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Gravity valide Einstein

Gravity valide Einstein

26.07.2018, par
Site du Very large telescope (VLT), sur le plateau sommital du Mont Paranal, dans le désert de l'Atacama au Chili. Dans sa version interférométrique, le VLT permet de faire interférer les faisceaux provenant de plusieurs télescopes. Il devient alors le VLTI (Very large telescope interferometer). Les détails astrophysiques révélés par le VLTI sont équivalents à ceux qu'obtiendrait un télescope virtuel de 130 m de diamètre.
Les premières données recueillies par l’instrument Gravity, sur une étoile voisine du trou noir géant situé au centre de notre galaxie, confirment les prédictions de la relativité générale dans les conditions les plus extrêmes.

Formulée en 1915 par Albert Einstein, la théorie de la relativité générale a été testée avec succès à de multiples reprises. Mais ses prédictions restent-elles valables dans le champ de gravité intense généré par un corps aussi massif qu’un trou noir ? Certaines perturbations de l’espace-temps prévues par la théorie n’ont en fait jamais pu être observée jusqu’ici.

Le décalage d’Einstein confirmé

Achever ce travail de confirmation constitue l’objectif de plusieurs programmes internationaux destinés à l’observation de Sagittarius A*, le trou noir super-massif tapi au centre de notre galaxie. C’est notamment le cas d’une équipe internationale impliquant des membres des laboratoires Lesia1 et Ipag2. À l’aide de l’instrument Gravity du Very Large Telescope (VLT) de l’ESO au Chili, ces chercheurs ont suivi, deux années durant, le déplacement d’une étoile orbitant au plus près de ce corps quatre millions de fois plus massif que notre Soleil. Ils ont ainsi pu annoncer dans la revue Astronomy & Astrophysics3 la première mise en évidence du décalage d’Einstein dû à Sagittarius A*.

Aussi appelé décalage gravitationnel vers le rouge, le décalage d’Einstein est un effet prédit par la relativité générale qui affecte les sources lumineuses soumises à un champ de gravité : il se traduit, pour un observateur extérieur, par un déplacement vers de plus grandes longueurs d’onde des raies spectrales caractérisant la lumière émise par la source. On parle de décalage vers le rouge car cette couleur correspond aux plus grandes longueurs d’onde du spectre lumineux visible par l’homme.

Un monstre cosmique au centre de la Voie lactée

Sagittarius A* a été repéré en 1974, à 25 000 années-lumière de la Terre, dans une zone riche en gaz et en poussières. Les astronomes ont détecté à plusieurs occasions, dans cette région du ciel, des émissions de lumière intenses qui pourraient avoir été produites par de la matière fortement accélérée et échauffée, tombant dans le champ gravitationnel d’un corps super-massif. Ils ont aussi découvert  au même endroit, plusieurs étoiles orbitant à grande vitesse autour d’un objet non visible  qui, pour les empêcher de s’échapper, devait exercer une gravité phénoménale.

Tel est le cas de l’étoile S2, la plus proche de toutes. Effectuant une révolution complète en seize années seulement, cet astre devait, après un dernier passage en avril 2002, revenir à son péricentre – ou point de son orbite le plus proche du trou noir – le 19 mai 2018. Là, soumis à une intense accélération, S2 a atteint une vitesse de 8 000 km/s soit 2,7 % de la vitesse de la lumière ! L’équipe de l’instrument Gravity, une collaboration internationale réunissant plusieurs laboratoires allemands, français et portugais4, était au rendez-vous…

Construit sur le mont Paranal (Chili) et opérationnel depuis 2016, cet interféromètre fonctionnant dans l’infrarouge proche combine les faisceaux lumineux issus des quatre télescopes de 8 mètres du VLT. Cela lui permet de produire des images d’une résolution inégalée : équivalente à celle produite par un télescope de 130 mètres de diamètre.

Les régions centrales de notre galaxie observées dans le proche infrarouge. En 2018, l’étoile S2 passant à très grande proximité du trou noir Sgr A* (croix orange), son observation a permis de sonder l’intense champ gravitationnel généré par celui-ci, et donc de tester la théorie de la relativité générale d’Einstein.
Les régions centrales de notre galaxie observées dans le proche infrarouge. En 2018, l’étoile S2 passant à très grande proximité du trou noir Sgr A* (croix orange), son observation a permis de sonder l’intense champ gravitationnel généré par celui-ci, et donc de tester la théorie de la relativité générale d’Einstein.

 

Une précision extrême

Tout en surveillant les émissions lumineuses associées à Sagittarius A*, Gravity relève à intervalles réguliers la position de S2. Les astronomes ont également analysé les données du spectromètre SINFONI du VLT qui, depuis plus de dix ans, analyse le spectre lumineux de l’étoile. Grâce à la connaissance précise de l’orbite de S2 permise par Gravity, l’équipe a calculé l’ampleur exacte de cette perturbation mettant en évidence le fameux décalage d’Einstein.

Cette étude démontre que la précision extrême de l’interféromètre Gravity peut être mise à profit pour mesurer des phénomènes relativistes sur un objet aussi éloigné que Sagittarius A*.

« Cette étude démontre que la précision extrême de l’interféromètre Gravity peut être mise à profit pour mesurer des phénomènes relativistes sur un objet aussi éloigné que Sagittarius A*, indique Guy Perrin, astronome de l’Observatoire de Paris au Lesia et co-investigateur de l’instrument Gravity. Il faut garder à l’esprit que malgré sa masse fantastique, un trou noir de cette taille est confiné dans une sphère de 0,1 UAFermer une Unité Astronomique (UA) est égale à la distance Terre-Soleil, , soit à peine un dixième de la distance entre la Terre et le Soleil. Or, il s’agit d’estimer ses propriétés à 25 000 années-lumière de distance ! »

La détection du décalage d’Einstein n’est qu’une première étape. En effet, au cours des prochains mois, les chercheurs vont continuer à relever la position de S2 dans l’espoir de démontrer l’existence d’un autre effet relativiste dû à la présence du trou noir : l’anomalie de l’avancée du péricentre. Cette anomalie, qui correspond à un décalage de l’orbite de l’étoile, pourrait livrer des renseignements sur la quantité de matière présente juste à proximité de Sagittarius A*. Il serait ainsi possible de déterminer si celle-ci est composée de gaz, d’autres trous noirs de petites tailles ou même de matière noire… Et de résoudre, peut-être, le mystère de l’origine des trous noirs galactiques ou celui des éventuelles limites de la théorie de la Relativité générale d’Albert Einstein. ♦
 

Notes
  • 1. Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (CNRS-Observatoire de Paris-Sorbonne Université-Université Paris-Diderot).
  • 2. Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble (CNRS-Université Grenoble Alpes).
  • 3. Astronomy & Astrophysics, 3 juillet 2018
  • 4. La collaboration GRAVITY réunit le Max Planck Institute for extraterrestrial Physics (Allemagne), le LESIA, l’IPAG, le Max Planck Institute for Astronomy (Allemagne), l’Université de Cologne (Allemagne), the CENTRA -Centro de Astrofisica e Gravitação (Portugal) et l’Observatoire européen austral (ESO).

Commentaires

2 commentaires

Bonjour, En introduction vous écrivez : "par un corps aussi massif qu’un trou noir ?" Expression malheureuse! Un trou noir n'est pas forcément massif. La seule condition est que sa masse soit entièrement contenue dans un rayon dit de Schwarzschild. Conceptuellement, on peut avoir un trou noir de 1 gramme... (mais son rayon serait de 1e-30 mètre). Bien sûr, le trou noir au centre de la galaxie est super massif en effet mais le raccourci n'est pas possible. Cordialement

Bonjour Ne serait il pas possible que les trous noirs absorbent la matière et rayonnements sur les bords de celui ci et rejette en même temps cette énergie sous forme de matière noire par le centre, le bilan énergétique resterait équilibré et cela expliquerait peut être une des singularités gravitationnelles. Cordialement
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du journal CNRS