Logo du CNRS Le Journal Logo de CSA Research

Grande enquête « CNRS Le Journal »

Votre avis nous intéresse.

Le CNRS a mandaté l’institut CSA pour réaliser une enquête de satisfaction auprès de ses lecteurs.

Répondre à cette enquête ne vous prendra que quelques minutes.

Un grand merci pour votre participation !

Grande enquête « CNRS Le Journal »
Donner du sens à la science

Jeu de go : l’ordinateur plus fort que l’humain?

Dossier
Paru le 25.05.2016
Ces recherches qui ont marqué 2016

Jeu de go : l’ordinateur plus fort que l’humain?

Un ordinateur a battu pour la première fois un joueur professionnel de go il y a quelques mois. Mais fera-t-il le poids contre le meilleur joueur du monde le 9 mars? Les chercheurs Marie-Liesse Cauwet et Olivier Teytaud nous livrent les pronostics et nous expliquent quels progrès en intelligence artificielle sont en jeu.

Une fois par mois, retrouvez sur notre site les Inédits du CNRS, des analyses scientifiques originales publiées en partenariat avec Libération.

    
AlphaGo, programme développé par la filiale DeepMind de Google, a battu par 5 parties à 0 le joueur professionnel français1 Fan Hui, 2e dan (sur 9 au maximum) et meilleur joueur d’Europe, lors d’un match en octobre dernier, relatait la revue Nature2. C’est la première fois qu’un ordinateur bat un joueur professionnel sur un plateau de taille normale et sans handicap3. Les progrès liés à la victoire d’AlphaGo n’étaient pas attendus avant une dizaine d’années dans le milieu de l’intelligence artificielle.
 
Moment de vérité : du 9 au 15 mars, à Séoul, AlphaGo affrontera cette fois le Sud-Coréen Lee Sedol, 9e dan, légende vivante du go et considéré comme le meilleur joueur du monde. Cette nouvelle rencontre, retransmise en direct sur le Net, est dotée d’une prime de 1 million de dollars pour l’humain s’il gagne.
 
Le jeu de go est un jeu d’origine chinoise à deux joueurs, composé d’un plateau, le goban, et de jetons noirs et blancs, les pierres. Les joueurs posent tour à tour leurs pierres sur les intersections du goban, composé de 19 lignes sur 19. Le but est d’occuper le plus grand territoire possible. Malgré des règles très simples, ce jeu est beaucoup plus difficile à maîtriser pour l’ordinateur que le jeu de dames ou le jeu d’échecs (dont le champion Garry Kasparov a été battu par l’ordinateur Deep Blue en 1997). C’est en partie le nombre colossal de configurations possibles du jeu de go – il y en a 10170, c’est-à-dire 1 suivi de 170 zéros, contre 10120  aux échecs – qui rend le jeu si compliqué pour une intelligence artificielle.

Jeu de Go
Le Sud-Coréen Lee Sedol, 9e dan, légende vivante du go et considéré comme le meilleur joueur du monde, affrontera le logiciel AlphaGo du 9 au 15 mars à Séoul.
Jeu de Go
Le Sud-Coréen Lee Sedol, 9e dan, légende vivante du go et considéré comme le meilleur joueur du monde, affrontera le logiciel AlphaGo du 9 au 15 mars à Séoul.

Jusqu’à il y a quelques mois, Zen, programme japonais, était considéré comme le meilleur programme au monde, mais il restait très loin du niveau des meilleurs joueurs professionnels. Son principe, très classique, repose sur l’évaluation de la pertinence des coups en simulant des milliers de parties.

Comment ça marche ?

Cette approche, remontant à 1993, a notamment été améliorée en 2006 grâce à la méthode de « fouille d’arbre Monte-Carlo ». Les parties y sont simulées à partir de la configuration en cours du jeu. Mais le programme ne simule pas toutes les parties possibles, seulement certaines. En fait, on joue « au hasard » un grand nombre de fins de parties à partir de la position en cours (c’est la phase « exploratoire » de l’arbre des possibilités), puis on comptabilise la proportion de parties gagnantes/perdantes. Cette estimation statistique s’affine au fur et à mesure, en favorisant de plus en plus les bons coups.
 
AlphaGo utilise aussi cette technique exploratoire qui a déjà permis les premières victoires contre des joueurs professionnels, en 2009, par des chercheurs français (Rémi Coulom à Lille, puis l’équipe Tao à l’Inria Saclay). Mais le logiciel de DeepMind y ajoute d’autres outils, à commencer par les réseaux de neurones, équivalents in silico des neurones biologiques. Les neurones « apprennent » à se connecter entre eux de la meilleure façon en fonction des résultats obtenus lors de simulations, avant le début de la partie. Tandis que la phase exploratoire de la méthode de Monte-Carlo est réalisée au cours du jeu (on peut choisir par exemple de laisser 20 secondes au programme pour effectuer l’exploration avant de déterminer son action).

AlphaGo s’est
nourri de
30 millions de
coups joués par des
professionnels !

Un réseau de neurones apprend par imitation, en reproduisant des parties de go entre joueurs humains très forts. Des chercheurs d’Edimbourg ont montré que la seule limite de ces méthodes était la puissance de calcul : plus celle qui est fournie au réseau de neurones est grande, plus il joue bien. Or AlphaGo s’est nourri de 30 millions de coups joués par des professionnels !

Ensuite, le réseau de neurones d’AlphaGo progresse en jouant contre lui-même. La méthode utilisée est connue depuis 1992 et fait appel à l’apprentissage par renforcement. C’est ici que la puissance de calcul phénoménale de Google est utile.
 
Enfin, un second réseau de neurones étudie les parties précédemment obtenues du programme contre lui-même et apprend ainsi à reconnaître les « bonnes » situations afin de guider l’exploration aléatoire. On parle d’apprentissage supervisé : l’ordinateur utilise des exemples pour essayer de distinguer les bonnes situations des mauvaises. Il y a donc deux réseaux de neurones pour guider l’exploration aléatoire.

Jeu de Go
Le plateau de jeu de go, le goban, comporte 19 x 19 lignes où poser les jetons.
Jeu de Go
Le plateau de jeu de go, le goban, comporte 19 x 19 lignes où poser les jetons.

À quoi ça sert, à part jouer au jeu de Go ?

L’utilisation de réseaux de neurones n’est pas nouvelle, mais DeepMind a poussé la technique très loin, avec une immense puissance de calcul et de nombreuses couches de neurones (le deep learning), et l’a astucieusement intégrée à la technique exploratoire. C’est cette combinaison de différentes techniques qui est novatrice en ce qui concerne le jeu de go. Le logiciel de DeepMind s’est même payé le luxe de jouer ce que l’on appelle un « triangle vide » lors d’une partie. Ce coup, usuellement considéré comme très mauvais, s’avère dans de rares cas très pertinent et AlphaGo a su s’y risquer à bon escient.

Il ne s’agit pas
que de recopier
les gestes humains,
mais de savoir
les généraliser.

L’apprentissage par imitation est très utilisé en robotique, car il permet de reproduire des gestes fournis par des experts humains. Il ne s’agit pas que de recopier les gestes humains, mais de savoir les généraliser. Les problèmes de contrôle (contrôle de véhicules, applications militaires telles que la planification et l’exécution de missions par l'infanterie4) font aussi souvent appel à l’apprentissage par renforcement.

Enfin, l’apprentissage supervisé est l’outil le plus efficace pour reconnaître des images. Si vous avez un programme qui détecte (bien) s’il y a un cochon sur votre photo ou votre vidéo, il utilise probablement de l’apprentissage supervisé sur réseaux neuronaux. En particulier, l’utilisation de réseaux de neurones dits à convolutions, très proches de ce que l’on trouve dans le cortex visuel, est connue depuis 1998 et les travaux de Yann LeCun. Cela permet de reconnaître le cochon quelle que soit sa position sur l’image.

Quels sont les pronostics ?

La victoire 5 à 0 contre Fan Hui est impressionnante, mais ce joueur ne se trouve que dans les 600 à 700 meilleurs joueurs mondiaux : il est donc loin du meilleur niveau mondial. En outre, des experts affirment que l’humain a d’abord mené une grande partie des matchs avant de s’incliner, et qu’un joueur plus fort, comme Lee Sedol, aurait largement gagné. Les informaticiens de DeepMind reconnaissent eux-mêmes que le programme qui a joué contre Fan Hui n’aurait pas pu gagner contre Lee Sedol, mais ils annoncent que leur programme actuel est beaucoup plus fort. Eux seuls ont les moyens de le tester avant la rencontre cruciale. Leur pronostic (optimiste) pourrait donc s’avérer fiable.

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

Notes

Commentaires

1 commentaire

Peut être pas dans 10 jours mais après que deepmind sera devenu le plus fort joueur du monde, continuera-t-il à progresser? y aura-t-il dans x années un superdeemind qui mettra la pâtée à celui-ci, et qui écrasera facilement Lee sedol comme s'il n'était qu'un débutant?
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS