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De l’atome au matériau, la chimie donne matière(s) à penser. Qu'ils touchent aux nanomédicaments, aux téléphones mobiles, aux véhicules à hydrogène ou à l’utilisation de la biomasse, des chimistes explorent de nouvelles pistes en tenant compte des enjeux environnementaux et sociétaux. Lancé à l'occasion de l'année de la chimie, ce blog est une invitation à découvrir leurs travaux et leurs réflexions.
 

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Les sucres règnent sur notre vie
05.02.2019, par Anne Imberty et Serge Pérez
Derrière l’acception commune « le sucre », se cachent en réalité des molécules complexes autrement appelées « glycanes ». Ces glycanes de toutes formes, de toutes tailles règnent sur le vivant. Objets d’étude des glycosciences, ils protègent et soignent notre corps, diagnostiquent la maladie, constituent la biomasse végétale terrestre et inspirent les matériaux de demain.

Le sucre ou les sucres ?
Combien de sucres prendrez-vous dans votre café ? Une phrase qui réduit à peau de chagrin l’acception du mot « sucres » pour le grand public. Le saccharose contenu dans un morceau de 5 grammes n’est qu’une incarnation parmi les nombreux sucres qui composent notre environnement quotidien. L’étude des molécules « sucrées » et de leurs diverses propriétés fonctionnelles et biologiques est l’objet des glycosciences. Ces dernières regroupent l’ensemble des disciplines scientifiques qui étudient les glucides complexes.  Le terme glycane (du grec γλυκός) est employé pour décrire des molécules complexes de différentes tailles, oligosaccharides à polysaccharides, qui peuvent être attachées à d’autres molécules biologiques, lipides ou protéines. Elles sont présentes dans tous les règnes du vivant et sont les plus abondantes de la biosphère.

Des sucres au quotidien
Certains sucres ont des applications dans la vie courante. Alors que saccharose, lactose et maltose sont connus dans l’alimentation, le tréhalose permet de congeler des cellules ou des tissus. Les cyclodextrines, oligosaccharides cycliques, permettent d’encapsuler mauvaises odeurs ou principes actifs. Les glycanes présents à la surface de toutes les cellules permettent le dialogue avec le milieu extérieur. Ils sont impliqués dans de nombreux processus biologiques dès le début de la vie : fertilisation, développement embryonnaire, migration des neurones, etc. En première ligne pour protéger contre l’adhésion d’un microbe sur les tissus, ou au contraire pour la faciliter, ils jouent un rôle crucial dans les maladies infectieuses. Nos glycanes sont complexes et présentent des compositions et architectures variables en fonction du type de cellules, du développement, mais aussi de notre généalogie (des oligosaccharides définissent les groupes sanguins ABO) ou de notre état de santé : nos glycanes constituent des marqueurs et leur analyse permet de détecter des maladies chroniques (cancer, inflammation… mais aussi consommation chronique d’alcool).
 Cermav)
Oligosaccharides humains avec la lectine PhosL de champignon. Graphisme par le logiciel SweetUnityMol (Crédit : Cermav)
 
 
Les polysaccharides, qui peuvent être constitués de plusieurs centaines de monosaccharides, forment la majeure partie de la biomasse végétale terrestre. La cellulose est le constituant majeur de la paroi des cellules des plantes et l’amidon leur permet de stocker l’énergie. Les polysaccharides sécrétés par les bactéries sont des macromolécules complexes souvent impliquées dans la formation de biofilms qui leur permettent de vivre en communauté et de limiter la diffusion des antibiotiques. 
 
Des sucres modifiables à volonté
La « glycomique » est l’analyse des  glycanes extraits de différentes sources. C’est une discipline complexe qui conjugue chromatographie, spectrométrie de masse et informatique. La chimie de synthèse, qui permet d’obtenir les molécules standard nécessaires à toute analyse, est un art difficile principalement fondé sur des méthodes multi-étapes. La recherche de catalyseurs et l’étude des mécanismes réactionnels constituent des champs actifs de recherche, avec l’arrivée des premiers robots capables de remplacer le chimiste pour la synthèse de certains glycanes. Adossés à ces développements, la synthèse enzymatique et l’ingénierie métabolique (glycobiologie de synthèse) proposent des voies complémentaires. Les progrès en résonance magnétique nucléaire (RMN) et en chimie computationnelle permettent d’étudier la forme des glycanes à différentes échelles et environnements, jusque dans les cellules ou les bactéries.
 
Les développements récents en chimie-biologique, permettent maintenant de modifier un glycane au cœur même des cellules, pendant le processus de biosynthèse, en lui ajoutant un groupement chimique artificiel. Ce marquage métabolique ouvre  la voie à des études multiples. Il est par exemple possible de visualiser un glycane par des composés fluorescents pour suivre son devenir à la surface des cellules et pour caractériser ses interactions avec des récepteurs. 
 
Des sucres pour soigner
Les oligosaccharides sont assemblés par les chimistes sur des surfaces ou des particules telles que les « puces à sucres » utilisées à des fins diagnostiques ou des « glyconanoparticules » permettant la vectorisation de principes actifs.  Les nouveaux vaccins glycoconjugués ne seront plus obtenus à partir de bactéries inactivées ou de fragments de leur paroi, mais sont synthétisés au laboratoire, évitant ainsi les effets secondaires. Le vaccin synthétique contre Haemophilus influenza (méningite et pneumonie) est déjà sur le marché et les efforts en cours pour synthétiser des glycovaccins contre la malaria, la tuberculose, mais aussi certains cancers, sont très prometteurs.
 
Les médicaments dérivés des glycanes ont trouvé des applications dans des maladies métaboliques rares liées au métabolisme des glycoconjugués (maladie de Gaucher), mais aussi dans des pathologies très largement répandues comme le diabète. L’oseltamivir (Tamiflu®) et le zanamivir (Relenza®) sont les médicaments phares contre la grippe et agissent en mimant un sucre présent dans nos voies aériennes et en bloquant ainsi l’action d’une enzyme du virus. Le composé fondaparinux (Arixtra®) est un anticoagulant de synthèse très largement utilisé.
 
Les nouvelles applications thérapeutiques s’appuient sur des architectures plus complexes qui permettent d’utiliser aux mieux la multivalence des glycanes, soit pour bloquer l’action de certaines enzymes, soit pour interférer dans les processus infectieux. La glycobiologie de synthèse permet de produire des biomédicaments présentant des glycanes adaptés à l’organisme humain et les méthodes d’analyse permettent de les caractériser.
 
Des sucres pour les matériaux de demain
La chimie des polymères, ou des matériaux en général, s’intéresse également aux glycanes qui représentent une matière première qui peut être modifiée apportant ainsi de nouvelles propriétés  mécaniques ou fonctionnelles. La conjonction de la chimie et de la physique de la matière condensée permet de créer des systèmes auto-assemblés : nanocristaux, films, fibres ou gels de polysaccharides. Il est ainsi possible de construire de nouveaux glyco-nano-objets (vésicules, nano-particules, nano-fibres). Les nouveaux matériaux peuvent être mis en forme de différente façons, films, fibres, objets imprimés en 3D.

Les applications de ces systèmes biopolymères organisés stimulables et biomimétiques sont nombreuses : libération contrôlée de médicaments, renforts nanométriques aux surfaces ultraminces servant de support d'emballage, de barrières, de membranes et de capteurs, ou encore orientation, organisation et stockage d'information. De quoi changer définitivement notre regard sur le morceau de sucre en train de fondre dans notre café...
 
  
Les auteurs :
Anne Imberty est directrice du Centre de recherches sur les macromolécules végétales (Cermav). Elle anime le réseau interdisciplinaire Glyco@Alps à l’Université Grenoble Alpes qui coordonne les glycosciences de Grenoble. Elle est éditeur associée de la revue
Glycobiologie.
Serge Pérez est directeur de recherche émérite au CNRS. Directeur du Cermav pendant onze ans, puis directeur des sciences du vivant à l’ESRF, il a conduit et continue de conduire des recherches en glycobiologie structurale. Impliqué dans plusieurs actions au niveau européen, il est le créateur et l’animateur du blog « glycopedia.eu »
 

 
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