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Quand les pouvoirs publics éduquent les parents

Quand les pouvoirs publics éduquent les parents

01.10.2015, par
La sphère familiale, souvent considérée comme intime, est en réalité socialement et politiquement très investie, avec, à la clé, des enjeux financiers et juridiques. Explications avec le sociologue Claude Martin.

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« Mais que font les parents ? » Telle est la question que semblent se poser les pouvoirs publics de nombreux pays européens qui développent depuis le milieu des années 1990 des politiques dites de soutien à la parentalité. Cette question est aussi au cœur de la recherche que nous avons menée pour comprendre l’évolution des normes parentales et le développement de ces politiques qui se proposent de soutenir les parents dans leurs tâches éducatives1. En prenant pour cible les parents (et non plus seulement les mères), et non pas la famille ou l’enfant, ces dispositifs représentent une nouvelle étape dans les relations entre l’État et la sphère privée.

Parentalité
Démission des parents ou redéfinition de leur rôle ? Quand l'éducation des enfants déraille, l'Etat prend désormais la main de ses citoyens.
Parentalité
Démission des parents ou redéfinition de leur rôle ? Quand l'éducation des enfants déraille, l'Etat prend désormais la main de ses citoyens.

Certes, le conseil aux parents n’est pas un phénomène nouveau. Il est même un véritable marché depuis le début du XXe siècle : les conseils du psychologue John Watson dans les années 1930, du docteur Benjamin Knock après-guerre ont été de formidables succès de librairie. En France, on peut mentionner les audiences remarquables de Françoise Dolto sur France Inter dans les années 1970 et, plus récemment, des émissions télévisées Les Maternelles ou Supernanny. Internet a donné un nouvel élan à cette offre de conseils pour savoir quoi faire quand votre enfant veut dormir dans votre lit, regarde trop la télévision, devient dépendant des réseaux sociaux…

L’émergence du concept de parentalité

Qu’y a-t-il donc de nouveau ? L’usage de néologismes, tout d’abord : parentalité en français, pour parler à la fois des liens parentaux et des pratiques des parents ; parenting en anglais, qui en transformant un substantif en verbe met clairement l’accent sur ce que font les parents plus que sur ce qu’ils sont. La nouveauté réside aussi dans les évolutions de la condition parentale : des parents qui travaillent de plus en plus souvent tous les deux, aux trajectoires conjugales plus compliquées, mais surtout des parents inquiets pour l’avenir de leur progéniture. Ces mutations auraient provoqué, selon les uns, une démission des parents ou une faillite de leurs responsabilités et, pour d’autres, plutôt une redéfinition de leurs rôles. Le sociologue Frank Furedi, évoque ainsi les « parents hélicoptères », qui manifestent une hypervigilance pour éviter tout risque à leur enfant.

La nouveauté
réside dans
cette volonté du
politique de faire
du travail parental
un enjeu public.

Mais la nouveauté réside aussi dans cette volonté du politique de faire du travail parental un enjeu public. D’une myriade d’initiatives de la société civile en France pour développer dans les années 1980 les crèches parentales, la médiation familiale ou les espaces rencontre entre parents et enfants après le divorce, on est passé, dans les années 1990, sous l’impulsion des pouvoirs publics, à une structure coordonnée en réseau (les Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents-REAAP, mis en place en 1998). Au gré des alternances politiques, la question s’est transformée en volonté d’encadrer, contrôler et punir les parents défaillants, avant de finalement instituer un Conseil national de soutien à la parentalité.

Un investissement pour le futur

En Angleterre, le turn to parenting correspond à la politique Sure Start du New Labour, dont l’objectif était de lutter contre le défi de la pauvreté des enfants en développant des interventions en direction de certains parents. Aux Pays-Bas, c’est en 2005, avec le Youth Care Act et la création d’agences nationales de prise en charge de la jeunesse, qu’a été instauré le droit à un soutien des parents et des enfants. Dans ces deux pays sont apparus de nouveaux programmes d’intervention, souvent d’inspiration comportementale et fondés « sur la preuve scientifique », comme le programme Triple P (Positive Parenting Program). Le recours à ces programmes d’intervention controversés a été très coûteux pour les pouvoirs publics locaux. Leurs résultats demeurent aussi très controversés. Pour les uns, il s’agit de méthodes efficaces pour modifier le comportement des parents et les aider à faire face aux dilemmes quotidiens, pour d’autres, d’un habillage scientifique de normes et prescriptions qui reproduisent des stéréotypes à la fois sociaux, mais aussi de genre, en minorant le poids des facteurs économiques et sociaux.

Selon l’idéologie
dominante
dans tel ou tel
pays, on insiste
sur la nécessité de
punir les parents incompétents
ou de soutenir
ceux qui en ont
le plus besoin.

L’objectif de toutes ces interventions est de socialiser, accompagner, mais aussi contrôler ces premiers agents de socialisation que sont les parents pour éviter d’avoir à assumer les conséquences de leurs échecs. Selon l’idéologie dominante dans tel ou tel pays, et en fonction des luttes partisanes, on insiste sur la nécessité de punir les parents incapables et incompétents, de soutenir ceux qui en ont le plus besoin et de les former à une tâche perçue comme de plus en plus complexe face à de nouvelles générations d’enfants qui sont à la fois plus agiles et curieux du monde environnant, mais aussi plus longtemps dépendants du soutien de leurs parents. La gamme entre le soutien et le contrôle des parents va donc du développement de services individuels ou collectifs jusqu’à des mesures à caractère punitif, du type « contrats parentaux » (en France et en Angleterre en 2005 et 2006) ou encore la suppression de l’accès à des prestations sociales (comme en France).

Pour comprendre ce tournant vers la parentalité à l’échelle internationale, il est nécessaire de retracer l’apparition de ces dispositifs, en observant ce qu’ils empruntent au passé, à la « police des familles » des XIXe et XXe siècles, et ce qui les en distingue. De nouvelles institutions ont contribué à ces développements récents, comme la signature en 1989 de la Convention internationale des droits de l’enfant ou les incitations de l’Union européenne. Plusieurs rapports officiels européens défendent ainsi que ces dispositifs permettront d’éviter des dépenses sociales, de santé ou de justice dans une génération. En investissant très tôt dans l’enfance en éduquant les parents, les politiques publiques feraient en quelque sorte un bon placement sur le futur. La fin de l’ascenseur social et les obstacles qui s’accumulent sur les trajectoires d’entrée dans l’âge adulte rendent de plus en plus pressantes ces attentes à l’égard des parents qui deviendraient la cause de nombre de nos maux sociaux. Avec ces mesures adoptées dans de nombreux pays, la parentalité est devenue une politique.

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

Notes
  • 1. Être un bon parent : une injonction contemporaine, Claude Martin (dir.), Presses de l’EHESP, 2014.

À lire / À voir

Être un bon parent : une injonction contemporaine, Claude Martin (dir.), Presses de l’EHESP, coll. « Lien social et politiques », 2014, 256 p., 25 €

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