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Supraconductivité, une révolution qui venait du froid

Supraconductivité, une révolution qui venait du froid

28.07.2015, par
Supraconductivité, lévitation
Détection de particules, analyse de la matière, lévitation… La supraconductivité a de très nombreuses applications.
Refroidis à des températures extrêmes, certains matériaux deviennent supraconducteurs : ils laissent passer le courant électrique sans aucune résistance ! Décryptage de cette surprenante propriété qui, un siècle après sa découverte, est loin d'avoir trouvé toutes ses applications.

(L'intégralité de cet article a été publiée dans CNRS Le journal, n° 255, avril 2011.)

Il y a cent ans, un étonnant phénomène chamboulait tout ce que l’on savait jusqu’alors sur l’électricité. Ou plutôt sur la résistance des matériaux à la laisser passer. Car, même les fils électriques les plus conducteurs qui soient gâchaient une partie de cette énergie en la transformant en chaleur. Jusqu’à ce que, en 1911, un physicien hollandais voit littéralement ­“disparaître” la résistance électrique du mercure ! Pas dans n’importe quelle condition cependant : à une température frisant le zéro absoluFermerTempérature égale à – 273,15 °C, la plus basse qui puisse exister dans l’Univers et à laquelle toutes les particules sont immobiles. Seuls les effets quantiques se manifestent.. La supraconduc­tivité était née et semblait concerner de très nombreux métaux et alliages. Un siècle plus tard, elle représente un marché de près de 4,5 milliards d’euros1.

Un
supraconducteur
est tout autre chose
qu’un simple
conducteur idéal.

Pour expliquer le phénomène, nul besoin de faire appel à une transfor­mation du matériau induite par le froid. La supraconductivité trouve son origine dans le comportement des électrons de la matière et, pour la comprendre, il faut avoir recours à la physique quantique. Au fil des ans, les recherches vont révéler bien d’autres propriétés surprenantes. En particulier, supraconductivité et ­magnétisme ne font pas bon ménage : un supraconducteur exclut tout champ magnétique que l’on veut lui imposer de l’extérieur. C’est l’effet Meissner, du nom de son découvreur.

« C’est d’ailleurs cette capacité qui fait qu’un supraconducteur est tout autre chose qu’un simple conducteur idéal », rappelle Georges Waysand, fondateur du Labo­ratoire souterrain à bas bruit de Rustrel-Pays d’Apt2 et spécialiste de l’histoire de la supraconductivité.
 

La supraconductivité expliquée en infographie.
La supraconductivité expliquée en infographie.
La supraconductivité expliquée en infographie.
La supraconductivité expliquée en infographie.

Un courant illimité

Disparition de la résistance électrique et exclusion des champs magnétiques, ces deux propriétés principales de la supraconductivité sont à l’origine de nombreuses applications. Il suffit d’injecter du courant dans une bobine de fil supra­conducteur pour le conserver indéfi­niment. Ou que le courant dans cette ­bobine soit d’une intensité colossale pour qu’il génère un champ magnétique tout aussi important, sans risque de ­surchauffe. Ou encore qu’un aimant soit placé au-dessus d’un supraconducteur pour tout bonnement… léviter. À la clé, ce sont les domaines de l’énergie, des transports, des télécommunications, de la sécurité, des technologies pour la santé, mais aussi les recherches en physique, en astronomie, en neurologie, en géologie et en archéologie qui peuvent bénéficier des supraconducteurs.

Sans oublier tous les apports fondamentaux qui ont totalement renouvelé la physique de la matière condensée. « Depuis les années 1980, le nombre d’articles dans lesquels le mot supraconducteur est cité n’a fait qu’augmenter », indique Julien Bobroff, du Laboratoire de physique des solides3, à Orsay. Cela étant, « aucune des théories de la supraconductivité ne permet de prédire, a priori, si un composé sera supra­conducteur, commente Georges Waysand. D’où, en ­parallèle des efforts théoriques, une recherche souvent empirique, éventuellement intuitive et parfois involontaire, qui a mené à la découverte de nouveaux supraconducteurs. »

Ce n’est qu’un début

Ceux-ci, qui répondent aux noms insolites de cuprates ou de pnictures, ont la particularité d’exprimer leur supraconductivité à des températures plus élevées que celle des métaux. À présent, les chercheurs espèrent comprendre d’où vient cette supraconductivité à haute température pour pouvoir l’améliorer, et pourquoi pas trouver des supraconducteurs à température ambiante, qui ne nécessiteraient plus de réfrigération. L’avenir semble donc prometteur. Et c’est sans compter la convergence récente du champ des supraconducteurs avec celui des nanotechnologies, et tout le cortège de nouveaux effets à comprendre et à exploiter qu’elle va engendrer. La supraconductivité, qui stimule la recherche fondamentale en même temps qu’elle laisse entrevoir la ­possibilité de formidables applications, est encore bel et bien dans sa prime jeunesse !

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La supra, ça sert à…

Accélérer les particules
La supraconductivité est un des piliers de la technologie des grands accélérateurs de particules. Sans elle, le LHC du Cern, à Genève, ne mesurerait pas 27 kilomètres de circonférence, mais… 110. Autrement dit, il n’existerait pas. En effet, pour accélérer et courber la trajectoire des particules, on fait appel à d’importants champs magnétiques. Ceux-ci sont engendrés par des courants de forte intensité circulant dans des bobines supraconductrices, une propriété qui les préserve de la surchauffe. L’anneau du LHC est ainsi équipé de 7 500 kilomètres de câbles supraconducteurs refroidis à – 271 °C et générant un champ de 8,3 teslas.

Aimants supraconducteurs du LHC
Les aimants supraconducteurs du LHC génèrent un champ magnétique qui concentre les faisceaux de particules.
Aimants supraconducteurs du LHC
Les aimants supraconducteurs du LHC génèrent un champ magnétique qui concentre les faisceaux de particules.

Enregistrer d’infimes champs magnétiques
Voir le cerveau fonctionner en direct : voilà l’une des prodigieuses applications du Squid. De quoi s’agit-il ? Du magnétomètre le plus sensible qui soit, et dont le fonctionnement repose une nouvelle fois sur la supraconductivité. Grâce à lui, on peut enregistrer les minuscules champs magnétiques à la surface du crâne dus à l’activité neuronale, bien qu’ils soient un milliard de fois moins intenses que le champ terrestre. Objet de nombreuses recherches, cette technique – complémentaire de l’IRM, mais spatialement moins précise – permet néanmoins de réaliser une image toutes les millisecondes. La sensibilité des Squid les rend particulièrement adaptés à l’étude du champ magnétique terrestre, avec des applications en paléomagnétisme et en archéologie.

magnéto-encéphalographie
Les Squid sont utilisés pour la magnéto-encéphalographie, afin de mesurer l’activité des neurones.
magnéto-encéphalographie
Les Squid sont utilisés pour la magnéto-encéphalographie, afin de mesurer l’activité des neurones.

Observer l’infiniment grand
La supraconductivité sert aussi à étudier l’Univers. Car, dans certains domaines d’observation, comme l’infrarouge lointain ou le rayonnement millimétrique, l’énergie d’un photon est trop faible pour être détectée par les appareils habituels. Les astrophysiciens utilisent donc des bolomètres, des détecteurs dont la sensibilité est maximale lorsqu’ils sont rendus supraconducteurs. Couramment utilisés sur Terre, de tels instruments sont en plein développement pour les satellites. Ils équiperont par exemple l’instrument Safari, installé sur le futur satellite japonais Spica, dédié à l’observation de la formation des galaxies et des systèmes d’étoiles (NDLR : le lancement du télescope spatial infrarouge Spica pourrait avoir lieu en 2022).

Télescope spatial spica
Le télescope spatial Spica embarquera un instrument doté de bolomètres supraconducteurs.
Télescope spatial spica
Le télescope spatial Spica embarquera un instrument doté de bolomètres supraconducteurs.

 

Notes
  • 1. Source Conectus (Consortium of European Companies Determined to Use Superconductivity).
  • 2. Unité CNRS/UNS/UAPV/AMU/OCA.
  • 3. Unité CNRS/Univ. Paris-Sud.
Aller plus loin

Auteur

Mathieu Grousson

Né en 1974, Mathieu Grousson est journaliste scientifique. Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, il est également docteur en physique.

 

À lire / À voir

La supraconductivité prend son envol, CNRS le journal n°255, avril 2011

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