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A propos

Du 1er juillet au 22 septembre, le CNRS présente ses archives aux Rencontres d’Arles, à travers une grande exposition photo intitulée «La saga des inventions. Du masque à gaz à la machine à laver - Les archives du CNRS». Ce blog en est l'émanation.

Les auteurs du blog

Luce Lebart
est historienne de la photographie, commissaire de l’exposition La saga des inventions, à Arles, et chercheuse et correspondante française pour la collection Archive of Modern Conflict.

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Tu viens en métro ? Non, en trottoir roulant !
03.09.2019, par Luce Lebart
À Paris, les problèmes de circulation ne datent pas d’aujourd’hui : dans les années 1920, on essayait déjà de trouver des solutions pour la fluidifier. La preuve en images avec ce projet de trottoir roulant envisagé pour les sous-sols parisiens.

« Ça bouchonne»…  Le cauchemar de la circulation à Paris est loin d’être un phénomène récent comme le rappelle la revue La Nature en 1925 : « Depuis le XVIe siècle et même avant, l’édilité parisienne cherche, sans y parvenir, à faciliter la circulation à travers les rues de la Ville-Lumière ».  Dans le Paris des années vingt, les transports en commun ne suffisent plus à couvrir les besoins sans cesse croissant de la capitale. Une solution innovante de désengorgement est alors envisagée : on projette de transformer le sous-sol de la Ville Lumière en un réseau de trottoirs roulant souterrains.
 
C’est dans ce contexte que la Ville de Paris met au concours, en juillet 1921 : « un système mécanique à débit continu pour véhiculer rapidement les gens à travers les principales rues de Paris ». Parce qu’il visait à « décongestionner la circulation parisienne en surface », ce système mécanique se devait premièrement d’être souterrain.  Aidé par le père du métro parisien, Fulgence Bienvenüe, l’Office des inventions est chargé d’examiner les projets. Sur les trente-huit propositions d’ingénieurs, 25 furent éliminées d’office et treize examinées. Le rapport d’expertise de Mr Ott, ingénieur en chef des services techniques du métropolitain parisien, ne laissa plus que deux projets en liste.

Trottoir roulant installé à l’Office nationale des recherches industrielles et des inventions, Bellevue. Plaque de verre au gélatino-bromure d’argent, CNRS.

Deux prototypes de tapis roulant se déplaçant entre 12 et 15 kilomètres / heure sont finalement construits et testés sur le site de l’Office nationale de recherche scientifique et industrielle et des inventions, (ONRSII), à Meudon (Bellevue). Le premier système, dit à « arbres cannelés », fait intervenir « des bandes parallèles à vitesses graduées » et s’apparente aux plates-formes qui fonctionnèrent aux Expositions de Chicago (1892) et à l’exposition universelle de Paris (1900). Le deuxième système est « à courroies » et « à chemin de circulation unique » : il est desservi en station par des appareils spéciaux d’embarquement et de débarquement des voyageurs. Il est muni d’un démarreur et d’un ralentisseur permettant le passage par paliers à la vitesse de 15 km/h.

Avec de tels engins, le débit horaires est d’environ 70 à 72 000 voyageurs alors que les autobus n’en transportent alors que 1000 et le métropolitain 12 000. Les chiffres sont prometteurs et la municipalité se met à rêver d’un réseau de trottoirs roulants souterrains.

Il est projeté d’en équiper les Grands Boulevards, de relier la Madeleine à la place de la République comme de rapprocher les champs de courses, du bois de Boulogne à Longchamp et Auteuil… On envisage de dégager les grandes artères de la ville comme d’équiper les voies métropolitaines trop passagères ou mal desservies.

Extrait du film : Jean Comandon, « Présentation de deux trottoirs roulants à l’Office nationale des recherches industrielles et des inventions. Support original : film de 35 mm, 1925. Collection : CNRS. Numérisation effectuée par le CNC.

Le Docteur Jean Comandon, alors responsable du service photographique et cinématographique de l’Office nationale de Recherche Scientifique et industrielle et des inventions (ONRSII) réalise deux films dont une Présentation du trottoir roulant et une Étude psychophysiologique sur l’utilisation du trottoir roulant qui servira de base à une étude scientifique. Soucieux de vérifier qu’un tel dispositif s’accorde avec les dispositions du corps humain, le directeur de l’ONRSII, Jules-Louis Breton avait chargé le professeur Henri Piéron, titulaire de la chaire de physiologie des sensations du Collège de France, d’une « Étude psychophysiologique des systèmes d’accélérateurs d’accès à un trottoir roulant ».

Le rapport du Professeur au Collège de France fait l’objet d’une communication à l’Académie des sciences intitulée : « Du temps de latence des réactions d’équilibration aux brusques accélérations longitudinales. » Selon le spécialiste, les problèmes liés à l’emploi du trottoir roulant sont de deux ordres et concernent premièrement « l’effet général des accélérations sur l’organisme » et deuxièmement, « les limites d’accélération compatibles avec le maintien de l’équilibre ».
 
Aidé par le directeur adjoint et le préparateur du Laboratoire de psychophysiologie de la Sorbonne, le professeur Piéron réalise des tests de pression sanguine avant et aussitôt après passage sur l’appareil avec un oscillomètre à double brassard dont les résultats l’amènent à considérer comme physiologiquement négligeable l'action générale sur l'organisme des accélérations du trottoir roulant.

Extrait du film : Jean Comandon, Etude psychophysiologique sur l'utilisation du trottoir roulant, service de photographie et de cinématographie de l’Office nationale des recherches industrielles et des inventions (ONRSI). Support original : film de 35 mm, 1925. Collection : CNRS. Numérisation effectuée par le CNC.

 
En matière d’«Equilibration», les risques sur la santé sont moindres car, ainsi qu’il l’explique, si « un individu aborde un appareil accélérateur sans entraînement, il va subir une oscillation passive par inertie ; sous l’influence de la réception labyrinthique de l’accélération et de la perception kinesthésique de l’oscillation subie, il va se produire un jeu de réflexes compensateurs ».
 
Force est de constater que ce Paris de trottoir roulant souterrain est resté de l’ordre du rêve, même si certains virent tout de même le jour tel celui de la gare Montparnasse ou celui de Chatelet - Les Halles. Comme souvent dans l’histoire des innovations d’envergures soutenues par l’Office, la faisabilité, c’est-à-dire ici en premier lieu le coût de production des projets pouvait décourager l’administration (creusement du réseau, aération, électrification, motorisation). Dans le cas des trottoirs roulant, la problématique de leur entretien permanent fût aussi dissuasive.
 

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À voir 

L’exposition La saga des inventions. Du masque à gaz à la machine à laver, les archives du CNRS, coproduite par les Rencontres d’Arles et le CNRS, en partenariat avec les Archives nationales, à Arles, à l’espace Croisière, du 1 juillet au 22 septembre 2019.

À lire
Inventions 1915-1938, en librairies et sur le site des Rencontres d’Arles.

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Références :
Jacques Boyer, « Nouveaux trottoirs roulant pour Paris », La Nature, 53e année, deuxième semestre, n°2692, 7 novembre 1925.
Henri Piéron, « L’Etude Psychophysiologique des systèmes accélérateurs d’accès à un trottoir roulant », Recherches et inventions, septième année, n°136, 1er mai 1926
Comité technique de mécanique, « Projet de trottoir roulant système Bouchet : résumé du projet soumis par M. Bouchet pour le concours de la Ville de Paris », Recherches et inventions, 1925.
M. François, D. Meyerson et H. Piéron, « Du temps de latence des réactions d'équilibration aux brusques accélérations longitudinales », Comptes-Rendus de l’Académie des Sciences, t. 181, 1925.
Denis Guthleben, Rêves de savants. Etonnantes inventions de l’Entre-deux-guerres, Armand Colin, 2011. p. 106-109

 

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