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Ce blog est alimenté par Dialogues économiques, une revue numérique de diffusion des connaissances éditée par Aix-Marseille School of Economics. Passerelle entre recherche académique et société, Dialogues économiques donne les clefs du raisonnement économique à tous les citoyens. Des articles sont publiés tous les quinze jours et relayés sur ce blog de CNRS le journal.

 

 

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Ruée vers l’Arctique : quel pays nous sauvera de la catastrophe climatique ?
10.04.2019, par Justin Leroux, Daniel Spiro, Claire Lapique
Région riche en pétrole et en gaz, l'Arctique attire les convoitises... Alors que la Norvège vient de décider de refuser le forage des îles Lofoten au nord de son cercle polaire, les économistes Justin Leroux et Daniel Spiro décryptent cette situation géopolitique particulièrement complexe et dévoilent des éléments de stratégie pour les pays qui souhaitent faire barrage à l'exploitation de la région. A lire dans ce nouveau billet du blog Dialogues économiques.

  
  
La Norvège a pris la décision historique de refuser le forage des îles Lofoten au nord de son cercle polaire. Elle montre la voie à suivre pour préserver l'environnement aux autres pays qui seraient tentés par la "ruée vers l’Arctique". La région, riche en pétrole et gaz, attire les convoitises, et en particulier, celles de la Russie. Pour l’instant, l’impasse technologique face aux conditions climatiques extrêmes freine les ardeurs. Mais, pour sauver l’Arctique, les États du Conseil de l’Arctique ont tout intérêt à refuser l'exploitation comme l'a fait la Norvège. Leur rôle a d’autant plus de poids qu’ils seront fermes et unis. 

Rarement aura-t-il été aussi productif de ne rien faire. C’est la conclusion de notre récent article scientifique portant sur les stratégies à adopter en ce qui concerne l’exploitation de l’Arctique. Tous devraient suivre cette décision pour rester sous la barre des 2 degrés fixée par les Nations Unies. L’exploitation des ressources arctiques aurait un coût environnemental désastreux. La fonte des glaces s’accélérerait sans compter les conséquences sur l’écosystème en cas de marée noire. Mais avec un quart des réserves en pétrole et en gaz encore non exploités, les membres du Conseil de l’Arctique1 – les États qui y ont accès – oscillent entre l’intérêt économique et le danger écologique. Parmi eux, la Russie s'est ouvertement lancée dans la course. 

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Qu’est-ce que l’Arctique ? 

L’Arctique s’étend sur 14,5 millions de km2 et comprend à la fois le Pôle Nord, l’Océan Arctique ainsi que les territoires qui s’y trouvent2. Mais concernant ses limites, les définitions sont nombreuses. Souvent l’Arctique est défini à travers le cercle polaire, délimité par la latitude 66. Toutefois, d’autres considérations se réfèrent aux zones inférieures à 10 degrés en moyenne en juillet pour parler de l’Arctique. Mais on peut aussi considérer la « ligne des arbres », qui associe la fin de la végétation avec la limite Nord. 

L’Arctique comprend d’importantes réserves de ressources fossiles, peu importe la définition choisie. Seulement, une vision élargie de ces frontières (comme celle de la limite en termes de degré) laisse entendre que la Russie et bien d’autres sont déjà entrés sur le territoire Arctique via les mers du Nord. Il est donc important de savoir à laquelle on se réfère pour comprendre dans quelles zones géographiques on se situe.

La carte ci-dessous montre la différence entre les deux premières limites. 

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L’ambition russe 

La Russie déploie d’importants moyens pour avancer dans les zones les plus extrêmes de l’Arctique. Et, ironie du sort, le réchauffement climatique risque de l’aider, en rendant accessible des zones jusque-là inhospitalières. Toutefois, un obstacle de taille la freine encore. Les technologies ne sont encore pas suffisantes pour faire face aux conditions extrêmes de l’Arctique.

Selon l’Agence internationale de l’énergie la rentabilité des forages en Arctique dépend du prix du baril de pétrole. Pour l’heure, le coût d’exploitation est trop élevé par rapport aux gains potentiels. Selon nos calculs, la Russie entreprendrait seule ses forages dans les zones les plus difficiles seulement si ce prix est supérieur à son coût de production, estimé aujourd’hui à 100 $ sur le long terme. Or, il fluctue actuellement autour de 60 $ le baril3

Même les entreprises pétrolières le reconnaissent : « le potentiel de l’Arctique pourra être totalement exploité seulement grâce aux innovations, aux améliorations technologiques et en réduisant les coûts »4

Les coûts sont encore trop élevés pour que la Russie ou un autre pays entre seul. Toutefois, si d’autres pays du Cercle arctique la rejoignaient, les coûts diminueraient en raison des améliorations technologiques dues à la demande accrue en équipements spécifiques. C’est une règle bien connue : plus un marché s’agrandit, plus les coûts technologiques s’amenuisent. Pour McDonald et Schrattenholzer qui étudient le pétrole en mer du Nord, multiplier par deux le nombre de plateformes pétrolières réduit le coût de production de 25%. 

Ne rien faire…

Si la Russie était sûre d’être suivie par d’autres pays, elle n’hésiterait pas à entreprendre ses activités pétrolifères en Arctique. Elle s’assurerait ainsi d’une baisse des coûts de production. Mais beaucoup de pays du Cercle Arctique, la Norvège, le Canada et le Danemark en tête, émettent de sérieux doutes. Leur sensibilité écologique est en totale contradiction avec l’exploitation ! La Norvège l'a récemment prouvé en refusant de forer le pétrole de ses îles Lofoten au nord du cercle polaire5. Alors qu'elle est considérée comme "la porte d'entrée de l'Arctique" parce qu'elle donne accès aux zones les moins hostiles, son refus est un signal fort. Elle montre que les gains potentiels ne suffisent pas à outrepasser les dommages environnementaux.   

Parce que la Russie a besoin des autres pays, leur poids stratégique est considérable. Le meilleur moyen d’éviter l’exploitation de la zone est de démontrer son intransigeance environnementale en refusant d’exploiter, comme l'a fait la Norvège. Cela élève ainsi les coûts d’exploitation. Une telle décison peut provoquer une réaction en chaîne. Des pays plus indécis, comme les États-Unis par exemple, seront d’autant plus réticents à forer en eaux troubles. La Russie y réfléchira alors à deux fois avant de s’engager seule. 

Mais le faire ensemble

Une bataille à plusieurs s’annonce. La décision de ne rien faire a encore plus de poids si elle est collective. En formant une coalition, les États optent pour une stratégie commune et significative pour dire non à l’avancée russe. C’est une stratégie qui a déjà porté ses fruits. En 2014, Les États Unis, l’Union européenne et plusieurs autres pays ont imposé des sanctions à la Russie après l’annexion de la Crimée. Ils ont profité de cette occasion pour interdire l’exportation de tous biens, services ou technologies susceptibles de soutenir l’exploitation de pétrole dans les eaux profondes et au large de l’Arctique. Une stratégie payante : ExxonMobil, une entreprise pétrolière, a été contrainte de cesser ses activités avec la firme russe Rosneft, ce qui a conduit à la suspension des forages pétroliers dans la mer Kara en Russie. En unissant leurs forces, les États deviennent de véritables remparts pour l’Arctique. 

Qui sauvera l’Arctique ?

Actuellement, si la Russie exploite les ressources fossiles seule, le coût de production est d’environ 100 $. Si tous investissent le territoire, ce coût se réduit considérablement à 56$/baril. Mais si certains pays forment une coalition pour refuser l’exploitation, quelles seraient les conséquences sur les coûts ? En tenant compte de l’étendue des réserves de chacun, nous estimons le poids de chaque pays par rapport à la taille du marché6. Cela nous permet de mesurer leur impact sur les coûts de production lorsqu’ils décident d’entrer en Arctique ou non7

En s’alliant, le Canada, la Norvège et le Groenland sont assurés d’avoir un impact considérable sur les coûts d’exploitation. En tous les cas, le prix du baril est actuellement trop faible pour compenser le coût élevé des technologies à mettre en place. « Ne rien faire » est une solution payante, pour l’économie et l’environnement. 
 
1. Le Canada, le Danemark, les Etats-Unis, la Finlance, l’Islande, la Norvège, la Suède et la Russie sont membres permanents. 
2. Le Canada, la Norvège, le Danemark (via le Groenland), les États Unis et la Russie ont tous réclamé l’accès à ses territoires. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 comprend deux référents. Le premier, « les eaux territoriales, » s’étend jusqu’à 12 miles marins depuis la côte et régule les fonds marins, l’eau et les aires en restreignant le passage des bateaux étrangers au transport de citoyens ou à l’usage d’un détroit. Le second définit les « Zones économiques exclusives » qui s’étendent à 200 miles marins de la côte et donnent à chaque État le droit souverain d’explorer et d’utiliser les ressources tout en laissant le statut « eaux internationales ». 
3. Il s’aligne sur le prix de production du gaz de schiste, à son maximum. 
4. Tom Dodson, directeur d’exploration à Statoil (Aftenposten, 2012)
5.  cf https://positivr.fr/norvege-renonce-petrole-iles-lofoten/
6. Et en faisant l’hypothèse que le nombre de plateformes requises est proportionnel aux réserves exploitées.
7. Coûts ≈ 120$ (production de pétrole dans l'Arctique russe) x 0,75^ln(n)/ln(2) (retombées économiques en fonction de la taille du marché, avec n = nombre de fois que le nombre de plateformes est doublé. Ces calculs sont à prendre avec précaution, ils ne donnent qu’une idée approximative des chiffres à l’œuvre. Toutefois, ils apportent une compréhension claire des logiques qui se jouent.​

Justin Leroux, Daniel Spiro et Claire Lapique 
Infographies : Claire Lapique
© Photo by Jeremy Bishop on Unsplash 
Photo by Annie Spratt

Référence : Justin Leroux, Daniel Spiro, Leading the unwilling: Unilateral strategies to prevent arctic oil exploration, Resource and Energy Economics, Volume 54, November 2018, Pages 125-149.​

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