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Faut-il maintenir la prestation compensatoire?

Point de vue

Faut-il maintenir la prestation compensatoire?

La prestation compensatoire, versée après le divorce par un époux à l’autre pour compenser la disparité des conditions de vie créée par la rupture, pourrait sembler obsolète à l’heure de l’égalité hommes-femmes... Pourtant, elle concerne toujours un divorce sur 5. Retour sur ce dispositif à l’occasion du colloque organisé le 7 octobre à Paris.

Créée par la loi du 11 juillet 1975 qui a libéralisé le divorce et introduit le divorce par consentement mutuel, la prestation compensatoire qui peut être versée par un (ex) époux à l’autre a pour objet de compenser la disparité des conditions de vie créée par la rupture. Cette prestation se justifie-t-elle encore aujourd’hui ? En effet, le mariage est de plus en plus en plus considéré comme une relation partenariale entre deux individus autonomes, de type contractuel et pouvant être rompue à tout moment. De plus, les femmes ont largement investi le marché du travail tandis que le principe de l’égalité entre hommes et femmes est (en théorie) pleinement affirmé... La prestation compensatoire est pourtant loin d’avoir disparu. En 2015, elle a été décidée dans 19 % des divorces contre 12 % en 2003. Et dans plus de 9 cas sur 10, elle l’a été en faveur de l’ex-épouse.  

Des aménagements depuis 1975

Répondant implicitement à cette question, les textes ont évolué depuis 1975. La prestation compensatoire, très contestée dans les années 1990, notamment parce qu’elle était transmissible aux héritiers, a fait l’objet de réformes successives tendant à en limiter le coût pour les débiteurs. Désormais, le versement de la prestation sous la forme d’une rente viagère est résiduel et la fixation d’une rente temporaire est cantonnée aux divorces par consentement mutuel. La prestation est normalement fixée sous la forme d’un capital qui peut être versé sur une période de huit ans maximum. Dans les années qui suivent le divorce, les rentes peuvent faire l’objet d’une révision, à la baisse seulement, « en cas de changement important dans les ressources ou les besoins des parties » et le versement du capital étendu sur une période supérieure à huit ans. Un des ex-époux peut également saisir le juge afin de substituer un capital à la rente. Au décès du débiteur, un versement unique (par les héritiers de celui-ci) règle définitivement la question. Il est pris dans les limites des forces de la succession et il est calculé déduction faite de la pension de retraite de réversion.
 

La prestation compensatoire, très contestée dans les années 1990 (notamment parce qu’elle était transmissible aux héritiers), a fait l’objet de réformes successives tendant à en limiter le coût pour les débiteurs.
La prestation compensatoire, très contestée dans les années 1990 (notamment parce qu’elle était transmissible aux héritiers), a fait l’objet de réformes successives tendant à en limiter le coût pour les débiteurs.

Ces réformes n’ont pas pour autant conduit à la suppression de la prestation et après quarante ans d’existence, sa finalité reste floue. Depuis 1975, la justification d’une telle obligation entre ex-époux ou les objectifs poursuivis par cette prestation n’ont jamais été véritablement tranchés, et les professionnels de la justice eux-mêmes, notamment les magistrats, peinent à évaluer le montant de cette prestation. Proposer des justifications de cette prestation et éclairer ainsi les objectifs poursuivis permettent de hiérarchiser les nombreux critères de décisions proposés par la loi et de fournir des outils d’aide à la décision pour calculer le montant de la prestation compensatoire.

Les objectifs de cette prestation n’ont jamais été tranchés et les magistrats eux-mêmes peinent à évaluer son montant.

S’agit-il de répondre aux besoins de l’époux sans ressource, en rattachant au mariage des droits et obligations spécifiques justifiant la perpétuation d’un devoir de solidarité au-delà de la rupture ? Dans ce modèle, la base de calcul de la prestation est le besoin de l’époux créancier et il est logique de prévoir une prestation révisable, à la baisse comme à la hausse. S’agit-il d’équilibrer en tout ou partie les niveaux de vie après la séparation, l’équité commandant d’approcher d’autant plus cet équilibre que le mariage a été long ? Dans ce modèle, la base de calcul de la prestation est le différentiel de revenus des époux et il est logique de prévoir une prestation forfaitaire, non révisable.

S’agit-il enfin de compenser la perte de capacité de gains pour l’époux qui s’est investi plus que l’autre dans les activités domestiques au détriment de sa trajectoire salariale, considérant que l’équité commande de l’indemniser du préjudice subi ? Dans ce modèle, le manque à gagner résultant du retrait total ou partiel du marché du travail constitue la base de calcul de la prestation et la prestation paraît devoir être forfaitaire, non révisable.

Un élargissement aux couples non mariés ?

Ce dernier modèle, entièrement détaché des obligations traditionnellement rattachées au mariage, soulève une question de fond : pourquoi le préjudice économique ainsi indemnisé serait-il réservé aux seuls couples mariés ? Il conviendrait en toute logique de l’étendre aux couples non mariés – les familles non fondées sur le mariage, nombreuses, ayant globalement le même mode de vie. C’est le choix qui a été fait dans certains pays comme le Canada (à l’exception du Québec).

Et plus largement encore, pourquoi considérer que c'est la solidarité privée qui doit assumer la compensation du manque à gagner supportée par les conjoint(e)s qui ont limité leur activité professionnelle pour s’occuper des enfants du couple, dès lors que ce choix est largement le résultat d’une norme de répartition genrée des rôles sociaux au sein des couples ? Cela semble raisonnable dans la mesure où cette spécialisation résulte d’un mode de vie partagé dans le couple, dans lequel l’un (le plus souvent la femme) supporte le coût de la spécialisation, l’autre le coût de cette compensation – et ce sans pour autant défendre une conception traditionnelle de la famille.
 

Colloque « Les conséquences de la rupture, la prestation compensatoire en question », vendredi 7 octobre de 9 heures à 19 heures, au ministère de la Justice, site Olympe-de-Gouges - 35, rue de la Gare (Paris XIXe).

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
 

Commentaires

1 commentaire

Contrairement à ce que vous dites, le mariage n'est pas considéré comme une relation partenariale entre deux individus autonomes, de type contractuel. Si vous employez le mot "contractuel" c'est bien parce que vous avez une idée assez malsaine derrière la tête et ce n'est pas à votre honneur ... Je trouve votre « prosélytisme » assez malsain pour ne pas dire partisan … En réalité le mariage devient de plus en plus individualiste, tout comme la famille. Le mariage est délaissé au profit du PACS parce que ce dernier répond mieux aux exigences d'autonomie et d'engagement contrôlé et limité des couples. Et lorsque le mariage a lieu, il se fait de plus en plus "en séparation de biens" ce qui prouve que les époux sont très loin de vouloir tout partager. Donc non, le mariage ne devient pas une relation contractuelle (qui vous permettra de "voler" un peu plus les hommes au moment du divorce ...), en réalité le mariage devient individualiste car, lorsque chaque conjoint possède une profession, il l'exerce pleinement. Nous ne sommes plus dans les vieux schémas où la femme ne faisait pas d'études car prédestinée au mariage. Les choses ont évolué. Que deviendront vos arguments uniquement axés pour l'heure sur un mariage constitué par un homme et une femme, dans le cadre du mariage pour tous ? Pourrez-vous continuer à invoquer, sans le démontrer, une inégalité de genre alors qu'elle est en réalité une inégalité qui découle essentiellement de qualifications professionnelles différentes ? Qualifications professionnelles dont la différence préexistait au mariage. Qu'est-ce qui vous permet de généraliser votre principe de spécialisation ? Rien en réalité. Quel sera votre discours pour les mariés de même sexe ? Vous allez finir par gagner ceci: plus aucun homme je voudra se marier. Car les hommes sont généralement perdants dans le mariage. Vous oubliez aussi deux points majeurs dans votre raisonnement : - Même si dans le régime légal il existe la notion de biens propres. Et je vous invite à lire les articles 1404 – 1405 et 1406 du code civil (que vous feriez bien de connaître). La communauté réduite aux acquêts constitue déjà un pré paiement de prestation compensatoire puisque celui qui a le plus contribué à l’accroissement des masses financières à répartir (en général l’homme) se retrouve avec moins que ce qu’il a apporté. Essayez d’intégrer ceci dans vos raisonnements. - L’article 270 du code civil est inconstitutionnel et je vous explique pourquoi ci après. Pourquoi l’artcile270 est-il inconstitutionnel ? Liminaire : L’article 270 du code civil a été initialement rédigé dans un contexte où les femmes ne travaillaient pas (et où la QPC n’existait pas). Le modèle « hiérarchique » était la norme : l’homme au travail comme pourvoyeur de ressources et la femme à la maison pour s’occuper des enfants. Dans un tel contexte il fallait bien trouver un moyen pour qu’en cas de divorce, la femme sans diplômes ni qualifications professionnelles puisse continuer à vivre dans des conditions décentes. Depuis, bien des choses ont changé. Le modèle familial a évolué vers un modèle individualiste : l’homme et la femme ont accès aux études, aux formations qualifiantes, au travail. Et c’est bien ce modèle qui est encouragé par les pouvoirs publics depuis des décennies maintenant. Les femmes entrent dans « la relation d’ordre » c’est pourquoi on peut légitimement se poser la question de l’équité: on ne mérite pas "pareil que son conjoint si on a des qualifications professionnelles différentes des siennes. Le problème de constitutionnalité : L’article 270 du code civil nous dit que: « L'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Etc. » Un détail sémantique important: « que la rupture du mariage crée dans les conditions ». Interprété stricto sensu, lorsque les différences de revenus proviennent de différences de qualifications professionnelles qui préexistaient au mariage, ce n’est pas la rupture du mariage qui crée la disparité car elle existait déjà. Dans ce cas la disparité a été créée par les choix professionnels faits délibérément par chaque conjoint avant le mariage (c’est LA cause primaire), le divorce ne fait que la révéler mais il ne la crée pas. Or la Cour de Cassation dit que : « Le juge ne peut pas rejeter une demande de prestation compensatoire en énonçant que, s'il existe entre les époux une différence sensible de revenus, il ressort néanmoins que celle-ci préexistait au mariage et qu'en aucune façon, elle ne résulte des choix opérés en commun par les conjoints. » Cass. civ. 1ère, 12 janv. 2011 (pourvoi n°09-72248) et Cass.1ère civ. 18 mai 2011 (pourvoi N°10-17445). Par conséquent, si on s’en tient à l’interprétation de la cour de cassation, l’un des époux peut être condamné à payer une somme d’argent à l’autre au seul et unique motif que ses qualifications professionnelles sont supérieures à celles de l’autre, quand bien même ces différences de qualifications professionnelles préexistaient au mariage (mon cas). Cette prestation compensatoire est prise de facto sur les biens propres du débiteur. Pourtant le droit de propriété bénéficie d’une protection particulière en droit Français. Déclaration des droits de l’homme qui a valeur constitutionnelle : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. » Il existe donc des limites au droit de propriété : l’intérêt général, l’ordre public. Or lorsque deux conjoints divorcent et que : - chaque conjoint bénéficie de revenus (en général revenus du travail) qui leur permet de vivre dans des conditions acceptables, - aucun des deux conjoints n’a subi de préjudice de carrière pendant le mariage (et on peut le mesurer par la méthode des homologues), que le conjoint demandeur se trouve dans une position professionnelle identique à celle qui serait la sienne s’il était resté célibataire, et il y a forte présomption que ce soit le cas s’il n’y a aucun trou de carrière (hors chômage qui touche d’ailleurs autant les hommes que les femmes). Il n’y a aucune atteinte à l’intérêt général si les revenus post divorce (du travail) de l’un sont supérieurs à ceux de l’autre, fussent-ils le quadruple puisqu’ils découlent de qualifications professionnelles et de capacités intellectuelles et/ou physiques différentes. Et il n’y a non plus aucun trouble à l’ordre public, à moins de considérer qu’une personne qui a été mariée a droit à plus qu’une personne restée célibataire (à compétences identiques), et on serait là en pleine inconstitutionnalité. Si bien que sur ce point, rien ne justifie l’intervention de la puissance publique. Mais l’article 270 du code civil conduit quand-même à priver l’un des deux conjoints d’une partie de ce qui est sa propriété puisqu’il paie la PC sur ses biens propres. Il existe donc une vraie question sur la constitutionnalité de l’article 270. Pourquoi la question n’a-t-elle jamais été posée en ces termes ? Parce que la QPC n’existe que depuis peu de temps, et peut-être aussi parce que personne n’ose (peur d’être accusé de misogynie puisque c’est l’accusation qui « invalide » immédiatement toute argumentation construite, peu d’hommes ont droit au chapitre dans cette matière …). Mais si le conseil constitutionnel était saisi de la question en ces termes, il serait bien embarrassé. Et à moins de rendre un avis uniquement politique, il serait obligé de rendre un avis d’inconstitutionnalité.
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