Donner du sens à la science

Pour une éthique de la recherche en robotique

Dossier
Paru le 28.09.2022
Le siècle des robots

Pour une éthique de la recherche en robotique

18.11.2014, par
À l’occasion de la remise d’un rapport préconisant l’adoption de règles éthiques encadrant la recherche et la production robotiques, Raja Chatila, directeur de l’Institut des systèmes intelligents et de robotique, précise la nature et l’intérêt de telles règles.

Attisant les imaginations à travers les œuvres d’anticipation depuis l’Antiquité, interpellant l’homme sur sa nature même, souvent mal vulgarisée par les médias, la robotique est un domaine en plein essor et les articles de presse évoquant les robots sont quasiment quotidiens. En effet, l’avancée des recherches ainsi que les développements technologiques ont permis de parvenir à une maturité suffisante pour que certaines applications concrètes commencent à voir le jour. Au-delà du contexte manufacturier déjà ancien, des robots ou des techniques issues de la robotique sont dorénavant présents dans plusieurs secteurs comme l’exploration planétaire, l’agriculture, la médecine et la chirurgie, la défense ou les transports. D’autres applications restent encore à venir. La recherche en robotique reste cependant encore largement ouverte.

Inciter les chercheurs à s’interroger sur les conséquences de leurs travaux

Comme toute nouvelle technique arrivant dans la société, la robotique porte en germe une multiplicité d’usages, parfois imprévisibles, qui peuvent mettre en question les normes juridiques admises et provoquer des questionnements moraux ou éthiques. À ce titre, elle nécessite de mener quelques réflexions et de prendre quelques précautions dès la conception des recherches ; non pour fixer au chercheur un cadre normatif strict (ce qui serait d’ailleurs illusoire) qui briderait sa créativité, mais pour lui suggérer de s’interroger sur les conséquences de ses choix et de ses travaux et d’adopter une démarche responsable.

Il est donc assez naturel que la première saisine de la Commission de réflexion sur l’éthique de la recherche en sciences et technologies du numérique d’Allistene1 (Cerna) traite de la robotique. Après deux années de travaux, celle-ci vient de rendre son premier avis, qui a été remis à la secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, Geneviève Fioraso, le 6 novembre dernier.

Robocop
En 1987, alors que le développement des prothèses est en plein essor, le réalisateur Paul Verhoeven choisit de mettre en scène, dans son film «Robocop», un héros justicier moitié homme, moitié robot.
Robocop
En 1987, alors que le développement des prothèses est en plein essor, le réalisateur Paul Verhoeven choisit de mettre en scène, dans son film «Robocop», un héros justicier moitié homme, moitié robot.

Cet avis est composé de 17 préconisations propres à la robotique et de 9 préconisations concernant les sciences du numérique en général qui ont été élaborées au cours de la réflexion sur la robotique, mais dont la portée est plus globale. Ces préconisations s’adressent au « chercheur » au sens large, c’est-à-dire aux praticiens, individus ou équipes, dont les travaux se situent en amont des applications techniques, ainsi qu’à leurs établissements.

La commission a commencé par élaborer une définition du robot et de la robotique afin de circonscrire le champ de ses réflexions. Celui-ci concernera ainsi le robot matériel qui agit et interagit dans le monde physique (à l’exclusion donc de programmes rapides de traitement de l’information sur la Toile, parfois appelés robots ou « bots », ou d’entités virtuelles). La commission a analysé des cas d’usage de la robotique, en particulier les robots auprès des personnes (comme les robots compagnons) et au sein des groupes, les robots dans le contexte médical et les robots dans la défense et la sécurité. Elle a identifié trois grands thèmes de recherche traversant les applications et les domaines d’usage sur lesquels des préconisations éthiques ont été élaborées : l’autonomie et les capacités décisionnelles (7 préconisations), l’imitation du vivant et l’interaction affective et sociale avec les humains (6 préconisations) et la réparation et l’augmentation de l’humain par la machine (4 préconisations).

Trois exemples de préconisation

Considérons trois exemples. L'une des préconisations rappelle que « le chercheur doit être attentif à évaluer les programmes de perception, d’interprétation et de prise de décision et à en expliciter les limites. En particulier, les programmes qui visent à conférer une conduite morale au robot sont soumis à de telles limites ». Il s’agit de souligner ici que l’incomplétude et les incertitudes qui entachent les données et les résultats des programmes informatiques de traitement et de raisonnement limitent nécessairement la confiance que l’on doit leur accorder et que cela doit être explicitement évalué et énoncé. D’autant plus que certains travaux prétendent pouvoir doter des systèmes robotiques de capacités de décision fondées sur des « règles morales ».

Dans le cas
des dispositifs robotiques visant l’augmentation
de l’homme par
la machine, le chercheur veillera
à la réversibilité
de celle-ci.

Un certain nombre de travaux en robotique visent à imiter le vivant, y compris l’expression d’émotions. La Cerna considère  que le chercheur devra s’interroger sur la nécessité de cet objectif et étudier « au regard des fonctions utiles du robot, la pertinence et la nécessité de susciter des émotions » et « du comportement biomimétique ». Elle ajoute que, « si une ressemblance quasi parfaite est visée, le chercheur doit avoir conscience que la démarche biomimétique peut brouiller la frontière entre un être vivant et un artefact. Le chercheur consultera sur ce brouillage le comité opérationnel d’éthique de son établissement ».

Pour ce qui concerne la robotique médicale, la Cerna en réfère d’abord à l’éthique médicale. Mais, s’il s’agit de l’augmentation de l’homme par la machine, elle affirme que, « dans le cas des dispositifs robotisés visant l’augmentation, le chercheur veillera à la réversibilité de celle-ci : les dispositifs doivent être amovibles, sans dommage pour la personne, autrement dit, sans que la personne perde l’usage de ses fonctions initiales ».

Ces préconisations de la Cerna devront être diffusées sur le plan national, mais aussi partagées par les chercheurs dans le monde (une version anglaise sera préparée à cette fin). Leur véritable valeur ne pourra être reconnue que si les acteurs de la recherche les adoptent. La recherche avançant, de nouvelles questions seront probablement posées. Il sera important d’évaluer la mise en œuvre de ces préconisations et de les compléter en fonction des pratiques.

Notes
  • 1. L’Alliance des sciences et technologies du numérique (CDEFI/CEA/CNRS/CPU/Inria/Institut Mines-Telecom).

Commentaires

4 commentaires

À propos du libre arbitre: Le libre arbitre pour la plupart des gens est le fait de pouvoir choisir entre la voie de gauche ou de droite librement, ou de choisir entre une glace à la framboise ou au café. Le libre arbitre n’est pas ça. Il est le fait que la pensée serait capable d’agir par une sorte de télékinésie interne sur la matière qui produit la pensée. Comme si la pensée induite par les structures mentales pouvait modifier les structures mentales qui produisent la pensée. C’est évidemment ridicule. Nos yeux sont des caméras, nos oreilles des micros, notre bouche un hautparleur, notre peau une surface tactile, et sous cette peau c’est le noir le plus complet pour notre conscience et notre volonté qui sont elles-mêmes produites par ces structures actives dans la plus grande « discrétion ». Si la science ne nous l’avait pas appris, nous ne saurions même pas que nous avons un foie, des poumons, un cerveau, des neurones, etc. Comment pouvons-nous commander (et avec quoi qui soit indépendant de la matière?) quelque chose dont nous ignorons l’existence consciemment ? Pourquoi faut-il savoir que le libre arbitre n'existe pas? Parce qu'un être humain avec ou sans libre arbitre n'est pas la même chose. L'être humain n'est pas d'origine divine. Il doit être éduqué en fonction de ce qu'il est et pas en fonction de rêves d'hurluberlus qui ne réfléchissent pas aux conséquences de la création d'une existence dans des conditions ignobles parce que la vie sur Terre ne serait qu'un court épisode de l'éternité de leur âme dans une vie paradisiaque. Ne serait-il pas judicieux d'étudier l'éthique de la contrainte à l'existence? Toute personne n'a-t-elle pas le droit de demander des comptes à ceux qui leur ont imposé d'exister alors que la non-existence est un truc plutôt tranquille et sans risque? La loi ne dit-elle pas que la mise en danger de la vie d'autrui est un délit, qui devient un crime quand il conduit à la souffrance, la misère, ou (et) la mort? Va-t-on enfin se poser la question de l'obligation à vivre dans des conditions insanes, ou (et) avec un corps débile? Va-t-on enfin se poser la question de la contrainte d'achat de son propre corps à longueur de journée simplement pour survivre alors que nos gentils parents nous disent qu'ils nous ont "donné" la vie? Nous sommes mis au monde pour servir les parents et la société. Quelle éthique y a-t-il là-dedans? Etc...

Que se passerait il si parmi tant d’être humains sur terre, une poignée d'individu doué de pouvoir de télékinésie voyait le jour? Serait ils de suite vus par la science comme de vulgaire rats de laboratoire? Voir kidnapé, laissé pour mort aux yeux de leurs famille? Qu’adviendra t il quand la science aura trouvé le moyen pour transmettre ce don à l’humanité? Il le vendra à prix d'or? Nous ne sommes pas des cobayes. Juste des êtres parmi tant d’autres. Ce n’est pas notre faute si nous sommes nés avec un tel outil cérébral. J’en oubliais le principale, pour les chercheurs, nous sommes tous des cobayes, je m’explique; nous avons réussis la ou la science à échoué, faire d’un individu lambda, un être doué en telekinesie, et ce sans la moindre technologie. Ne tombez pas dans le piège de la science, la science est mère d'enrichissement personnel et non pour le bien de l’humanité.
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