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La biomasse, nouvel eldorado de la chimie ?

La biomasse, nouvel eldorado de la chimie ?

12.05.2016, par
Et si les déchets organiques issus de nos poubelles servaient à fabriquer les cosmétiques et les plastiques de demain ? C’est ce à quoi travaillent des scientifiques, qui essaient de faire de la biomasse une alternative crédible au pétrole.

Une fois par mois, retrouvez sur notre site les Inédits du CNRS, des analyses scientifiques originales publiées en partenariat avec Libération.

    

En 2050, la planète sera peuplée par plus de 9,2 milliards d’habitants. Cette forte augmentation de la démographie a un impact direct sur les industries chimiques, lesquelles doivent produire toujours plus – plus de matières plastiques, de produits cosmétiques, d’additifs alimentaires, de médicaments – avec des ressources fossiles (pétrole, gaz) qui s’amenuisent ou deviennent de plus en plus difficiles à exploiter. Par ailleurs, la prise de conscience de notre impact sur la planète, et notamment le réchauffement climatique, nécessite de concevoir de nouveaux procédés plus économes en énergie, plus respectueux de l’environnement et plus sécuritaires.

Une matière première renouvelable prometteuse

Pour faire face à ces défis, l’introduction de sources de carbone renouvelable dans les procédés chimiques est une piste sérieusement étudiée. Au premier rang desquelles : la biomasse, c’est-à-dire toute la matière organique d’origine végétale, animale, mais aussi les bactéries et les champignons. Plus connue jusqu’à présent pour ses usages dans l’énergie – production de chaleur, d’électricité ou encore de carburant (biodiesel) –, la biomasse suscite, en effet, un intérêt grandissant du secteur de la chimie, chercheurs comme industriels. Et pourrait bien ringardiser, à terme, les produits issus de la pétrochimie, massivement utilisés. La biomasse contient de nombreuses molécules d’intérêt que les chimistes sont capables de séparer et de transformer, au cœur de véritables « bioraffineries » : des sucres, principalement, mais aussi des huiles, des composés aromatiques, des acides aminés, ainsi que de multiples composés mineurs comme les terpènes, les polyphénols, les stérols… qui entrent dans de nombreuses formulations.
 

Les déchets organiques représentent un gisement de biomasse largement inexploité.
Les déchets organiques représentent un gisement de biomasse largement inexploité.

La biomasse pourrait bien ringardiser, à terme, les produits issus de la pétrochimie.

Les tensioactifs qui permettent de maintenir les émulsions des crèmes cosmétiques ? Les polymères, les solvants, ou encore les arômes et les agents épaississants utilisés par l’agroalimentaire ? Tous peuvent être produits à partir de composés carbonés issus de la biomasse. Pas la peine de ponctionner les ressources agricoles pour cela, les déchets organiques représentent un gisement de biomasse largement inexploité : résidus de bois issus des scieries, déchets de l’agriculture, ou même épluchures de légumes venues tout droit de nos poubelles…

Alors, la biomasse, recette miracle pour une chimie plus durable ? Ce n’est pas si simple en réalité. Malgré des avantages évidents, plusieurs freins empêchent la généralisation de ces produits. Le principal est d’ordre économique, les coûts de production liés à la fabrication d’un produit biosourcé étant bien supérieurs à ceux d’un produit pétrosourcé. Et pour cause : notre société et son industrie chimique se sont principalement développées à partir du carbone fossile, une matière première composée de molécules de structure simple, formées à base de carbone et d’hydrogène exclusivement. Jusqu’à présent, l’enjeu pour les industriels était de complexifier ces molécules en les oxydant (en leur ajoutant de l’oxygène, donc), afin d’obtenir plus de diversité et des fonctionnalités plus nombreuses. Avec la biomasse, on se retrouve dans la situation inverse : après raffinage, on obtient des molécules déjà très complexes et fortement oxydées, qu’il va falloir simplifier (réduire), afin de pouvoir les utiliser comme matière première.

Des procédés de fabrication très spécifiques

Ce changement d’approche implique une révolution de la chimie qui doit repenser l’ensemble de ses procédés, afin de les adapter aux spécificités de la biomasse. Plusieurs gros projets sont ainsi à l’étude à l’échelle internationale. On peut citer la recherche et la conception de nouveaux catalyseurs et technologies plus adaptés, les progrès fulgurants réalisés récemment dans le domaine des biotechnologies, la caractérisation et l’élucidation de mécanismes réactionnels, la modélisation, le génie des procédés. Le caractère solide de la biomasse, alors que la pétrochimie est habituée à traiter principalement des produits liquides (pétrole) ou gazeux, est un autre défi : c’est pourquoi l’on recherche, actuellement, de nouveaux types de produits capables de dissoudre directement cette biomasse, en lieu et place des procédés utilisés aujourd’hui, très consommateurs d’eau et d’énergie.

La chimie verte a le vent en poupe et de nombreux projets sont actuellement à l’étude à l’échelle internationale.
La chimie verte a le vent en poupe et de nombreux projets sont actuellement à l’étude à l’échelle internationale.

Un autre défi pour les chimistes consiste à trouver des usages plus directs aux molécules complexes issues de la biomasse, sans passer par la case simplification. Avec des cours du pétrole historiquement bas (mais jusqu’à quand ?), l’objectif ici n’est pas de produire des molécules ou matériaux similaires à ceux existants déjà sur le marché, mais bien de développer des produits renouvelables offrant des performances supérieures à celles des produits fossiles, condition sine qua non pour pénétrer le marché. C’est déjà ce qui se passe avec le THF, le tétrahydrofurane, utilisé en tant que solvant dans les procédés chimiques. Son « cousin » issu de la biomasse, la molécule plus complexe de méthyl-THF, possède des propriétés supérieures, notamment un point d’ébullition plus élevé lui permettant d’être plus largement utilisé que le THF dans les procédés d’extraction.

Pour avancer plus vite, rien ne vaut d’unir ses forces. En France, le réseau CNRS-Increase tout juste créé associe ainsi une vingtaine de laboratoires et d’industriels de la chimie pour faire de la biomasse une alternative crédible à la pétrochimie. Restera ensuite à convaincre le consommateur des bienfaits des cosmétiques et des produits alimentaires élaborés à partir de déchets organiques… Les chimistes affûtent déjà leurs arguments.

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

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