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De la santé à l’énergie en passant par l’informatique ou la chimie, les recherches menées dans les labos trouvent régulièrement des prolongements dans le monde socio-économique. Découvrez sur ce blog des exemples de valorisation des recherches menées au CNRS, une des institutions les plus innovantes au monde.

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Kayrros, le big data au service de la transition écologique
15.06.2022, par Anne-Sophie Boutaud
Présente sur le stand du CNRS au salon Vivatech à Paris, l’entreprise Kayrros développe des solutions pour le suivi des ressources énergétiques et des risques climatiques.

Détecter, analyser et suivre quasiment en temps réel les stocks de pétrole brut mondiaux, des fuites de méthane ou encore les volumes de carbone séquestrés par les forêts de la planète : fondée en 2016, Kayrros s’appuie sur des données publiques, des images satellites ou des informations recueillies sur les réseaux sociaux pour en dégager des mesures précises. L’objectif : guider les industriels et les politiques publiques dans la transition écologique.

Des solutions innovantes pour le suivi des ressources énergétiques

Le nom est une référence évidente au petit dieu aillé grec de l’occasion opportune, Kairos. « Kayrros est né d’un constat global face aux limites et aux carences des données traditionnelles dans le secteur de l’énergie. Il y avait un besoin de transparence et de données fiables, et un espace en termes d’informations à combler. C’était un moment idoine ; nous avons saisi cette opportunité », explique Antoine Halff, analyste et co-fondateur1 de la jeune pousse, spécialiste du marché de l’énergie. Pour ce faire, Kayrros s’appuie en grande partie sur une constellation de satellites d’observation de la Terre, les Sentinel, déployés dans le cadre du programme Copernicus de l’Agence spatiale européenne (ESA). Cette constellation, qui s’est étoffée au cours de ces dernières années, scanne la Terre à un rythme quasi quotidien : images radar, images optiques de la végétation, de la couverture des sols et des eaux, données de suivi sur la composition de l’atmosphère et les gaz à effet de serre, mesures de haute précision sur l’altitude de la surface des océans…

Satellite Sentinel-2
Satellite Sentinel-2

« En 2016, les données affluent. On commence à avoir les moyens de les traiter à l’échelle pour sortir des chiffres macroéconomiques, grâce notamment aux progrès de l’IA sur l’interprétation des images » précise Alexandre d’Aspremont2, directeur de recherche au CNRS au Département d’informatique de l’École normale supérieure3 (DI ENS) et l’un des cinq co-fondateurs de l’entreprise. Travaillant de concert avec des laboratoires de recherche comme le Centre Borelli4, pour le traitement et l’interprétation des données satellites, et le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement5 (LSCE), davantage sur les questions climatiques, l’essentiel de leur technologie consiste alors à récupérer ces images, les traiter, les calibrer et les rendre comestibles par les algorithmes. « Autrement dit, on leur greffe des algorithmes qui mesurent un certain nombre d’informations quantitatives macroéconomiques fondamentales », poursuit le chercheur. 

La ville de Milan en Italie. Partie de la première image du satellite Sentinel-2A, acquise le 27 juin 2015, quatre jours seulement après le lancement.
La ville de Milan en Italie. Partie de la première image du satellite Sentinel-2A, acquise le 27 juin 2015, quatre jours seulement après le lancement.

Traquer les fuites de méthane dans le monde

« Nous cherchons à développer des outils de mesure pour des applications pour lesquelles il n’y a encore aucun cas d’usage établi. Jusque très récemment par exemple, il y avait de grandes difficultés à détecter, suivre et quantifier les fuites de méthane à l’échelle de la planète6 », explique Antoine Halff. S’associant à des chercheurs du LSCE, ils ont analysé de façon systématique des milliers d'images produites quotidiennement pendant deux ans par le satellite Sentinel-5P de l’ESA7 et ainsi cartographié 1 800 panaches de méthane à travers le globe, dont 1 200 ont été attribués à l’exploitation d’hydrocarbures – production et transport. Des rejets accidentels ou liés à des opérations de maintenance qui conduisent à des fuites très importantes et dont l’ampleur était largement sous-estimée : 8 millions de tonnes par an8, localisées majoritairement dans quelques pays.

Carte montrant un échantillon de concentrations anormales de méthane en 2019. La taille et la couleur des cercles indiquent la taille et l'intensité du panache détecté. Plus la couleur est rouge, plus la concentration du panache de méthane est élevée.
Carte montrant un échantillon de concentrations anormales de méthane en 2019. La taille et la couleur des cercles indiquent la taille et l'intensité du panache détecté. Plus la couleur est rouge, plus la concentration du panache de méthane est élevée.

Mais cela n’est que la partie immergée de l’iceberg : le satellite n’est capable de détecter de manière systématique que les panaches les plus massifs, qui sont aussi les plus intermittents. La lutte contre ces fuites pourrait permettre d’économiser des milliards d’euros, mais représente surtout une action simple et peu coûteuse pour limiter le réchauffement climatique. « Ces travaux montrent aussi la nécessité d’introduire un système de surveillance atmosphérique fiable qui permettrait à la fois de suivre les émissions de façon systématique et de cibler localement les actions à entreprendre. Les entreprises et les États ont intégré le besoin de démontrer une certaine responsabilité climatique. Mais ces déclarations d’intentions sont difficilement vérifiables. Il y a une vraie nécessité de transparence, d’indépendance, de standards. Les données que nous utilisons sont publiques et en libre accès : la réplicabilité de nos recherches, c’est ce dont nous avons besoin pour passer à un niveau supérieur dans la transition écologique », ajoute l’analyse.

Ces images montrent des points chauds de méthane au-dessus d’un gazoduc au Kazakhstan, détectés par Sentinel-5P (à gauche) et Sentinel-2 (à droite).
Ces images montrent des points chauds de méthane au-dessus d’un gazoduc au Kazakhstan, détectés par Sentinel-5P (à gauche) et Sentinel-2 (à droite).

Estimer la séquestration du carbone par la végétation

Kayrros s’appuie également sur les données fournies par les satellites européens SMOS (Soil moisture and ocean salinity) qui permettent d’avoir des images assez fidèles de la végétation, ou encore le satellite GEDI (Global ecosystem dynamics investigation) qui permet de mesurer la hauteur des arbres et d’en déduire le volume des forêts. « Nous cherchons désormais à suivre en quasi-temps réel des émissions de CO2 et des volumes de carbone séquestrés par la végétation », précise Alexandre d’Aspremont. Il s’agit là d’éclairer les stratégies mises en œuvre dans la lutte contre le changement climatique.

Cartographie montrant l'évolution de la biomasse aérienne au niveau mondial entre deux trimestres. La valeur associée à chaque pixel est calculée comme le maximum sur une fenêtre glissante d'un an.
Cartographie montrant l'évolution de la biomasse aérienne au niveau mondial entre deux trimestres. La valeur associée à chaque pixel est calculée comme le maximum sur une fenêtre glissante d'un an.

À titre d’exemple, le mécanisme REDD+, une initiative coordonnée par l’ONU qui vise à réduire les émissions de CO2 provenant de la déforestation et de la dégradation des forêts. Il repose notamment sur des incitations financières vers les pays en voie de développement en fonction des moyens mis en œuvre – et est indirectement lié au marché du carbone. « Le prix de la tonne de carbone sur le marché européen est beaucoup plus élevé que sur celui de la séquestration dans les forêts. Cette différence s’explique par l’incertitude qui plane au-dessus des projets forestiers et pénalise ces acteurs, qui sont souvent des pays en voie de développement », explique le chercheur. La raison : les données pour ces derniers sont fragmentaires. « L’objectif est d’apporter d’avantage de transparence et des mesures précises afin de permettre non seulement une meilleure rémunération des pays émergents, mais aussi de sécuriser ces procédés. »

Et maintenant ? Kayrros, qui compte désormais plus de 150 collaborateurs, vient tout juste de lever 40 millions d’euros. Un nouvel apport qu’ils consacreront au déploiement et à l’accélération de la commercialisation de leurs outils, dont le premier qui permet d’estimer les variations de stocks de pétrole brut dans le monde – 10 000 réservoirs dont ils ont déduit le volume à partir d’images radar – et qui a pour but d’apporter un peu de transparence dans un marché parfois opaque. « Nous avons un biais très français qui consiste à avoir de très bons produits mais oublier de les vendre », s’amuse Alexandre d’Aspremont. « Vivatech sera l’occasion de rencontrer des chercheurs, des laboratoires, des étudiants intéressés par nos projets autour du climat mais aussi de nouer et de renforcer de nouveaux partenariats », conclut-il. ♦

Notes
  • 1. Les cinq co-fondateurs de Kayrros sont Antoine Rostand, également président de l’entreprise, Jean-Michel Lasry, Laurent El Ghaoui, Antoine Halff et Alexandre d’Aspremont.
  • 2. Alexandre d’Aspremont est également lauréat en 2019 de l’EIC Accelarator, programme européen soutenant les innovateurs, les entrepreneurs et les scientifiques.
  • 3. Unité CNRS/ENS-PSL/Inria
  • 4. Unité CNRS/ENS Paris-Saclay.
  • 5. Unité CNRS/CEA/UVSQ.
  • 6. Contributeur majeur au changement climatique, le méthane (CH4) a un pouvoir de réchauffement sur 100 ans environ 30 fois supérieur à celui du CO2.
  • 7. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Science en février dernier. Voir le CP du CNRS : https://www.cnrs.fr/fr/des-emissions-massives-de-methane-par-lindustrie-...
  • 8. Ces fuites de méthane accidentelles, estiment les chercheurs, auraient un impact climatique comparable à celui de la circulation de 20 millions de véhicules pendant un an.

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