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Quelles lois pour la planète ?

Quelles lois pour la planète ?

01.09.2015, par
Pollution aux hydrocarbures
Ramassage de galettes de mazout sur la plage d’Ars-en-Ré, le 31 mars 2008.
Pollution, émissions de carbone, marées noires... Comment rendre efficaces les lois et les accords en matière d'environnement ? Alors qu'un forum européen se tient cette semaine sur ce sujet à Aix-en-Provence, et à trois mois de la COP 21, Sandrine Maljean-Dubois, juriste spécialiste du domaine, nous livre des éléments de réflexion.

Le 3e Forum européen de droit de l’environnement se tiendra du 2 au 4 septembre, à Aix-en-Provence, au Centre d’études et de recherches internationales et communautaires (Ceric)1, dont vous êtes la directrice. Quel en est l’objectif ?
Sandrine Maljean-Dubois2
: L’objectif est de mener une réflexion collective sur la meilleure manière d’élaborer des lois environnementales et de les voir respectées. La conférence va réunir des spécialistes du droit de l’environnement de nombreux pays, mais aussi du droit européen et international venant du monde entier, aussi bien des chercheurs que des praticiens. L’idée est que les différents acteurs s’inspirent des bonnes pratiques et innovations qui seront présentées lors de la conférence par tel pays, telle association…

À l’heure actuelle, le droit portant sur l’environnement n’est-il donc pas suffisamment respecté ?
S. M.-D. :
S’agissant des changements climatiques, soulignons qu’un jalon vient d’être posé aux Pays-Bas. Le tribunal de La Haye a donné raison à l’ONG Urgenda et obligé l’État néerlandais à réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25 % d’ici à 2020. En Belgique, une action similaire est en cours. Mais ce sont des exceptions : à l’échelle internationale, les accords environnementaux ne sont pas toujours très efficaces. Ceux de Copenhague, adoptés en 2009, ont donné lieu à une compilation de promesses de réduction des émissions faites par plus de 100  pays et l’Union européenne. Il s’agit d’une action politique. Les États ne sont pas engagés internationalement et peuvent revenir sur leurs promesses à tout moment.

Procès de l'ONG Urgenda
Saisi par l’ONG Urgenda et des citoyens, le tribunal de La Haye a condamné l’État néerlandais à réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020.
Procès de l'ONG Urgenda
Saisi par l’ONG Urgenda et des citoyens, le tribunal de La Haye a condamné l’État néerlandais à réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020.

En revanche, si un État ne respecte pas le Protocole de Kyoto, adopté lors de la COP 3Fermer3e Conférence des États parties à la Convention, c’est-à-dire des États signataires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Elle a eu lieu à Kyoto, au Japon, en décembre 1997. le 11 décembre 1997, et entré en vigueur en 2005, il viole le droit international…
S. M.-D. : C’est vrai. En théorie, un État partie au Protocole qui ne respecte pas les engagements de Kyoto en première période3 (2008-2012) écopera d’une pénalité : il se voit dans l’obligation de restituer, lors d’une seconde période (2013-2020), les tonnes de gaz à effet de serre qu’il a émises en trop, le tout multiplié par 1,3. Mais, dans la mesure où ce sont les États eux-mêmes qui définissent leurs objectifs à atteindre, il suffit à un « mauvais élève » de réduire ses objectifs en seconde période pour rattraper son retard. Et puisqu’il n’y aura pas de troisième période, un État peut tout à fait accumuler ses « dettes » sans jamais les rembourser… Un État non respectueux du Protocole peut aussi se voir exclu des mécanismes d’échange qui permettent aux États de vendre ou d’acheter des quotas de dioxyde de carbone (CO2). Admettons que, sur une période de temps donnée, l’Espagne n’ait pas suffisamment réduit ses émissions de carbone, mais que la France ait surpassé ses objectifs. Le premier peut acheter au second des quotas, ce qui revient à le récompenser pour ses efforts supplémentaires, l’essentiel étant que les émissions se réduisent de manière globale. Mais n’oublions pas que si un État ne veut pas se retrouver en position de violer le droit international, il peut purement et simplement décider de sortir du Protocole. C’est exactement ce qu’a fait le Canada, en décembre 2011, et en toute légalité.

Aucune menace réelle ne pèse donc sur un État qui foule au pied les traités qu’il a signés ? Ne peut-il pas, par exemple, se retrouver devant la Cour internationale de justice de La Haye ?
S. M.-D. :
Seuls les Pays-Bas ont reconnu la compétence de la Cour internationale en droit de l’environnement. Il faudrait donc que deux États s’entendent pour saisir la Cour, une fois le conflit survenu. C’est assez hypothétique…

Dans ce contexte assez laxiste, qu’attendez-vous de la 21e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP 21), qui doit se tenir à Paris entre le 30 novembre et le 11 décembre 2015 ?
S. M.-D. :
Lors de la COP 17, organisée à Durban en novembre 2011, les différents États se sont mis d’accord pour adopter, au plus tard en 2015, un accord juridique universel sur le changement climatique couvrant la période post-2020. C’est cet accord, négocié depuis, qui doit maintenant être signé à Paris. Il doit prévoir, selon les préconisations du Giec4, de limiter l’augmentation de la température moyenne à la surface du globe à 2 °C, et ce bien que beaucoup d’experts aient plaidé pour que la limite soit fixée plutôt à 1,5 °C… Les études montrent qu’à ce jour seuls 60 % des efforts nécessaires pour atteindre cet objectif sont faits sur la période actuelle. Et les contributions (sous forme de promesses de réduction de carbone) qu’envoient actuellement les États dans le cadre de la préparation de la COP 21 sont également estimées insuffisantes pour nous placer sur la trajectoire des 2 °C, voire 1,5 °C. Nous sommes plutôt vers 3 ou 4 °C. Nous espérons donc que tous les États joueront le jeu à Paris, y compris ceux qui n’ont pris aucun engagement contraignant sur la période 2013-2020, c’est-à-dire les États-Unis, la Russie, le Japon ou encore la Nouvelle-Zélande et le Canada, qui est sorti du Protocole de Kyoto, sans compter les grands pays émergents.

Cette usine à charbon dans le Kentucky pourrait fermer à la suite des nouvelles directives sur le changement climatique en vigueur dans cet État américain.
Cette usine à charbon dans le Kentucky pourrait fermer à la suite des nouvelles directives sur le changement climatique en vigueur dans cet État américain.

Admettons que ces pays jouent le jeu à Paris cet automne, comment les inciter à tenir leurs promesses in fine ?
S. M.-D. : L’accord à signer ne sera pas forcément un traité. Mais, même s’il s’agit d’un traité, il risque d’être assez souple et respectueux des souverainetés. C’est la condition pour avoir tout le monde autour de la table. Les contributions envoyées par les pays sont insuffisantes. Il va donc falloir faire beaucoup mieux. Des menaces de sanctions seront inutiles : les États restent souverains et on ne peut finalement rien leur imposer. Il faut désormais jouer sur l’incitation et la responsabilisation.

Pour inciter les États à s’investir,
il faut valoriser
les initiatives
menées à petite
échelle au niveau
des entreprises ou
des collectivités locales.

Pour inciter les États à s’investir, il faut sans doute valoriser, afin qu’elles soient prises en exemple, les initiatives menées à plus petite échelle au niveau des entreprises ou des collectivités locales. Dans cette perspective, l’ONU a mis en place le portail en ligne Nazca qui agrège ces initiatives. À ce jour, 411 villes, 85 régions et 680 entreprises y décrivent leur engagement, leurs solutions et innovations pour réduire leurs émissions. C’est très incitatif. À Paris, il faudra aussi s’efforcer de rassurer les acteurs en leur montrant que l’effort est partagé par tous. Car la question de la lutte contre le changement climatique pose évidemment des problèmes de concurrence. Tel État sera donc rassuré de constater que ses voisins aussi participent à la « décarbonisation » de nos économies.

D’après vous, cette démarche incitative doit elle aussi être adoptée en France, en Europe ?
S. M.-D. :
Cela fonctionne déjà : personne n’oblige les entreprises à afficher des labels verts, pourtant, de plus en plus d’enseignes les arborent, en prenant exemple sur des concurrentes et pour séduire les consommateurs, toujours plus soucieux de préserver l’environnement. À l’échelle européenne, pour donner un peu de souplesse aux principales entreprises émettrices de carbone et les inciter à participer dans la durée, on ne leur impose pas à chacune de limitations strictes. On indique une limite globale qu’il ne faudrait pas dépasser, en leur offrant la possibilité, pour y parvenir, de s’échanger des quotas. C’est typiquement ce genre de pratique que nous allons étudier lors du colloque de septembre.

Est-il difficile d’édicter des lois en matière d’environnement ?
S. M.-D. :
Il est très difficile d’écrire un bon texte, oui. Ne serait-ce que parce que nous avons encore du mal à appréhender l’environnement, les écosystèmes, la biodiversité, qui sont des ensembles complexes et mouvants. De ce fait, nous ne savons pas exactement comment les protéger. Le programme Natura 2000 par exemple, qui vise à préserver les sites naturels européens, pourrait être questionné : il contribue à figer ces sites dans un certain état de biodiversité, alors qu’il faudrait plutôt chercher à protéger des dynamiques, ce qui est un casse-tête. Et imaginons que l’on souhaite protéger telle espèce de crapaud ou de scarabée : si l’on interroge quinze chercheurs sur la meilleure façon de procéder, il est fort à parier qu’ils proposeront quinze solutions différentes.

Par ailleurs, les failles des dispositifs sont vite identifiées et exploitées par les industriels. Je pense à une récente étude du Stockholm Environment Institute qui montre que les mécanismes d’échange d’unités carbone du Protocole de Kyoto ont eu des effets contre-productifs importants. Ils auraient conduit à émettre 600 millions de tonnes de dioxyde de carbone en plus entre 2008 et 20135. Autre problème : l’origine des émissions très volatiles de CO2, principale source du réchauffement, est impossible à déterminer. On ne peut accuser telle ou telle entreprise d’en être l’émettrice, c’est pour cela qu’on les incite à réduire les émissions globalement. Les marées noires ou les pollutions causées par des porcheries, des carrières sont bien plus faciles à tracer. Pour ces pollueurs, des sanctions importantes sont prévues, mais elles ne sont pas toujours appliquées : les inspecteurs de terrain sont bien trop peu nombreux, les tribunaux sont engorgés, et le parquet a tendance à classer sans suite les affaires environnementales.

Faut-il mettre en place des « juges verts », spécialisés en environnement ?
S. M.-D. :
Ce serait une bonne idée en effet, et nous en discuterons lors de notre colloque. En France, nous disposons déjà de pôles judiciaires « environnement et santé » à Paris et à Marseille, mais la Chine, par exemple, et bien d’autres pays ont été plus loin en créant un « tribunal de l’environnement ». Peut-être un exemple à suivre…
  
     

 

Notes
  • 1. Le Ceric fait partie du laboratoire Droits international, comparé et européen (CNRS/Aix-Marseille Univ./Univ. de Toulon/Univ. de Pau et des Pays de l’Adour).
  • 2. Spécialiste du droit international et européen de l’environnement, directrice de recherche au CNRS et directrice du Centre d’études et de recherches internationales et communautaires.
  • 3. Le Protocole de Kyoto avait pour objectif une réduction totale des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 5 % par rapport aux niveaux de 1990 durant la période d’engagement 2008-2012.
  • 4. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
  • 5. « Has Joint Implementation Reduced GHG Emissions ? Lessons Learned for the Design of Carbon Market Mechanisms », Anja Kollmuss, Lambert Schneider et Vladyslav Zhezherin, Stockholm Environment Institute, Working Paper 2015-07.

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Détruire, empoisonner la planète est un crime contre l'Humanité du constat simple que l'acte s'en prend directement au seul lieu possible aujourd'hui pour la vie Humaine. C'est donc au tribunal de Lahaye de poursuivre directement les auteurs direct et indirect de méfais de ce type. Un Roi, un actionnaire peut-il se prétendre au dessus des lois international à partir du moment ou l'acte va à l'encontre de la survie de l'Homme dans cette parcelle de bulle d'univers connue ?
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