité, il y a toute une série de services qui ne sont plus disponibles. De même, des problèmes nouveaux apparaissent si l’évacuation des déchets n’est plus assurée de façon continue. La crise a ainsi un très fort pouvoir de désorganisation.

Durant l’exercice «EU Sequana», des opérations de prévention ont également été mises en place à destination du grand public, comme ici sur le Champ-de-Mars, le 13 mars 2016, avec ateliers, démonstrations, présentation de matériels et points d'information.
Durant l’exercice «EU Sequana», des opérations de prévention ont également été mises en place à destination du grand public, comme ici sur le Champ-de-Mars, le 13 mars 2016, avec ateliers, démonstrations, présentation de matériels et points d'information.

 
Quelques semaines après EU Sequana, l’Île-de-France a connu une vraie crue de la Seine3 : la réponse apportée a-t-elle clairement bénéficié de l’exercice ?
V. N. : Cela a énormément aidé. Nous étions présents en salle de crise durant tout l’événement et nous avons constaté que la coordination avait clairement bénéficié de l’exercice. En effet, beaucoup de partenaires faisaient référence à EU Sequana. L’exercice a contribué à ce que les acteurs se rencontrent, ou se connaissent mieux car tous les contacts avaient été mis à jour pendant EU Sequana. Les participants ont ainsi bénéficié de leur examen des scénarios et des chronologies d’action. Ils avaient aussi étudié le séquençage de la réponse à la crue et cela leur a permis d’être réactifs au bon moment.
Ils ont cependant été surpris par la vitesse de la montée des eaux. Aucune catastrophe ne ressemble à une autre, aucune crise ne se déroule exactement de la façon dont on l’attend. Surtout, cela ne va pas forcément se passer comme lors de l’exercice ! C’est pour cela qu’un bon gestionnaire de crise doit pouvoir s’adapter à tout instant à une situation mouvante et imprévue.

Vous présentez votre ouvrage, codirigé avec Laurence Créton-Cazanave, un an tout juste après EU Sequana et on peut dire que de votre démarche de recherche originale vous avez tiré un ouvrage atypique.
V. N. : Un des axes de recherche du projet Euridice est de travailler sur la capitalisation des connaissances. En tant que chercheurs embarqués, nous avons proposé ce livre comme une forme de capitalisation. Très peu d’ouvrages ont été écrits sur les exercices et, d’autre part, nous avons choisi une écriture croisée chercheurs-opérationnels. L’ouvrage est original du point de vue de sa structure, qu’on peut lire de façon événementielle ou par sujets. Cette double entrée permet de lire de façon chronologique – l’avant, le pendant et l’après – ou thématique : l’écriture du scénario, les outils, la circulation de l’information, la planification, la culture du risque, etc.
 

Simulation d’évacuation lors de l’exercice «EU Sequana», à Valenton (Val-de-Marne), le 12 mars 2016.
Simulation d’évacuation lors de l’exercice «EU Sequana», à Valenton (Val-de-Marne), le 12 mars 2016.

Vous posez la question dans le livre : est-ce que l’exercice fera date ? Selon vous, préfigure-t-il une nouvelle façon de se préparer à la gestion de crise en Europe et dans le monde ?
V. N. : J’espère que ce ne sera pas une expérience unique, mais cela a demandé tellement de préparation que cela ne peut pas être reproduit facilement. C’est aussi très coûteux et le financement, ici européen, n’est pas aisé à collecter.
Pour certaines institutions, faire des exercices, c’est une routine, il y en a en permanence, mais une simulation de cette ampleur, avec ces moyens et autant de participants, c’est très rare. D’où l’intérêt d’en tirer les enseignements les plus complets possible.

Lire aussi le diaporama « Une maquette géante pour comprendre les inondations »

 

Notes
  • 1. Directrice du LATTS, Laboratoire techniques, territoires, sociétés (Unité CNRS/École des Ponts ParisTech/Université Paris-Est).
  • 2. Euridice : équipe de recherche sur les risques, dispositifs de gestion de crise et des événements majeurs. https://euridice.hypotheses.org
  • 3. Un documentaire d’Éric Beauducel sur la crue de juin 2016, « Journal d’une crue », comportant des entretiens avec les chercheurs, sera diffusé en juin sur les chaînes RMC Découvertes et Science et Vie.
Aller plus loin

Auteur

Bruno Caïetti

Bruno Caïetti est journaliste.

À lire / À voir

La gestion de crise à l’épreuve de l’exercice EU Sequana, Valérie November et Laurence Créton-Cazanave (dir.), La Documentation Française, mars 2017, 237 p., 15 €.
 

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