Sections

Notre-Dame : enquête au milieu des décombres

Dossier
Paru le 16.03.2022
Le tour du patrimoine en 80 recherches

Notre-Dame : enquête au milieu des décombres

01.10.2019, par
Déblaiement des poutres dans la cathédrale, le 17 juillet 2019.
Pas un débris ne devra échapper à l’inventaire sur le chantier de la cathédrale. Cet été, nous avions suivi les scientifiques qui veulent faire parler le bois et veillent au déblaiement des poutres, au diapason avec les cordistes et au milieu des minipelleteuses...

Elle n’en perd pas une miette. Vêtue d’un impressionnant attirail – casque de chantier, masque avec assistance respiratoire, combinaison blanche intégrale –, elle surveille de près chacun des mouvements de la pelleteuse qui, délicatement, extrait les poutres calcinées du gigantesque mikado de gravats gisant dans la nef de Notre-Dame de Paris.

11 juillet, 9 heures. Comme presque tous les jours depuis près de trois mois, Catherine Lavier, spécialiste d’archéologie du bois au Centre de recherche et de restauration des musées de France, travaille dans ce décor postapocalyptique avec un objectif : récupérer le plus de matériau possible de cet invraisemblable fatras.

Après l’incendie, on s’est empressé de dire qu’il ne fallait surtout rien jeter : toutes ces poutres, ce ne sont rien de moins que des livres ouverts sur le Moyen Âge !

« Après l’incendie, on s’est empressé de dire qu’il ne fallait surtout rien jeter : toutes ces poutres, ce ne sont rien de moins que des livres ouverts sur le Moyen Âge ! », insiste-t-elle en agrafant une étiquette sur le tronc noir que Pierre Marinier, le conducteur de la pelleteuse, vient de déposer à ses pieds. « Les arbres enregistrent tout, le moindre stress est révélateur d’un événement, explique-t-elle. En analysant des troncs anciens, on peut déduire une foule d’informations sur les conditions de croissance et la provenance des bois par exemple. »

Les poutres calcinées seront minutieusement inventoriées.
Les poutres calcinées seront minutieusement inventoriées.

Jusqu’à présent, seules quelques carottes de bois avaient été prélevées sur la charpente huit fois centenaire à des fins d’analyses. « On ne disposait alors que d’une information parcellaire. Là, on devrait travailler sur des poutres quasi entières », explique Alexa Dufraisse, dendro-anthracologue au laboratoire Archéozoologie, archéobotanique : sociétés, pratiques et environnements1, et coordinatrice du groupe de travail ministère de la Culture/CNRS Bois et charpente de Notre-Dame.

Depuis le 15 avril, quelque 3000 fragments ont été extraits des décombres, étiquetés et rangés. Dont 16 en deux heures, ce matin-là.

En ce mois de juillet, elle n’a pas encore accès à la cathédrale, et attend avec impatience d’en recevoir les débris. Même les plus carbonisés d’entre eux. Car sa spécialité, c’est justement de « lire » dans le bois brûlé. « Grâce à un spectromètre RamanFermerAppareil permettant de caractériser la composition moléculaire d’un échantillon en mesurant des modifications de la fréquence de la lumière qui les traverse., nous obtiendrons la répartition du carbone dans les différentes molécules qui composent le bois (cellulose, lignine, etc.). Comme celle-ci se modifie en fonction de la carbonisation, cela nous permettra d’en évaluer l’intensité. Ensuite, nous comparerons ces échantillons à des modèles de bois que nous avons brûlés en laboratoire et dont nous connaissons les propriétés. »

À 15 mètres au-dessus du mikado noir

« Je vais prendre celle-là ! » Pour se faire entendre dans ce vacarme – bruit de sa pelleteuse, du robot qui aspire la poussière que les pigeons n’ont de cesse de faire tomber au sol –, Pierre Marinier hurle à travers son masque. Il ne collecte pas les débris au hasard mais en accord avec Priscilla Debouige, technicienne à l’Institut national de recherches archéologiques préventives. Sur la photographie de la nef vue de haut, qui apparaît sur sa tablette, elle repère chaque pièce collectée par la machine et, sur l’écran, lui attribue un numéro.
 

Il s’agit de comprendre quelle pièce est tombée d’où...

Pour l’heure, les chercheurs ne font rien d’autre que reconstituer un gigantesque puzzle : « Nous n’en sommes qu’à la phase de préinventaire2, insiste Catherine Lavier. Il s’agit de comprendre quelle pièce est tombée d’où , de tout numéroter avant de tout ranger dans les barnums », sortes de tentes installées sur le parvis.

Puis viendra l’étape de l’inventaire : « Nous reprendrons toutes ces pièces, une par une, pour les mesurer, décrire ce que l’on voit à l’œil. » Depuis l’incendie, quelque 3 000 fragments ont ainsi été extraits des décombres, étiquetés et rangés. Dont 16 en deux heures, ce matin-là. « Dégagez la zone ! » À 15 mètres au-dessus du mikado noir et des travailleurs en blanc, l’équipe des cordistes tend un filet au-dessus de la nef pour empêcher d’éventuelles chutes d’objets. Et rien, pas même les morceaux les plus inaccessibles, ne devra échapper à l’inventaire. « Ce premier travail va prendre des mois ! assure Catherine Lavier, présente au déblaiement du moindre débris. Après seulement, nous pourrons envoyer des échantillons à divers labos. »

Plongée médiévale

Alexa Dufraisse a une idée précise de ce qu’elle fera de ce trésor : « Nous découperons des troncs en rondelles, que nous passerons sur un banc dendrochronologique, une machine qui permet d’observer les cernes d’un arbre afin d’en déduire sa croissance, sa date d’abattage, son âge (sans doute plus jeune que ce que l’on pensait, NDLR). »

La logique voudrait que les arbres proviennent du bassin parisien, mais nous aurons peut-être des surprises !

La chercheuse et ses confrères3 comptent aussi découvrir la composition du sol qui a vu grandir ces arbres et donc retrouver leur provenance. Pour ce faire, ils utiliseront un Itrax MultiscannerFermerInstrument combinant la fluorescence X, la spectroscopie magnétique et la radiographie X, et permettant de mesurer la concentration chimique des éléments.4. « Nous mesurerons notamment les teneurs en calcium, manganèse, aluminium, particulièrement révélatrices de la nature d’un substrat. La logique voudrait que les arbres proviennent du bassin parisien, mais nous aurons peut-être des surprises ! »

Banc de dendrochronologie sur lequel Alexa Dufraisse analyse un morceau «témoin» de bois calciné pour comparer ses propriétés à celles des échantillons de la charpente.
Banc de dendrochronologie sur lequel Alexa Dufraisse analyse un morceau «témoin» de bois calciné pour comparer ses propriétés à celles des échantillons de la charpente.

Je n’ai pas encore tout vu. C’est une véritable mine, du matériau rare qui va alimenter les chercheurs du monde entier pendant des années…

Alexa Dufraisse, Catherine Lavier et leurs collègues5 attendent aussi que ces reliques leur racontent le climat. Car Notre-Dame a été bâtie en partie lors de l’optimum climatique médiéval (entre le IXe et le XIIe siècle), période de fort réchauffement climatique. À quel point faisait-il chaud et sec ? « Le spectromètre de masse à rapport isotopiqueFermerLes isotopes sont des atomes ayant le même nombre de protons mais un nombre de neutrons différent. Par exemple, le carbone 14 (6 protons, 8 neutrons) est un isotope du carbone (6 protons, 6 neutrons). nous le dira, répond Alexa Dufraisse. Grâce à lui, nous mesurerons les rapports carbone 13 sur carbone, et oxygène 186 sur oxygène, le carbone 13 et l'oxygène 18 étant davantage assimilés par la plante quand il fait respectivement sec et chaud. »

11 heures, Pierre Marinier coupe le moteur de sa pelleteuse, le vacarme se tait dans la cathédrale : c’est l’heure de la pause obligatoire. Catherine Lavier en profite pour jeter un oeil aux échantillons entreposés sur le parvis. Non sans avoir pris auparavant une douche, encore chaussée et vêtue de sa combinaison, afin de se débarrasser d’un maximum de particules de plomb. « Je n’ai pas encore tout vu, dit-elle en scannant du regard les rangées de troncs noirs. C’est une véritable mine, du matériau rare qui va alimenter les chercheurs du monde entier pendant des années… » Son talkie-walkie grésille : « Catherine, on y retourne ! » Elle court vers la cathédrale. Il n’y a pas une minute, pas une miette à perdre. ♦

Ce reportage est issu du dossier « Notre-Dame : cathédrale de la recherche » publié dans le dernier numéro de CNRS Le Journal.

 

À lire sur notre site :

Charpente de Notre-Dame : stop aux idées reçues !
Faire parler les matériaux de Notre-Dame
Comment reconstruire le son de Notre-Dame ?

Un double numérique pour Notre-Dame
Notre-Dame : la recherche s'organise

Notes
  • 1. Unité CNRS/MNHN.
  • 2. Ce préinventaire est réalisé avec Rémi Fromont, architecte en chef des Monuments historiques, qui avait réalisé un relevé de la charpente en 2014.
  • 3. Notamment Stéphane Ponton, dendrochimiste à l’Inra.
  • 4. Instrument de l’unité Silva, à Nancy.
  • 5. Notamment Valérie Daux, dendroclimatologue au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CNRS/CEA/Univ. de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines).
  • 6. Le carbone 13 est un isotope du carbone ; l’oxygène 18, un isotope de l’oxygène.

Commentaires

1 commentaire

Je suis ingénieur et je souhaite être contacté par le responsable de l'enquête sur l'incendie de Notre-Dame de PARIS car je peux apporter un témoignage sur un événement que j'ai vécu qui aurait dû déclencher l'incendie de l'usine dans laquelle je travaillais ...
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS