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Une même loi de croissance pour tous les êtres vivants ?

Une même loi de croissance pour tous les êtres vivants ?

23.01.2020, par
Malgré la diversité infinie de la vie, bon nombre des caractéristiques les plus importantes des espèces, comme le métabolisme et la croissance, sont liées par des lois universelles... mais pas comme on le pensait. C’est ce qu’a démontré une équipe internationale de chercheurs dont l’écologue Michel Loreau.

Une fois par mois, retrouvez sur notre site les Inédits du CNRS, des analyses scientifiques originales publiées en partenariat avec Libération.

La diversité de la vie est impressionnante. Mais si les biologistes ont tendance à se concentrer sur la multitude des formes et modes de vie des espèces, ce qui les unit peut parfois être plus intéressant que ce qui les distingue. À l’ère du « big data » et de ses montagnes de données, nous pouvons maintenant commencer à voir cette diversité dans sa totalité, ce qui révèle des propriétés universelles communes à toutes les créatures, grandes et petites.

Les lois d'échelle

On savait déjà qu’il existe des lois mathématiques simples qui lient la masse corporelle d’un organisme et certaines de ses caractéristiques les plus fondamentales, comme son métabolismeFermerEnsemble des réactions chimiques qui se déroulent au sein d’un être vivant et qui lui permettent de se maintenir en vie, de se reproduire, de se développer, de répondre aux stimuli extérieurs, etc., sa croissanceFermerElle inclut la croissance de chaque individu au cours de son développement et la reproduction., sa mortalitéFermerElle correspond au rapport entre le nombre de décès et l'effectif moyen de la population d’une espèce. et son abondanceFermerNombre total d’individus d’une espèce par unité d’espace.. À l’intérieur des grands groupes taxonomiquesFermerGroupes permettant de classer et décrire les organismes vivants en fonction de caractères communs partagés. Par exemple, il y a sept règnes (animaux, plantes, champignons, bactéries, etc.), chacun divisé en embranchements, eux-mêmes divisés en classes, qui sont divisées en ordres, divisés en familles, elles-mêmes divisées en genres, qui sont divisées en espèces. Pour décrire et classer un chat, cela donne : règne (animal), embranchement (cordés), classe (mammifères), ordre (carnivore), famille (félins), genre (Felis), espèce (Felis silvestris). du vivant, ces caractéristiques sont liées à la masse corporelle par une loi de puissance dont l’exposant tourne souvent autour de ¾. Ainsi, le taux métaboliqueFermerIl est généralement défini par la quantité d’énergie consommée par unité de temps. Celui-ci dépend de la taille, du poids, de l’âge, etc. et se situe, pour un être humain, autour de 1.200 à 2.000 kilocalories par jour devant être apportées par l’alimentation. d’un organisme augmente proportionnellement à sa masse corporelle élevée à la puissance ¾, ce qui signifie que le métabolisme augmente moins vite que la masse. Ce sont les lois d’échelle, qui ont passionné les écologues et les biologistes de l’évolution depuis de longues années.

Protiste au squelette en forme d'étoile, ce microorganisme obéit à des lois mathématiques simples comme le reste des animaux, plantes, champignons, etc. de toutes tailles sur notre planète.
Protiste au squelette en forme d'étoile, ce microorganisme obéit à des lois mathématiques simples comme le reste des animaux, plantes, champignons, etc. de toutes tailles sur notre planète.

Mais les liens entre les quatre caractéristiques fondamentales des organismes (taux métabolique, taux de croissanceFermerLe taux utilisé dans l’article publié par PNAS correspond à l’accroissement maximal de biomasse d’une espèce par individu et par unité de temps. Par exemple, pour une poule, ce serait l'accroissement de sa masse corporelle en un an additionné de la masse des œufs qu'elle a produits dans le même temps.taux de mortalitéFermerLe taux de mortalité d’une espèce s’obtient en prenant l’inverse de sa durée de vie moyenne. et abondance) n’avaient jamais été étudiés de façon conjointe et systématique sur l’ensemble du vivant. 
 

(...) bon nombre des caractéristiques les plus importantes des espèces suivent des lois universelles qui les lient à leur masse corporelle, et ce de la baleine bleue jusqu’au plus petit des protistes.

Avec mes collègues de l'Université Autonome de Barcelone, de l’Université de Princeton et de l’Université Charles, nous avons, pour la première fois, rassemblé les données de plusieurs milliers d’études portant sur des milliers d’espèces appartenant à l’ensemble du vivant (animaux, champignons, plantes, bactéries). Nos résultats, publiés dans la revue PNASconfirment que, malgré la très grande diversité de la vie, bon nombre des caractéristiques les plus importantes des espèces suivent des lois universelles qui les lient à leur masse corporelle, et ce de la baleine bleue jusqu’au plus petit des protistesFermerMicroorganisme eucaryote (qui a un noyau), le plus souvent composé d’une seule cellule, et sans tissus spécialisés.. Ces relations simples sont étonnamment fortes et révèlent des liens inattendus qui n’avaient pas été pleinement appréciés auparavant. 

Par exemple, le produit du taux métabolique d’un organisme et de son abondance est indépendant de sa taille corporelle, ce qui signifie que le métabolisme cumulé de l’ensemble des organismes d’une même espèce est plus ou moins constant, quelle que soit leur taille.

La croissance fait la loi

S’ils viennent confirmer et généraliser des lois universelles qui avaient été déjà démontrées ou pressenties par le passé, les résultats de notre étude remettent aussi en cause radicalement l’une des théories les plus éminentes de l’écologie, connue sous le nom de « théorie métabolique de l’écologie ». Cette théorie a fourni aux écologues l’un des cadres les plus importants pour comprendre les liens qui unissent les principales caractéristiques démographiques et fonctionnelles à leur masse corporelle. Elle part de l’idée que le taux métabolique d’un organisme est déterminé par l’acquisition et l’utilisation des ressources disponibles et constitue donc la principale limite de nombreux autres traits essentiels, y compris la rapidité avec laquelle l’organisme peut croître et se développer.
 

Au final, il semble bien que ce soit la croissance, et non le métabolisme, qui soit au centre des contraintes biologiques qui gouvernent les patrons de la vie à grande échelle.

Mais l’une des principales conclusions de notre étude est que c’est au contraire le taux de croissance d'un organisme qui semble contrôler son métabolisme. En effet, le taux de croissance est lié à la masse corporelle par une loi d’échelle avec un exposant ¾ qui est remarquablement constante par-delà les groupes taxonomiques. En revanche, le taux métabolique ne suit cette loi qu’à l’intérieur de chaque grand groupe et ne se vérifie pas si on considère des individus issus de groupes taxonomiques différents. Au final, il semble bien que ce soit la croissance, et non le métabolisme, qui soit au centre des contraintes biologiques qui gouvernent les patrons de la vie à grande échelle.

Étant donné que la croissance est à la base de tous les processus biologiques et écologiques, du développement des tumeurs cancéreuses à la production de nos ressources biologiques et au cycle mondial du carbone, en passant par la dynamique des populations, la compréhension des facteurs qui déterminent la croissance des systèmes vivants pourrait s'avérer très importante.
 
Peu importe où vous regardez, peu importe le type de système vivant que vous considérez, tout semble suivre la même loi de croissance. Nous ne savons pas encore quelles contraintes biologiques contribuent à engendrer cette loi universelle de croissance, mais nous savons que cette loi a des implications capitales. Elle offre une nouvelle perspective sur les caractéristiques les plus fondamentales de la vie et sur l’extraordinaire unité qui imprègne la diversité du vivant. ♦

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

À lire
"Linking scaling laws across eukaryotes", Ian A. Hatton, Andy P. Dobson, David Storch, Eric D. Galbraith and Michel Loreau, PNAS, October 22, 2019 116 (43) 21616-21622.

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