Donner du sens à la science

Le CNRS, navire amiral de la recherche

Le CNRS, navire amiral de la recherche

16.10.2019, par
Dans ce troisième et avant-dernier épisode sur l'histoire du CNRS, plongez dans les années Mitterrand, marquées par l’ambition politique de donner plus de moyens aux chercheurs.

(Ce texte fait suite au billet  « Des savants pour la République » dans lequel Denis Guthleben fait le récit de la naissance et des vingt premières années du CNRS, et au billet « L’envol de la recherche » où il relate la mise en place d’une recherche française forte, impulsée par le général de Gaulle).

 

Dans l’épisode précédent, nous avions laissé le CNRS au milieu du gué, en 1979. L’année a marqué le Centre du point de vue scientifique – avec, parmi bien des exemples, la reconnaissance des recherches sur l’environnement dans un programme interdisciplinaire spécifique, le PIREN.  Mais elle a pesé sur son fonctionnement aussi : pour la première fois de son histoire, le budget du CNRS est en baisse, à la suite d’une diminution de la dotation de l’État.

Il ne s’agit alors que d’un incident de parcours, découlant autant d’aléas externes – les relations sont mauvaises avec le ministère des Universités d’Alice Saunier-Seïté – qu’internes – à la tête du CNRS, la fonction de directeur administratif est jugée trop influente au point d’empiéter sur les prérogatives du directeur général, avant d’être remplacée par celle de secrétaire général. Cuisine interne ? Bien sûr, mais au-delà d’agiter la communauté, l’épisode a attiré l’attention des médias : sur Antenne 2, une journaliste essaie tant bien que mal de rendre compte de la crise, avant de prophétiser que bientôt « le pouvoir au sein du CNRS passera des mains des technocrates aux mains des scientifiques ». Vaste programme, toujours recommencé !

1989 : François Mitterrand, président de la République, lors de la célébration des 50 ans du CNRS, entouré de Hubert Curien (à g.), ministre de la Recherche et de l’Espace, et de François Kourilsky (à d.), directeur général du CNRS.
1989 : François Mitterrand, président de la République, lors de la célébration des 50 ans du CNRS, entouré de Hubert Curien (à g.), ministre de la Recherche et de l’Espace, et de François Kourilsky (à d.), directeur général du CNRS.

Si ce programme-là n’a pas laissé un souvenir indélébile, c’est qu’un autre est en préparation et va rapidement l’éclipser : celui de François Mitterrand. Après le Front populaire ou la décennie gaullienne, qui en doutera encore ? La recherche n’est pas un vase clos : elle découle aussi d’une ambition politique, qui peut la porter très haut à condition de s’en donner la peine et les moyens – et l’on a presque envie d’ajouter ici : à bon entendeur… Toujours est-il que cette ambition-là, le candidat socialiste à la présidentielle de 1981 semble la nourrir : tout au long de sa campagne, il multiplie les engagements en faveur d’une communauté scientifique qui, depuis la fin des années 1970, s’estime maltraitée par le pouvoir. « Chercheurs français, retrouvez confiance : au temps du mépris, je substituerai le temps du respect et du dialogue », annonce encore l’homme à la rose quelques jours avant le premier tour du scrutin qui le conduit à la tête du pays. Et, c’est assez rare pour ne pas manquer de le souligner, les promesses sont tenues après l’élection…

Chercheurs français, retrouvez confiance : au temps du mépris, je substituerai le temps du respect et du dialogue.

Nouveau statut, nouveaux programmes

D’emblée, un grand ministère de la Recherche et de la Technologie est créé, dont le premier titulaire, Jean-Pierre Chevènement, a rang de ministre d’État. Dans la foulée, une vaste consultation de la communauté est organisée, des « assises de la recherche » sur tout le territoire, dont la synthèse est opérée lors d’un colloque national qui se tient à Paris, en présence du président de la République, en janvier 1982.

Et ce remue-méninges débouche, le 15 juillet, sur la première loi d’orientation et de programmation de l’histoire de la recherche en France, qui annonce dès son article initial que « la recherche scientifique et le développement technologique sont des priorités nationales ».

Le CNRS, de plus en plus souvent présenté dans la presse comme « le navire amiral de la recherche française », est à la pointe du mouvement. Des transformations apparaissent d’abord dans ses statuts, ceux de l’organisme aussi bien que des personnels qu’il regroupe : en devenant un établissement public à caractère scientifique et technologique, le CNRS bénéficie de dérogations dans sa gestion et son administration, qui concourent en principe à assouplir son pilotage ; ses personnels, eux, en vertu de la loi de 1982 et de son décret d’application de 1984, deviennent titulaires de la fonction publique.

1984 : le glaciologue Claude Lorius, avant son départ pour Vostok. Cet aventurier de l’Antarctique a reçu avec Jean Jouzel la médaille d’or du CNRS en 2002.
1984 : le glaciologue Claude Lorius, avant son départ pour Vostok. Cet aventurier de l’Antarctique a reçu avec Jean Jouzel la médaille d’or du CNRS en 2002.

N’en déplaise alors à quelques Cassandre, cette « fonctionnarisation » n’a pas fait basculer les scientifiques dans l’oisiveté. Ils s’investissent au contraire dans les « programmes nationaux mobilisateurs » qui sont définis en marge de la loi, tant pour les recherches fondamentales (noyaux et particules, astrophysique, connaissance de la terre et de l’atmosphère, etc.) – que dans des champs plus finalisés (agroalimentaire, transports, robotique…). Ces actions sont aussi déclinées, au sein du CNRS, dans de nouveaux programmes interdisciplinaires : le PIRSEM pour l’énergie et les matières premières, le PIRO pour la connaissance des océans, le PIRMED pour les médicaments, le PIRMAT pour les matériaux…

Au-delà de ces initiatives transversales, la création des départements scientifiques vient structurer l’action du CNRS dans toutes les disciplines. À la fin des années 1980, l’établissement compte sept départements : physique nucléaire et corpusculaire, sciences de l’Univers (adossés l’un et l’autre à des instituts nationaux), mathématiques et physique de base, sciences pour l’ingénieur, chimie, sciences de la vie et sciences humaines et sociales, dont le découpage et l’appellation évolueront encore par la suite. 

La recherche scientifique et le développement technologique sont des priorités nationales.

Bien sûr, ces années 1980 n’ont pas été qu’un long fleuve tranquille : si le CNRS en particulier et la recherche en général ont été relativement épargnés par le « tournant de la rigueur », le navire a tout de même tangué pendant la première cohabitation – avec l’interruption des travaux du comité national et l’invalidation des concours de recrutement, un imbroglio qui a empoisonné la vie du Centre pendant plusieurs mois...

Mais de formidables enjeux ont éclos au fil de ces années, qui continueront de marquer la décennie suivante. Impossible, bien sûr, d’en faire le catalogue dans tous les domaines de recherche, établis ou émergents ! Chaque discipline mériterait au bas mot plusieurs volumes, pour que le rôle de chacun des 26 000 employés que regroupe le CNRS en 1990 – 11 000 chercheurs et 15 000 ingénieurs, techniciens et administratifs – soit reconnu à sa juste valeur…
 

1986 : Nicole Le Douarin, ici dans son laboratoire à l’Institut d’embryologie, reçoit la médaille d’or du CNRS.
1986 : Nicole Le Douarin, ici dans son laboratoire à l’Institut d’embryologie, reçoit la médaille d’or du CNRS.

 

Ouverture et déploiement

Mais le maître mot qui paraît trôner au pinacle des années 1990 est celui d’ouverture, qui se manifeste tous azimuts. Ouverture internationale, bien sûr : si les relations extérieures ont toujours marqué l’histoire du CNRS, c’est au cours de cette période que l’ensemble des indicateurs, de la plus simple mission scientifique aux programmes internationaux plus étoffés, en passant par le nombre de copublications, enregistre un bond colossal. Et, dans cette perspective, impossible de ne pas mentionner l’horizon européen : sans se mettre à sauter sur sa chaise comme un cabri, force est de constater, après les années 1980 qui ont vu la recherche pénétrer au cœur des préoccupations communautaires au travers de grands programmes – le premier PCRD, mais aussi ESPRIT, BRITE, RACE, EUREKA, etc. –, qu’au fil des années 1990 le CNRS a été à la pointe de « l’espace scientifique et technique européen », rebaptisé « espace européen de la recherche » en 2000.
 

1998 : le robot autonome d’exploration planétaire EVE s’entraîne sur le terrain d’essais du Groupement d’essais en robotique mobile spatial.
1998 : le robot autonome d’exploration planétaire EVE s’entraîne sur le terrain d’essais du Groupement d’essais en robotique mobile spatial.

Ouverture croissante vers les autres partenaires de la recherche, aussi, à commencer par les universités : c’est dans ce cadre que naissent en particulier, dans le prolongement des laboratoires associés, les unités mixtes de recherche qui connaissent un succès croissant dans les années 1990 – au milieu d’une jungle de sigles, UMR, Upresa, URA, etc. qui ne facilite pas la compréhension des néophytes, ni celle des initiés d’ailleurs ! Ouverture vers les régions, encore, dans un même élan : né au cœur de la capitale, demeuré longtemps surtout francilien, le CNRS recrute désormais plus « en régions » qu’autour de Paris. Le basculement s’est opéré dès le milieu des années 1980, dans le prolongement des lois « Defferre1 » de décentralisation, et pouvait s’appuyer au CNRS sur un mouvement de structuration territoriale : aux administrations déléguées créées dans les années 1970 succèdent en 1990 de solides « délégations régionales » qui ont été renforcées depuis – et pour les puristes qui verront là une horrible confusion entre déconcentration et décentralisation, on rappellera que la lettre de mission des premiers délégués insistait sur la prise en compte des « réalités du terrain », que l’administration centrale, malgré sa sagesse proverbiale, pouvait méconnaître.

L’« administration centrale », justement… dans ce tour d’horizon aussi bref qu’affreusement imparfait de vingt années intenses de l’histoire du CNRS, on s’autorisera à lui dédier quelques lignes : dispersée jusqu’alors à travers la capitale, elle se regroupe sur un site unique, rue Michel-Ange dans le 16e arrondissement parisien, réunissant départements, directions et services. Le nouveau campus a été inauguré le 12 octobre 1993, en présence de Hubert Curien2 , ancien directeur général du CNRS et mémorable ministre de la Recherche, et de celui qui vient de lui succéder rue Descartes à la faveur de la deuxième cohabitation, François Fillon. Sans doute n’était-il pas superflu de regrouper ainsi les forces du CNRS, à la veille d’un nouveau siècle qui va voir notre paysage scientifique profondément transformé ? ♦
 
(À suivre…)
 
 

 
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(Cet article a été publié dans CNRS Le Journal N°297)
 

Notes
  • 1. Gaston Defferre, homme politique français, ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation des gouvernements Pierre Mauroy (1981-1984), puis ministre chargé du Plan et de l’Aménagement du territoire du gouvernement Laurent Fabius (1984-1986).
  • 2. Cristallographe français, ministre de la Recherche et de la Technologie de 1984 à 1986 puis de 1988 à 1993, Hubert Curien a dirigé le CNRS de 1969 à 1973.

À lire / À voir

Sciences. Bâtir de nouveaux mondes, Denis Guthleben (dir.), CNRS Éditions, sept. 2019, 224 p., 24 €.

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