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Où sont passés les oiseaux des champs?

Dossier
Paru le 06.12.2022
Espèces menacées : les scientifiques en alerte
Point de vue

Où sont passés les oiseaux des champs?

20.03.2018, par
En France, le nombre de pipits farlouses, des passereaux qui se nourrissent d’invertébrés, a diminué de 68 % en 17 ans.
L’alouette des champs ou la linotte mélodieuse font traditionnellement résonner leur chant dans les campagnes françaises. Mais pour combien de temps encore ? Deux études récentes dressent un constat alarmant : les populations d’oiseaux vivant en milieu agricole ont perdu un tiers de leurs effectifs en 17 ans.

« Nous pulvérisons les ormes, et aux printemps suivants nul merle ne chante, s’alarmait l’écologiste américaine Rachel Carson en 1962 alors que le DDT, un puissant insecticide, décimait les populations d’oiseaux aux États-Unis, non qu’ils aient été touchés directement mais parce que le poison a fait son chemin, pas à pas, de la feuille de l’orme au ver, puis du ver au merle »1. Depuis, la responsabilité du DDT dans la mortalité accrue des oiseaux a été démontrée et le « poison » interdit dans de nombreux pays. Mais le problème est loin d’être réglé.

Toutes les espèces sont concernées

Les études pointant du doigt les effets de l’agriculture intensive et de l’utilisation massive de pesticides sur la biodiversité se multiplient. Deux d’entre elles, menées récemment par le Muséum national d’histoire naturelle sur tout le territoire français et par le CNRS à l’échelle locale, présentent à leur tour un bilan inquiétant : en 17 ans, un tiers des oiseaux ont disparu des campagnes françaises.
 

Nos campagnes sont en train de devenir de véritables déserts.

« La situation est catastrophique, se désole Benoît Fontaine, biologiste de la conservation au Centre d’écologie et des sciences de la conservation2 (Cesco) du Muséum national d’histoire naturelle. Nos campagnes sont en train de devenir de véritables déserts. » « Les populations d’oiseaux s’effondrent littéralement dans les plaines céréalières, et cela concerne toutes les espèces, renchérit Vincent Bretagnolle, écologue au Centre d’études biologiques de Chizé3 et directeur de la zone atelier « Plaine et val de Sèvre ». Les perdrix se sont presque éteintes de notre zone d’étude… »

Poussée par une tradition naturaliste particulièrement forte, la Grande-Bretagne commence à suivre les populations d’oiseaux selon des méthodes standardisées et rigoureuses à partir des années 1970. La France lui emboîte le pas. C’est dans cette tradition que le Muséum national d’histoire naturelle initie en 1989 un vaste programme, le Suivi temporel des oiseaux communs4 (Stoc) sur tout le territoire français. Deux fois par an, au printemps, plusieurs centaines d’ornithologues bénévoles recensent les oiseaux qu’ils voient et entendent au petit matin dans des aires de 4 kilomètres carrés situés en ville, en forêt ou à la campagne. Alouette des champs, hirondelle de fenêtre, mésange noire, pigeon ramier… 175 espèces d’oiseaux communs sont inventoriées dans tous les milieux. « À partir de 2001, nous avons changé notre méthode d’échantillonnage avec un tirage aléatoire des sites à surveiller, ce qui permet d’obtenir une image plus fidèle de ce qui se passe sur le territoire français », indique Benoît Fontaine.
 

L’alouette des champs a vu ses effectifs diminuer d’un tiers en moins de 20 ans sur la zone atelier Plaine & Val de Sèvre.
L’alouette des champs a vu ses effectifs diminuer d’un tiers en moins de 20 ans sur la zone atelier Plaine & Val de Sèvre.

Un bilan plus lourd en zone agricole

Parallèlement, dans les Deux-Sèvres, un programme de suivi intensif de la faune et de la flore se met en place dès 1993, dans la zone atelier « Plaine & val de Sèvre ». Mais cette fois-ci, les 450 kilomètres carrés de la zone étudiée sont entièrement agricoles. « Au départ, nous suivions des oiseaux des plaines céréalières menacés comme l’outarde canepetière et le busard cendré, raconte Vincent Bretagnolle. Mais à partir de 1995, nous nous sommes progressivement intéressés à l’ensemble des oiseaux car ils ont une position intermédiaire dans la chaîne trophique, étant quasiment tous prédateurs d’insectes mais aussi, pour certains, prédatés par des rapaces. » Au total, 160 zones de 10 hectares chacune sont soumises chaque année à l’expertise d’ornithologues chevronnés, selon un protocole spatial et temporel bien défini. Une centaine d’espèces y sont identifiées, à la vue et au chant. « Sur ces terres agricoles, nous suivons aussi les plantes, les mammifères et les insectes, ce qui nous permet d’avoir une vision de tous les compartiments de l’écosystème et de leurs interactions », précise le chercheur.
 
Les dernières données de ces programmes de recherche sont catastrophiques : de nombreuses espèces d’oiseaux sont en déclin dans tous les milieux, et clairement en chute libre dans le milieu agricole. Le programme Stoc révèle ainsi que les oiseaux communs des milieux agricoles ont perdu 33 % de leurs effectifs depuis 2001.
 

C’est la qualité globale de l’écosystème agricole qui se détériore.

Le pipit farlouse, par exemple, un passereau qui se nourrit d’invertébrés, a perdu 68 % de ses troupes en 17 ans, tandis que la linotte mélodieuse, friande d’invertébrés à la belle saison et de graines de plantes adventices en hiver, a vu disparaître 27 % de ses effectifs sur la même période. Du côté de la plaine céréalière des Deux-Sèvres, même constat. Les populations d’oiseaux familières des zones cultivées, comme l’alouette des champs ou la perdrix grise, s’effondrent littéralement, avec respectivement −50 % et −90 % de leurs effectifs en 25 ans.

« Ce qui est véritablement alarmant, c’est que tous les oiseaux du milieu agricole régressent à la même vitesse, même les plus généralistes ou les oiseaux des milieux boisés, qui ne diminuent pas ou peu dans leur milieu de prédilection, analyse Vincent Bretagnolle. Cela signifie que c’est la qualité globale de l’écosystème agricole qui se détériore. »
 

La Perdrix rouge, une espèce jusqu'ici présente dans les milieux agricoles, est également en déclin.
La Perdrix rouge, une espèce jusqu'ici présente dans les milieux agricoles, est également en déclin.

Les pesticides pointés du doigt

Les raisons de ce déclin sont en effet à chercher du côté de l’intensification de l’agriculture, les paysages devenant toujours plus homogènes – des champs de maïs et de blé à perte de vue – et toujours aussi massivement arrosés de pesticides, malgré le plan Écophyto qui vise à réduire de moitié leur utilisation en France d’ici à 2020. « Les surfaces dédiées à la monoculture n’ont cessé d’augmenter en France, conduisant à la destruction des milieux favorables aux oiseaux et aux insectes. Et en 2009, la Politique agricole commune a donné un coup d’arrêt aux jachères, ce qui est également néfaste pour la biodiversité, décrypte Benoît Fontaine. Dernier facteur nuisible : les pesticides. » Si, dans les années 1960, c’est le DDT qui fait parler de lui, ce sont aujourd’hui les néonicotinoïdes, des insecticides qui contaminent l’ensemble de l’écosystème, mais aussi le glyphosate (Roundup), l’herbicide le plus utilisé au monde, qui inquiètent. Tous les deux concourent à la disparition des plantes et des insectes et donc aux ressources alimentaires des oiseaux, surtout au printemps. « Il n’y a quasiment plus d’insectes, c’est ça le problème numéro un », martèle Vincent Bretagnolle. Et le constat est le même partout. Deux études récentes ont révélé que l’Allemagne et l’Europe auraient perdu 80 % d’insectes volants et 421 millions d’oiseaux en 30 ans5.

L'utilisation des pesticides et herbicides est incriminée dans le déclin des oiseaux.
L'utilisation des pesticides et herbicides est incriminée dans le déclin des oiseaux.

 

Aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement d’interdire un pesticide, mais de changer de paradigme.

Alors que faire ? Pour Benoît Fontaine, « la diminution des pesticides va être aussi motivée par les préoccupations de santé humaine, mais la solution viendra du monde agricole ». Justement, dans la zone atelier « Plaine & Val de Sèvre », Vincent Bretagnolle s’est associé aux agriculteurs pour expérimenter des modèles agricoles alternatifs, basés sur l’agroécologie et les potentialités de la biodiversité.
« Profitant de la mise en place du plan Écophyto, en 2008, nous avons convaincu des exploitants de réduire d’un tiers ou de moitié les intrants chimiques sur certaines parcelles, rapporte le chercheur. Résultat : les rendements sont maintenus, ce qui augmente les revenus des agriculteurs et la biodiversité. »

D’autres études montrent que les subventions pour les prairies et les haies sont également favorables à la biodiversité et donc, là encore, au maintien de la productivité des parcelles. Désormais, les acteurs du monde agricole doivent se saisir de ces outils et changer leurs pratiques à grande échelle. « Le printemps silencieux annoncé par Rachel Carson pourrait devenir une réalité si nous ne réagissons pas très vite, conclut Vincent Bretagnolle. La situation est inquiétante, d’autant qu’aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement d’interdire un pesticide, mais de changer de paradigme. » ♦

L'interview de Vincent Bretagnolle sur les pratiques agricoles : Quand le productivisme nuit à l'agriculture

Notes
  • 1. Extrait du livre Silent Spring (Printemps silencieux), de Rachel Carson, publié aux États-Unis en 1962.
  • 2. Unité CNRS/MNHN/UPMC.
  • 3. Unité CNRS/Université de La Rochelle/Inra.
  • 4. Ce programme est coordonné par le MNHN, dans le cadre du réseau Vigie-Nature.
  • 5. « More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas », C. A Hallmann et al., PLoS One, publié en ligne le 18 octobre 2017. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0185809 ; « Common European birds are declining rapidly while less abundant species' numbers are rising », R. Inger et al., Ecology Letters, publié en ligne le 2 novembre 2014. Doi : 10.1111/ele.12387
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Auteur

Laurianne Geffroy

Laurianne Geffroy est journaliste scientifique et auteur depuis 2000. Elle réalise, au sein de Ya+K productions, des reportages pour les sites Internet du Cnes, de l’Inserm et d’Universcience.tv, et collabore régulièrement à des ouvrages scientifiques édités par Le Cherche Midi.

Commentaires

58 commentaires

Il est très étonnant qu'à travers un article de si bonne qualité, on est omis de parler des conséquences terribles de ces éoliennes géantes (180 à 240 m de hauteur) sur l'avifaune ou encore sur les chiroptères. En effet ces espèces nicheuses ou migratoires paient un lourd tribu quand elles s'approchent un peu trop près de ces aérogénérateurs installés désormais en pleine forêt. Les chauves-souris quant à elles, ne résistent pas à la forte dépression causé par le passage des pâles, car cette importante variation atmosphérique brutale cause des hémorragies internes qui leurs sont fatales. De nombreuses études ornithologiques Allemandes ou Espagnoles pour ne citer qu'elles... estiment que les éoliennes industrielles tueraient plusieurs millions d'oiseaux et chiroptères / an dans leur pays, alors que la LPO avance un chiffre plus que fantaisiste qui serait de : Entre 0.3 et 18.3 oiseaux tués / an en France. Pourquoi les éoliennes de France seraient moins tueuses qu'ailleurs ? De plus, de nombreuses analyses s'accordent à révéler que les éoliennes les plus meurtrières pour l'avifaune et les chiroptères sont TOUJOURS situées en Zone forestière, a proximité des zones naturelles (ZN) qu'on n'hésite pas à déclasser pour leur implantation et dans les couloirs de migration. Il aurait été honnête de parler de ce fléau dans votre article, car il n'y a pas que les pesticides, l'arrachage des haies ou le bétonnage des espaces verts, il y a aussi les affairistes du vent qui pour réaliser de très gros profits envahissent nos zones rurales et détruisent nos forêts pour y installer leurs machines grâce à des lois de plus en plus permissives qui sont mises à leur disposition au grand dam des riverains de parcs éoliens. Ces forêts continuent à être sacrifiées dans l'hexagone par les promoteurs alors que dans une réponse du ministères de la transition écologique et solidaire publiée le 2 novembre 2017 au JO du Sénat, il était affirmé (je cite) que : Le milieu forestier, de part ses caractéristiques et enjeux propres ne constitue pas naturellement un secteur d'implantation pour les projets éoliens. Il serait temps d'agir et d'interdire les éoliennes industrielles en Forêt véritable puits carbone pour le bien de tout l'écosystème dont l'homme fait partie..............

Les pales des éoliennes installées massivement depuis ces dernières années tuent nos oiseaux. Les chiffres sont largement sous-estimés car les cadavres sont vite nettoyés par des charognards, ou atterrissent plus loin si l'oiseau est d'abord gravement blessé avant de mourir. Il en est de même pour les chiropteres. Les études faites par les promoteurs, niant la présence d'espèce protégées, sont souvent peu réalistes et faites pour endormir le citoyen.

Il en est de ce sujet comme de tous les autres! Est ce qu'un jour les Français arriveront a voir l'ensemble du phénomène qui nous étouffe: La pesée inversée. Tout ce que les politiques disent est le contraire de ce qui se passe réellement, c'est vérifiable sur tous les sujets. La liste est longue et couvre l'ensemble de notre vie, je n'en connais pas la finalité, mais j'en entend des bribes lorsque j'écoute France radio!

Si les pesticides et un modèle d'agriculture ultra-intensive sont responsables de la disparition des oiseaux, les éoliennes le sont tout autant avec des pales qui tournent à 200 km/heure ! Malheureusement les haies ne sont plus replantées et le désastre éolien continue. Les Maires des communes devraient être plus sensibilisés à nos campagnes qui deviennent des déserts agrémentés de machines tueuses !!

Triste constat pour nos campagnes qui sont sacrifiées au profit des différents lobby… en effet l'agro chimie est souvent décrié (à juste titre) mais que dire du lobby de la filière Eoliennne avec des parcs de plusieurs machines pour lesquels des hectares de forêts et de champs sont sacrifiés, de véritables hachoirs pour certaines espèces notamment migratoires et autres rapaces ... sans parler des chauves-souris et abeilles qui sont sensibles aux infrasons que ces machines libèrent avec la rotation des pales. Le pire est que les études d’impact sur la faune sont réalisées par ces mêmes promoteurs… ils sont donc à la fois juges et parties… Et demain les éoliennes en mer qui libèreront des tonnes de métaux dans la mer ... Allons messieurs les politiciens et surtout vous M HULOT arrêtez de faire tout et son contraire car vous participez à ce désastre en confortant cette filière dont le seule intérêt est le profit… vous en serez l’artisan. Bref nos oiseaux sont bien peu de choses face au capitalisme !!!

J'ai eu quelques échanges de mail avec la rédaction du journal. Voici le dernier mail que je viens d'envoyer Bonjour, il semble que vous ayez oublié de m'envoyer la deuxième étude. Je voudrais que vous m'expliquiez le processus de rédaction des articles du " journal du CNRS". En effet, voici ce que je ne comprends pas L'auteure de l'article Laurianne Geffroy cite des articles sans les avoir lu, ce qui est contraire au canon de la rédaction scientifique quand je demande les études dont on me dit qu'elles sont récentes, je reçois un article publié en 2012. En terme de publication scientifique, ce n'est pas récent du tout Je n'ai jamais reçu la deuxième étude, plus de 3 semaines après la demande initiale. Je n'ai pas trouvé dans la publication de 2012 le chiffre de 1/3 des oiseaux disparus en 17 ans, pourtant clamé dans votre journal Enfin, pourriez-vous me donner les contacts des auteurs de ces études? J'aurai plus rapidement des réponses à mes questions. Cordialement. Jean-François.

Remarquez tous les commentateurs dépéchés par l'AFIS et autres officines de lobbying industriel, venus jeter le doute sur les causes de l'effondrement de la biodiversité, en mettant en cause les éoliennes, et dédouanant les pesticides. Un jour ces gens devront répondre de leur activité d'astroturfing

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