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Le sol, cet inconnu qu’on piétine…

Dossier
Paru le 30.11.2023
Climat : le défi du siècle
Point de vue

Le sol, cet inconnu qu’on piétine…

05.10.2021, par
Mis à jour le 03.05.2022
Il comporte 25 % de la biodiversité connue et 75 % de la biomasse terrestre. Il construit la fertilité du monde, régule le cours des rivières et le climat. Ne cherchez pas loin, juste sous vos pieds : c’est le sol ! Dans ce billet publié avec Libération, Marc-André Selosse, biologiste et auteur d’un livre sur les sols, nous parle de l’importance d’en prendre soin.

Une fois par mois, retrouvez sur notre site les Inédits du CNRS, des analyses scientifiques originales publiées en partenariat avec Libération.

Longtemps, le sol a été vu comme le support des végétaux ou de nos constructions, nourrissant chimiquement les plantes : en accord avec cela, l’agriculture conventionnelle y met des engrais minéraux. On lui portait peu d’attention : réputé sale, peut-être parce qu’on y enterre nos morts, il est opaque et fait de composants invisibles, minéraux (comme les argiles) ou vivants (les microbes, bactéries et champignons). L’essor actuel de la microbiologie moléculaire et l’automatisation du séquençage génétique, qui identifie les espèces et leur métabolisme par l’ADN, ont été une révolution.

Une biodiversité en symbiose

Des milliers de nouvelles espèces de champignons, de bactéries et de prédateurs unicellulaires comme les amibes ont été découverts dans le sol. Au-delà des iconiques vers de terre, un monde microbien pesant 5 à 10 tonnes par hectare vit sous nos pieds ! La géosmine, la substance qui donne à la terre son odeur caractéristique, est d’ailleurs un produit bactérien.

Les plantes vivent au contact de nombreux micro-organismes présents dans les sols et qui sont nécessaires à leur développement et leur survie, comme les microbes et les champignons.
Les plantes vivent au contact de nombreux micro-organismes présents dans les sols et qui sont nécessaires à leur développement et leur survie, comme les microbes et les champignons.

Cette biodiversité fait vivre le sol. La matière organique morte qui tombe au sol est décomposée par des microbes qui s’en nourrissent. Au passage, ils en restituent le carbone (sous forme de CO2), l’azote (sous forme de nitrates) ou le phosphore (sous forme de phosphates) qui pourront à nouveau nourrir les plantes. Pasteur célébrait déjà ce rôle des microbes : « sans eux la vie s'arrêterait, parce que l'œuvre de la mort serait incomplète ». Ils altèrent également les fragments rocheux en les dissolvant grâce à une acidification locale qui accélère la libération de minéraux (potassium, phosphore, fer, etc.), ainsi rendus disponibles pour les plantes.

Les sols sont impossibles à créer : on peut les déplacer, mais il faut un millénaire pour générer un nouveau sol fertile.

Enfin, les pores du sol stockent des gaz atmosphériques, notamment l’azote. Celui-ci joue un rôle essentiel car certaines bactéries l’utilisent pour fabriquer leurs protéines. À leur mort, leur contenu retourne au sol… et est à l’origine de l’azote présent dans le sol et dans les plantes, car les roches sur lesquelles se développe le sol en sont dépourvues.

Maîtresse du devenir souterrain de la matière organique, des roches et des gaz, la vie du sol brasse ces composants. Complétant l’œuvre des lombrics, les racines des plantes et les filaments microscopiques des champignons puisent en profondeur des ressources puis les restituent plus en surface à la mort de l’organisme : un rôle vital quand les sols sont dépourvus de vers, comme en Amérique du Nord. En outre, les racines de 90 % des plantes s’associent à des champignons du sol en une coopération appelée mycorhize : les champignons assimilent des ressources minérales éloignées de la racine qu’ils cèdent à la plante en échange de ses sucres. La plante est ainsi en symbiose avec la vie microbienne du sol.

Un régulateur pour l'eau et le climat

Mais le sol déploie aussi ses effets… hors de lui-même. D’abord, en régulant le cycle des eaux. À la différence de la roche nue, il retient l’eau des pluies, limitant les crues ; puis il la relâche lentement, chargée de minéraux, ce qui assure la fertilité des eaux douces et des littoraux, expliquant que la pêche y soit meilleure qu’au large. De partout, le sol nous nourrit mais il interagit aussi avec le climat. D’une part parce qu’il réduit l’effet de serre en stockant le carbone de la matière organique enfouie loin de l’air. D’autre part, parce qu’il peut aussi contribuer à cet effet : quand un sol manque d’oxygène, des bactéries y survivent avec des respirations particulières qui produisent du méthane ou des oxydes d’azote, qui sont de puissants gaz à effet de serre… C’est ce qui arrive en ce moment aux sols gelés des zones arctiques, qui fondent en une soupe gorgée d’eau. 

Grâce à ces échantillons de sols, les chercheurs vont pouvoir étudier les réponses du milieu naturel face aux perturbations telles que la pollution atmosphérique, l’exploitation forestière ou, plus généralement, les changements climatiques.
Grâce à ces échantillons de sols, les chercheurs vont pouvoir étudier les réponses du milieu naturel face aux perturbations telles que la pollution atmosphérique, l’exploitation forestière ou, plus généralement, les changements climatiques.

Hélas, nos pratiques ignorent trop souvent la dynamique vivante des sols. C’est notamment le cas du labour. À court terme, il assure la fertilité en brassant les minéraux, en désherbant et en aérant le sol. Mais au passage, il tue bien des êtres vivants, vers et filaments des champignons par exemple. Il facilite par aération la respiration et la décomposition de la matière organique ; or celle-ci est un liant des composants du sol. À long terme, combiné à la destruction des racines, cela augmente l’érosion d’un facteur dix ! L’effet positif du labour est donc transitoire : après plusieurs siècles, tout est perdu. La pauvreté des sols méditerranéens, qui ont nourri tant de grandes civilisations, en témoigne. Inversement, des pratiques sans labour, connues dans l’Amérique précolombienne ou en agriculture dite de conservation, réduisent l’érosion…

Des consciences à éveiller

Le lien entre sol et climat constitue un véritable enjeu car nos pratiques contribuent au réchauffement global. La disparition de la matière organique des sols agricoles, entre labour et régression des apports de fumiers, réduit le stockage de carbone. L’irrigation crée des poches sans oxygène favorisant l’émission de gaz à effet de serre, surtout après des apports de nitrates qui sont les précurseurs des oxydes d’azote.

En augmentant de 0,4 % par an la teneur en carbone de tous les sols du monde, on fixerait l’équivalent du CO2 produit annuellement par l’humanité !

Pourtant, en enfouissant nos déchets organiques (bien triés) dans les sols, nous pourrions y stocker du carbone, tout en luttant contre l’érosion. En augmentant de 0,4 % par an la teneur en carbone de tous les sols du monde, on fixerait l’équivalent du CO2 produit annuellement par l’humanité ! Le sol produit de l’effet de serre alors qu’il pourrait le réduire : notre ignorance des sols nous prive d’un outil précieux.
 

L’importance des sols reste largement méconnue. Pis : nous les recouvrons d’infrastructures de transport ou d’extensions urbaines. En France, leur surface se réduit chaque décennie de l’équivalent d’un département. Pourtant, nourriciers et protecteurs, les sols sont impossibles à créer : on peut les déplacer, mais il faut un millénaire pour générer un nouveau sol fertile.

À partir de la biodiversité naturelle des composts, des micro-organismes ou des activités biologiques peuvent être identifiés. Ici, une chercheuse analyse des souches bactériennes capables de dégrader des polymères biosourcés.
À partir de la biodiversité naturelle des composts, des micro-organismes ou des activités biologiques peuvent être identifiés. Ici, une chercheuse analyse des souches bactériennes capables de dégrader des polymères biosourcés.

Transmettons-nous des sols intacts aux générations suivantes ? Les utilisons-nous en pères de famille ? Non. L’Union européenne lutte en ce sens : le programme “Caring for Soil is Caring for Life” vise 75 % de sols en bon état en 2030. Mais l’objectif reste difficile à atteindre. Pour mieux préserver cette présence invisible qui nous veut du bien, il est urgent d’éveiller les consciences des citoyens, de limiter l’extension de nos infrastructures et de repenser les pratiques agricoles, mais aussi notre consommation quotidienne. ♦

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur(s) auteur(s). Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

À lire
L’origine du monde. Une histoire naturelle du sol à l’attention de ceux qui le piétinent, Actes Sud, septembre 2021, 480 p., 24 euros.

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