Logo du CNRS Le Journal Logo de CSA Research

Grande enquête « CNRS Le Journal »

Votre avis nous intéresse.

Le CNRS a mandaté l’institut CSA pour réaliser une enquête de satisfaction auprès de ses lecteurs.

Répondre à cette enquête ne vous prendra que quelques minutes.

Un grand merci pour votre participation !

Grande enquête « CNRS Le Journal »
Donner du sens à la science

Le cancer touche aussi les écosystèmes

Le cancer touche aussi les écosystèmes

08.02.2014, par
Selon le biologiste Frédéric Thomas, coauteur d’une étude sur le sujet, le cancer pourrait influencer fortement la compétition entre les individus et les espèces au sein d’un écosystème.

Et si nous étions passés à côté, dans toutes les études sur les écosystèmes, d’un élément essentiel ? D’une variable capable d’influencer fortement les aptitudes compétitrices des individus et des espèces, leur vulnérabilité aux parasites et aux prédateurs, ou encore leur capacité à se déplacer ? Si on posait cette question aux meilleurs écologues actuels dans le monde, ils répondraient sans doute : non, c’est impossible ! Et pourtant, c’est probablement le cas du cancer, ou plutôt des processus oncogéniques dans leur ensemble, ce continuum allant des lésions précancéreuses aux cancers en phase métastatique, qui touchent la plupart des métazoairesFermerGroupe constitué des animaux pluricellulaires, par opposition aux organismes unicellulaires tels que les levures. depuis que la multicellularité est apparue il y a plus de 500 millions d’années.

Un individu développant un cancer, et donc affaibli, est souvent dévoré  à un stade précoce de la maladie

Pourquoi avons-nous jusqu’à présent ignoré cette variable ? C’est un peu comme avec les parasites il y a quelques années : ils étaient ignorés par la majorité des écologues, car souvent invisibles en l’absence d’outils appropriés pour les observer et les étudier. Or, depuis que nous utilisons les meilleurs outils pour les étudier, on s’aperçoit que le rôle des parasites est capital dans le fonctionnement des écosystèmes et dans l’évolution de nombreux caractères chez les organismes hôtes. Les processus oncogéniques sont très probablement dans le même cas de figure. L’erreur commise vis-à-vis d’eux a été de focaliser notre regard seulement sur leurs stades avancés, les cancers à proprement parler. Mais ces stades ne constituent que la partie émergée de l’iceberg ! Et, pour de multiples raisons, ils ne sont que rarement observés dans la nature. Par exemple, un individu développant un cancer est souvent dévoré par un prédateur à un stade très précoce de la maladie du fait de son affaiblissement. On ne verra donc que très rarement des individus avec un cancer avancé… Et pourtant, la maladie aura bel et bien joué un rôle écologique en amont en favorisant à un moment donné la prédation de l’individu porteur de tumeurs.

Le cancer doit être
considéré comme
une variable à
part entière dans
le fonctionnement des écosystèmes.

Autre fait important : la majorité, si ce n’est la totalité, des métazoaires, l’homme compris, développe et accumule au cours de sa vie des tumeurs plus ou moins graves, et nous n’avons à l’heure actuelle aucune idée de l’incidence de ce phénomène sur la santé et la vigueur des individus. Cela pourrait jouer sur l’étendue des différences entre individus en matière de temps de sommeil, de croissance, de dominance sociale ou encore de sénescenceFermerVieillissement naturel des tissus et de l’organisme.. Lorsqu’il s’agit de tumeurs graves qui aboutiront à la mort de l’individu qui les porte, ces développements peuvent mettre des semaines, des mois ou des années en fonction des espèces et des organes, et affecter pendant ces périodes plus ou moins longues de nombreux traits écologiquement pertinents (comme la compétition, la prédation, le parasitisme…).

Important aussi : même quand il n’y a pas de cancer, il est pertinent de considérer le phénomène. En effet, l’élimination ou la gestion des cellules cancéreuses qui apparaissent spontanément a très certainement un coût pour l’organisme. On sait, par exemple, qu’il est coûteux de faire fonctionner le système immunitaire, et que ces coûts se répercutent sur d’autres traits à cause des compromis à la base de notre fonctionnement biologique.

Tortues verte (Chelonia mydas) porteuse de tumeurs
Plusieurs travaux ont montré que les tortues vertes (Chelonia mydas) porteuses de tumeurs avaient des caractéristiques différentes des tortues saines, notamment comportementales, et étaient impliquées dans de nouvelles interactions avec d’autres espèces de leur écosystème.
Tortues verte (Chelonia mydas) porteuse de tumeurs
Plusieurs travaux ont montré que les tortues vertes (Chelonia mydas) porteuses de tumeurs avaient des caractéristiques différentes des tortues saines, notamment comportementales, et étaient impliquées dans de nouvelles interactions avec d’autres espèces de leur écosystème.

Des adaptations comportementales ont pu apparaître pour diminuer les risques associés au cancer

Dans ce cadre, il apparaît judicieux de considérer les processus oncogéniques dans leur ensemble et d’étudier comment ceux-ci interfèrent avec les interactions biotiquesFermerInteractions qui se rapportent aux êtres vivants, qui sont dues à leur présence. qui régissent les écosystèmes (prédation, parasitisme, compétition, etc.). Le cancer doit être considéré comme une variable à part entière dans le fonctionnement des écosystèmes. Il est même possible qu’il ait pour conséquence un effet positif sur le maintien de la biodiversité au travers des effets complexes qu’il entretient avec les interactions biotiques. Ces effets sont de plus réciproques : par exemple, si les oncogènes favorisent la prédation chez les espèces proies, la prédation agit en retour sur la fréquence des oncogènes en éliminant les individus proies qui les portent. Cette thématique de recherche est inexplorée à l’heure actuelle et s’annonce passionnante, notamment parce qu’elle impliquera des recherches interdisciplinaires associant écologistes, médecins, vétérinaires, évolutionnistes, etc.

Les recherches permettront d’en savoir plus sur les conséquences écologiques insoupçonnées du cancer, mais pas seulement. En effet, il est fort probable que l’on sous-estime aussi fortement la palette des adaptations, notamment comportementales, des espèces sauvages vis-à-vis du risque cancéreux. On l’a dit : le cancer, lorsqu’on le considère non pas sur des animaux de laboratoire mais au sein des écosystèmes naturels, est une maladie qui peut entraîner la mort de façon précoce, à cause notamment d’une plus grande vulnérabilité vis-à-vis des prédateurs et des infections. Ainsi, les interactions biotiques vont en quelque sorte augmenter la gravité des processus oncogéniques, rendant fatales à court terme des manifestations cellulaires que l’on pourrait croire bénignes sur le long terme avec une vision de laboratoire. Il y a là une prise possible pour la sélection naturelle : des adaptations comportementales ont pu apparaître pour diminuer les risques associés aux processus oncogéniques.

Parmi les pistes à explorer, il pourrait exister des comportements d’évitements d’individus porteurs de pathogènes oncogènes ou de cancers contagieux (comme chez les diables de Tasmanie, dont les tumeurs faciales se transmettent par morsures), des évitements d’habitats riches en mutagènes (liés à la radioactivité naturelle, par exemple) ou encore de l’automédication. On s’aperçoit aussi que ces comportements, s’ils peuvent en théorie limiter les impacts négatifs des développements oncogéniques, ne contribueraient pas à l’élimination des gènes responsables des déraillements cellulaires précoces qui peuvent aboutir à des tumeurs, mais auraient plutôt tendance à les neutraliser en corrigeant leurs effets négatifs. Quelle serait alors la contribution de ces comportements au maintien des oncogènes sur des temps évolutifs ? Autrement dit, est-ce en partie de leur faute si la sélection naturelle n’est pas parvenue à éliminer le cancer en un demi-milliard d’années ? Encore une question à laquelle il n’existe actuellement pas de réponse.

Partager cet article

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS