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La charge mentale, une double peine pour les femmes
04.03.2021, par Sarah Flèche, Laura Sénécal
Une étude menée par des économistes analyse comment la charge mentale que les femmes subissent encore majoritairement aujourd’hui ne leur permet pas de concilier équitablement vie professionnelle et familiale et nuit à leur bien-être. Un billet à lire sur le blog de la revue Dialogues économiques.

Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.

Une femme qui passe plus de temps au travail que son conjoint, où est le problème ? C’est pourtant plus rare. Et pour cause : la répartition inégale des tâches domestiques s’ajoute souvent à leur activité professionnelle – c’est ce que montre une étude réalisée par Sarah Flèche, Anthony Lepinteur et Nattavudh Powdthavee. La charge mentale, que les femmes subissent encore majoritairement aujourd’hui, ne leur permet pas de concilier équitablement vie professionnelle et familiale et nuit à leur bien-être.

À partir du XXe siècle, les femmes acquièrent de nouveaux droits et s’émancipent de leur rôle d’épouse et de mère au foyer pour accéder à l’éducation et au marché du travail. Malgré des décennies de luttes et d’importants progrès en la matière, elles peinent toujours à être les égales des hommes dans la sphère professionnelle. Les discriminations à l’embauche, les comportements sexistes au travail, le fameux plafond de verre qui bloque leur accès à des postes à responsabilité et freine leur évolution de carrière, ou encore le manque de parité sont autant d’éléments qui creusent le fossé des disparités entre les hommes et les femmes. En 2015 en France, les hommes gagnent 23 % de plus que les femmes et 1,2 million de femmes salariées sont en situation de temps partiel subi, contre 471 800 hommes (Insee). De nombreuses études se sont penchées sur les causes de ces inégalités persistantes entre hommes et femmes. Au-delà de la discrimination, les femmes demeureraient largement défavorisées sur le marché du travail en raison de choix professionnels différents (métiers, secteurs et temps de travail) et de leurs comportements moins risqués et moins compétitifs. 

Des inégalités professionnelles aux inégalités ménagères

Mais comment expliquer que les femmes, pourtant en moyenne plus diplômées que les hommes, font des choix professionnels qui les désavantagent ? Et si les causes de ces inégalités professionnelles résidaient dans la sphère privée ? En 2010 en France, les femmes consacrent encore 4 heures par jour en moyenne aux tâches domestiques, soit une heure de moins que dans les années 1990. Les hommes quant à eux y consacrent 2 heures, comme il y a trente ans. Selon l'Insee, en 2010, les femmes prennent en charge 64 % des tâches domestiques et 71 % des tâches parentales au sein des foyers. Cette prise en charge n’est pas sans conséquences. À cause de cette gestion inégale de la vie familiale au sein du couple, les femmes subissent une charge cognitive importante : la charge mentale. Cette charge liée à la sphère privée ne s’ajoute pas simplement à l’activité professionnelle mais empiète sur celle-ci. Les femmes la portent au travail, ce qui influence leurs choix ainsi que leurs comportements professionnels. Ce sont précisément ces choix et comportements qui diffèrent de ceux des hommes et participent à creuser le fossé entre les genres sur le marché du travail.

La charge mentale est un « travail de gestion, d'organisation et de planification qui est à la fois intangible, incontournable et constant, et qui a pour objectif la satisfaction des besoins de chacun et la bonne marche de la résidence », selon la chercheuse Nicole Brais (Université Laval, Québec). Il s’agit davantage de la charge cognitive associée à la gestion propre des tâches domestiques que de la réalisation de ces tâches. Le problème ? Cette charge n’est pas répartie équitablement au sein du couple et reste encore aujourd’hui majoritairement supportée par les femmes, accentuant les inégalités sur le marché du travail.

La charge mentale pèse sur le bien être des femmes

Au-delà de son impact sur les inégalités professionnelles, la charge mentale affecte aussi le bien-être des femmes. Une étude réalisée par Sarah Flèche, Anthony Lepinteur et Nattavudh Powdthavee montre que les femmes qui travaillent plus que leur conjoint sont moins heureuses. Elles sont moins satisfaites de leur vie familiale et conjugale et sont davantage stressées. 

Pour en trouver les causes, ces trois chercheurs ont réalisé une étude basée sur les réponses de couples américains entre 2015 et 2016. Ils analysent l’impact de la durée relative du temps de travail et de la division des tâches ménagères sur la satisfaction globale des hommes et des femmes. Leurs résultats indiquent que la répartition des tâches domestiques explique en grande partie pourquoi les femmes sont moins heureuses lorsqu’elles travaillent plus que leur conjoint. Pour preuve, lorsque les conjoints consacrent plus de temps aux tâches domestiques, les femmes supportent mieux le fait de travailler plus qu’eux. Ainsi, l’insatisfaction des femmes à travailler plus que leur conjoint serait directement due à un manque d’équité dans le partage de ces tâches. Cette répartition inégale alimente la charge mentale qui pèse majoritairement sur les femmes. Non seulement elles font plus d’heures que leur conjoint au travail, mais elles travaillent également davantage à la maison. À cause de cette double journée qu’elles mènent, les femmes ont besoin de plus de flexibilité au travail. Lorsque cette flexibilité n’est pas possible, la charge mentale s’accroît et pèse sur leur bien-être.

© « Fallait demander ! » par Emma, Un autre regard, Tome 2, Massot éditions, 2017.

© « Fallait demander ! » par Emma, Un autre regard, Tome 2, Massot éditions, 2017. 

Les conséquences des normes sociales

Pourquoi la charge mentale continue-t-elle de peser sur le bien-être des femmes ? L’étude réalisée par Sarah Flèche, Anthony Lepinteur et Nattavudh Powdthavee questionne l’hypothèse d’une persistance des stéréotypes de genre à la maison comme au travail. Les inégalités sur le marché du travail pourraient s’expliquer par le fait que les femmes ne veulent pas aller à l’encontre des prescriptions sociales, comme par exemple, « une femme doit gagner moins que son mari » (et s’éloigner de cette norme serait mettre en danger son couple). D’autres travaux ont montré qu’une part significative de femmes cessent leur activité professionnelle lorsqu’elles gagnent plus que leur mari, et préfèrent réduire leur nombre d’heures travaillées. Pourtant, les hommes interrogés sont indifférents au fait que leur femme gagne ou travaille davantage. Aussi, les femmes qui travaillent plus que leur conjoint témoignent en général d’une vision plus égalitariste du couple et pourraient donc être plus affectées par un partage inégal des tâches domestiques. 

Ainsi, les résultats des trois chercheurs suggèrent que l’inégale répartition des tâches domestiques explique en grande partie l’aversion des femmes à travailler plus que leur conjoint. Ce n’est pas tant la volonté de se conformer (sciemment ou non) aux comportement attendus et prescrits par la société mais plutôt les conséquences de ces comportements stéréotypés qui alourdissent la charge mentale et pèsent sur le bien-être des femmes.

Partager la charge mentale

Selon cette étude, le recours à des services domestiques externalisés (comme l’aide au ménage et à la garde d’enfants) permettrait aux femmes de consacrer moins de temps et d’énergie aux tâches domestiques, améliorant ainsi leur bien-être. Toutefois, la charge mentale provient de normes sociales inculquées par l’attribution de rôles et comportements distincts en fonction du genre. Les femmes ont évolué en s’émancipant de leur rôle de femmes au foyer, épouses et mères mais les normes sociales liées à la gestion du foyer peinent à progresser au même rythme. C’est pourquoi les auteurs recommandent également d’encourager les hommes à faire davantage de tâches domestiques, ce qui passe par une modification des rôles et comportements genrés inculqués dès le plus jeune âge. 

La solution résiderait alors davantage dans l’éducation des garçons et des filles. Des politiques publiques visant à renverser les images, actions et discours qui véhiculent les stéréotypes et normes de genre sont essentielles. À titre d’exemple, l’augmentation de la durée du congé paternité sera une mesure d’autant plus efficace lorsque les mentalités auront évolué dans ce sens. Il s’agit aujourd’hui de permettre aux femmes et aux hommes d’articuler de façon équitable leurs vies professionnelle et familiale. ♦

Référence : Flèche S., Lepinteur A., Powdthavee N., 2018, "Gender Norms and Relative Working Hours: Why Do Women Suffer More Than Men from Working Longer Hours Than Their Partners?", AEA Papers and Proceedings, 108, 163-68. DOI: 10.1257/pandp.20181098

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