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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches bénéficient du label « Science avec et pour la société » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
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Par le réseau de communicants du CNRS

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Les macrophages, des cellules immunitaires à plusieurs facettes
02.05.2024, par Simon Pierrefixe
Mis à jour le 02.05.2024

En fonction des besoins de l’organisme, les macrophages changent de comportements et de caractéristiques. Comprendre les signaux qui régulent ces changements dynamiques reste un défi pour la recherche.

Partout dans notre organisme, des macrophages patrouillent. Ces cellules du système immunitaire constituent en effet notre première ligne de défense contre les pathogènes. Mais ils jouent aussi un rôle dans la réparation et la cicatrisation des tissus. « Les macrophages présentent une multitude de saveurs », révèle Mai Nguyen-Chi, chargée de recherche CNRS dans le laboratoire des pathogènes et de l'immunité de l’hôte1. Pour assurer ces différentes fonctions biologiques dans l’organisme, ces cellules peuvent en effet exhiber différentes caractéristiques qui conditionnent leur comportement. En biologie, on parle alors de différence de phénotype. « Les macrophages peuvent par exemple présenter un phénotype pro-inflammatoire pour lutter contre les pathogènes ou à l’inverse, anti-inflammatoire pour réguler l’inflammation et favoriser la réparation des tissus », précise la biologiste. Ces différents phénotypes ont été largement examinés in vitro mais leur étude in vivo est plus difficile.

Quel drôle de zèbre, ce poisson !

Pour remédier à cette situation, Mai Nguyen-Chi et son équipe utilisent un modèle expérimental assez spécial : la larve du poisson-zèbre (Danio rerio).

© Mai Nguyen Chi / Larve de poisson zèbre à 2 jours de développementLarve de poisson zèbre (Danio rerio) à 2 jours de développement par microscopie à lumière transmise. © Mai Nguyen Chi.

© Mai Nguyen Chi / Larve de poisson zèbre à 3 jours de développementLarve de poisson zèbre (Danio rerio) à 3 jours de développement par microscopie à lumière transmise. © Mai Nguyen Chi.

« Ce poisson d’eau douce s’élève assez facilement. Par ailleurs, ses gènes et ses types de cellules présentent une forte similitude avec ceux des humains, déclare la chercheuse. De plus, il est relativement aisé de le manipuler génétiquement afin d’obtenir différentes lignées transgéniques. Nous pouvons par exemple intégrer dans leur génome des gènes de fluorescence afin de rendre visible certains types de cellules, comme les macrophages par exemple. » La larve du poisson-zèbre est en effet transparente. Il est donc possible d’observer ce qui se passe à l’intérieur de son organisme et de suivre en temps réel des macrophages fluorescents par transparence. Pour autant, identifier ces cellules immunitaires très mobiles d’environ 15 micromètres dans une larve vivante de quelques millimètres, même anesthésiée, reste un challenge. « Pour cela, nous utilisons des techniques de photoconversion, ainsi que la microscopie confocale à haute résolution spatio-temporelle, et nous collaborons avec l’équipe de mathématiciens de Karol Mikula de l’Université slovaque de technologie à Bratislava pour analyser les images obtenues afin d’identifier de façon automatique les macrophages dans les tissus et les suivre au cours du temps », explique Mai Nguyen-Chi.

Pro ou anti ?

Grâce à ces outils innovants, la chercheuse et ses collaborateurs ont pu observer le comportement des macrophages de larves de poisson-zèbre lorsque leur nageoire caudale est coupée. « Cette coupure stérile déclenche une inflammation transitoire, suivie d'une phase de résolution qui contribue à la régénération complète du tissu endommagé », ajoute la chercheuse. Le poisson-zèbre présente en effet cette particularité évolutive : il régénère ses nageoires lorsque celles-ci sont coupées. « L’inflammation provoque immédiatement l’activation de macrophages qui migrent vers la blessure », continue Mai Nguyen-Chi.

© Mai Nguyen Chi / macrophage visualisé grâce à la fluorescence rougeAu stade de la régénération de la nageoire caudale chez la larve de poisson-zèbre, le macrophage, visualisé grâce à la fluorescence rouge, change de comportement et de forme et adopte une morphologie en étoile. Microscopie confocale Zeiss FastAiryscan. © Mai Nguyen Chi.

Grâce à des marquages fluorescents différents en fonction de l’état pro- ou anti-inflammatoire des macrophages, les scientifiques ont pu confirmer in vivo la réorientation progressive du phénotype de ces cellules immunitaires. « Pendant longtemps, il était admis que les phases d’inflammation et de résolution étaient associées à différentes populations de macrophages, pro- et anti-inflammatoire, alors qu’en réalité, une seule et même population est recrutée et celle-ci passe progressivement d’un phénotype pro-inflammatoire à anti-inflammatoire. » Les macrophages ne sont donc pas figés dans leur état mais présentent une certaine plasticité pour répondre de façon dynamique aux besoins de l’organisme.

Mécanismes et signalisation

Mais de nombreuses questions restaient en suspens, notamment sur les signaux cellulaires et les mécanismes moléculaires qui contrôlent cette plasticité. C’est pour tenter d’y répondre que le projet Macrophage Dynamics a été lancé en 2020. « Il nous a permis de décortiquer le rôle de gènes et de certaines voies de signalisation impliqués dans le changement de phénotypes des macrophages chez ces poissons », ajoute la chercheuse. Les scientifiques se sont particulièrement intéressés à certains signaux émis précocement par la blessure dans le but de recruter des macrophages. « Ces travaux nous ont notamment permis de montrer in vivo que la voie de signalisation du calcium est non seulement importante pour le recrutement des macrophages mais aussi pour leur activation vers des états pro-inflammatoires. Nous avons par ailleurs identifié trois gènes – Lyn, Yrk et NfKB – comme des régulateurs clés de l'activation des macrophages en cas de blessure. » Les chercheurs se sont aussi intéressés au métabolisme des lipides. « Lorsque la lipoxygénase 15, une enzyme qui facilite l’oxydation des acides gras, est inhibée, le changement de phénotype des macrophages est plus lent et la régénération de la nageoire caudale est altérée. En revanche, si la protectine D1, un lipide impliqué dans la résolution de l’inflammation, est ajouté, la plasticité des macrophages est rétablie tout comme le processus de régénération. » Des résultats importants qui mettent en évidence de nouvelles cibles thérapeutiques pour moduler les réponses des macrophages lors de cicatrisations pathologiques ou de traumatismes.

Au-delà des blessures et traumas, contrôler la plasticité des macrophages pourrait aussi se révéler pertinent pour lutter contre certaines pathologies comme les cancers, les maladies auto-immunes ou encore les infections chroniques. À l’aide de leurs techniques innovantes, Mai Nguyen-Chi et ses collaborateurs ont ainsi récemment montré chez des larves de poisson-zèbre que la bactérie Salmonella typhimurium peut persister dans certains macrophages anti-inflammatoires et ainsi échapper au système immunitaire.

© Jade Leiba / Reconstruction 3D des surfaces cellulaires avec les salmonelles et macrophagesMicroscopie confocale Spinning disk. Reconstruction en 3 dimensions des surfaces cellulaires avec les salmonelles en gris et les macrophages en rouge, 4 jours après l'infection. © Jade Leiba.

Le financement du projet Macrophage Dynamics est aujourd’hui terminé mais l’équipe de Mai Nguyen-Chi continue d’étudier les processus d’inflammation, notamment à travers le projet Inflanet qui met en réseau huit universités et centres de recherche ainsi que deux partenaires industriels de sept pays de l’Union européenne dans le but de former les futur·e·s expert·e·s de l’inflammation. À l’image des macrophages, la recherche est, elle aussi, dynamique.

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre de l'ANR MacrophageDynamics - AAPG2019. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Science Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI JCJC et PRC AAPG 18/19).
 

Notes
  • 1. LPHI. Unité CNRS / Université de Montpellier

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