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Quand la dépression n’arrive pas seule

Quand la dépression n’arrive pas seule

09.03.2020, par
La dépression ne se manifeste pas toujours seule. Accidents cardio-vasculaires, maladies neurodégénératives, troubles du sommeil, douleur chronique… lui sont régulièrement associés. Pourquoi cette concomitance ? Qu’est-ce qui, du trouble physique ou de la dépression, provoque l’autre ?

Le chiffre ne laisse pas de surprendre, et permet de toucher du doigt l’ampleur du phénomène : en moyenne, 25 % des patients hospitalisés pour un problème de santé générale présentent aussi des symptômes dépressifs. « Si l’on se situe du côté des personnes qui sont suivies pour dépression, les études rapportent que 35 à 50 % d’entre elles souffrent d’une autre maladie », complète Bruno Aouizerate, psychiatre à l’hôpital Charles Perrens à Bordeaux et chercheur au laboratoire NutriNeuro. Ainsi, il n’est pas rare de voir associés dépression et obésité, dépression et diabète, dépression et AVC, dépression et Parkinson, dépression et douleur chronique… Sans que l’on sache toujours quel trouble cause l’autre.

« Plus la recherche avance, plus il apparaît qu’on a affaire à un phénomène bidirectionnel », avance Pierre-Alexis Geoffroy, psychiatre à l’hôpital Bichat à Paris et chercheur au laboratoire Neurodiderot. On sait qu’une personne dépressive sera davantage sujette à des complications de santé ; la dépression se caractérise en effet par un stress oxydatif et un terrain inflammatoire plus importants, souvent aggravés par le fait qu’un sujet déprimé aura davantage de comportements à risque – consommation de tabac ou d’alcool plus importante, moindre recours à la médecine de prévention (examens sanguins, dépistage du cancer du sein ou du côlon)...
 

On sait qu’une personne dépressive sera davantage sujette à des complications de santé. À l'inverse, la dépression est aussi susceptible d’apparaître dans le sillage d’une autre pathologie.

À l’inverse, la dépression est aussi susceptible d’apparaître dans le sillage d’une autre pathologie : elle peut être la conséquence du mal-être engendré par la maladie et ce qu’elle suppose (séquelles physiques, lourdeur du traitement…), voire constituer un symptôme de la pathologie en tant que telle, comme le montrent les récentes découvertes sur la maladie de Parkinson et la mise en évidence par les chercheurs de voies biologiques communes avec la dépression (lire ci-dessous). « La dépression qui apparaît pour la première fois chez un sujet âgé peut être annonciatrice d’une maladie neurologique dégénérative », rappelle Pierre-Alexis Geoffroy.

La coexistence entre la dépression et une autre maladie n’est pas seulement un casse-tête pour les chercheurs, elle pose un vrai défi aux médecins dans le diagnostic et le traitement des patients. « Du point de vue du psychiatre que je suis, cette cooccurrence, si elle n’est pas identifiée, peut compromettre la prise en charge des patients dépressifs et rendre inefficaces les traitements standards contre la dépression », souligne Bruno Aouizerate, qui pointe le danger que le patient développe une dépression récidivante, voire chronique. De la même manière, des patients souffrant de troubles physiques, dont on n’aurait pas diagnostiqué et pris en charge les troubles dépressifs, courent le risque de moins bien répondre aux traitements et voir leur maladie évoluer défavorablement. Une statistique, parmi tant d’autres, devrait alerter : une personne cardiaque déprimée a un risque de mortalité 3,5 fois plus élevé qu’une personne cardiaque non déprimée.

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La douleur s’en mêle

« Il existe un lien très fort entre douleur et dépression, affirme Ipek Yalcin, neuroscientifique à l’Institut des neurosciences cellulaires et intégratives1 (Inci) à Strasbourg et spécialiste de la douleur. On estime que 50 % des patients souffrant de douleurs chroniques développent des troubles anxieux ou dépressifs, un chiffre qui monte à 80 % si l’on cible les personnes souffrant de fibromyalgie, ces douleurs musculo-squelettiques généralisées. » Les études menées depuis une dizaine d’années sur l’animal ont permis de mieux comprendre ce lien entre douleur et dépression. « Chez la souris avec une sciatique persistante, on voit la structure et le fonctionnement du cerveau se modifier en quelques semaines à peine, et les comportements anxio-dépressifs s’installer », indique la chercheuse.

Cette réorganisation progressive concerne dans un premier temps les structures impliquées dans le traitement de l’information sensorielle liée à la douleur, puis atteint les zones en charge des émotions – le cortex préfrontal, l’hippocampe ou encore l’amygdale. «  La douleur s’inscrit dans le cerveau comme une mémoire, précise Ipek Yalcin. Preuve que ces modifications cérébrales sont profondes et durables : même lorsque l’on supprime la douleur, l’état dépressif peut persister durant de nombreuses semaines chez les souris observées. » Mais le lien entre douleur et dépression ne fonctionne pas que dans un sens : la dépression aussi peut influer sur la douleur. « On a affaire à un cercle vicieux », confirme Ipek Yalcin. Ainsi, les patients dépressifs auraient tendance à être plus sensibles à la douleur et à davantage développer des douleurs chroniques. « Les recherches des scientifiques sur le sujet sont toujours en cours. Chaque dépression est pour ainsi dire unique et il faut se garder de généraliser », nuance la chercheuse. ♦

Sommeil perturbé, danger

« L’intérêt porté aux liens entre sommeil et dépression est assez récent en France, affirme Patrice Bourgin, directeur du Centre des troubles du sommeil-Circsom à Strasbourg et chercheur à l’Inci. Mais aujourd’hui, il ne fait plus de doute que le sommeil est impliqué dans un certain nombre de troubles mentaux, dont la dépression. » Et ce, qu’il s’agisse de troubles du sommeil nocturne comme les insomnies de fin de nuit (4-5 heures du matin) associées à des chutes d’humeur, ou de troubles du sommeil de jour (somnolences, hypersomnie) associés notamment aux dépressions saisonnières. Parmi les pistes suivies pour explorer ce lien complexe, le rôle joué par la lumière est au cœur des recherches du scientifique. « La lumière joue à plusieurs niveaux, explique Patrice Bourgin. Elle synchronise les rythmes et l’horloge interne ; elle influe sur la vigilance et sur l’éveil ; elle agit sur l’homéostasie du sommeil (c’est le fait d’accumuler de la “dette” de sommeil durant le temps d’éveil qui nous permet de dormir la nuit suivante, NDLR) ; enfin, elle a des effets directs sur le système sérotoninergique, qu’on sait également très impliqué dans la dépression. »

La luminothérapie, dont l'exercice physique maximise l'efficacité, fait ses preuves pour régler les troubles du sommeil et certains troubles dépressifs.
La luminothérapie, dont l'exercice physique maximise l'efficacité, fait ses preuves pour régler les troubles du sommeil et certains troubles dépressifs.

Pour étudier le lien entre hypersomnie et dépression, les chercheurs étudient ainsi le fonctionnement de la rétine chez les patients en réaction à des ondes lumineuses de fréquences différentes. « Notre hypothèse, c’est que des anomalies de traitement du signal lumineux pourraient expliquer l’hypersomnie associée à la dépression », indique Patrice Bourgin. S’il reste encore beaucoup à apprendre sur le triptyque lumière-sommeil-dépression, la luminothérapie fait d’ores déjà ses preuves pour régler certains troubles du sommeil, mais aussi, et c’est plus surprenant, un certain nombre de troubles dépressifs. « Les études montrent que la luminothérapie présente une efficacité comparable aux antidépresseurs pour traiter la dépression et que la combinaison des deux traitements est plus efficace que les antidépresseurs seuls », rappelle Patrice Bourgin, qui vient de signer avec Pierre-Alexis Geoffroy une vaste analyse sur le sujet. ♦

Un symptôme de Parkinson

La maladie de Parkinson est bien connue pour ses symptômes moteurs : troubles du mouvement, tremblements, rigidité musculaire et troubles posturaux. Mais des symptômes non moteurs peuvent aussi se manifester, au premier rang desquels les troubles anxieux et la dépression. « Cela fait environ quinze ans que les chercheurs s’y intéressent, confirme Léon Tremblay, neurophysiologiste à l’Institut des sciences cognitives Marc Jeannerod2 à Lyon, et spécialiste des ganglions de la base, une structure du cerveau impliquée dans cette maladie neurodégénérative. On a d’abord pensé que les symptômes dépressifs étaient la résultante du stress induit par le handicap chez les patients parkinsoniens, mais on sait désormais qu’ils sont constitutifs de la maladie, au même titre que les troubles moteurs. »

Le chercheur et son équipe ont été parmi les premiers à démontrer, en 2016, ce qui n’était jusque-là qu’une hypothèse : que deux populations neuronales distinctes situées dans les parties profondes du cerveau sont atteintes dans la maladie de Parkinson, à des degrés divers selon les malades. « Le premier groupe de neurones, dit dopaminergique, produit et libère dans les ganglions de la base et les parties antérieures du cerveau un neurotransmetteur appelé dopamine, le deuxième groupe, dit sérotoninergique, libère la sérotonine dans les mêmes régions du cerveau, détaille le scientifique. Grâce à l’imagerie par émission de positons (TEP), nous avons montré que si le système dopaminergique est effectivement détérioré dans la maladie de Parkinson – un fait qui était déjà connu –, cette maladie neurodégénérative peut aussi atteindre de façon plus ou moins massive le système sérotoninergique. » L’altération des fibres sérotoninergiques explique pourquoi les patients parkinsoniens chez qui des symptômes dépressifs ont été identifiés sont résistants aux traitements dits « inhibiteurs de la recapture de la sérotonine » (IRS), dont le célèbre Prozac®. « Une fois le diagnostic correctement posé, des thérapeutiques adaptées existent et sont à même de résoudre les deux types de symptômes, moteurs et non moteurs », rassure Léon Tremblay. ♦

AVC et dépression, les liaisons dangereuses

Identifié il y a une vingtaine d’années environ, le lien entre accident vasculaire cérébral (AVC) et dépression est complexe. « Il est aujourd’hui établi que les troubles de l’humeur sont un facteur de risque d’AVC, au même titre que la sédentarité, l’hypertension ou le cholestérol par exemple », indique Igor Sibon, neurologue et chercheur à l’Institut de neurosciences cognitives et intégratives d’Aquitaine3, au sein de l’unité Neuro-imagerie et cognition. En cause, notamment : la surconsommation de tabac ou d’alcool chez certains sujets déprimés, et des comportements de prévention plus aléatoires – les traitements contre l’hypertension, le diabète, seront moins bien suivis. « On sait aussi que l’un des neurotransmetteurs impliqués dans la dépression, la sérotonine, joue un rôle dans le fonctionnement des plaquettes sanguines impliquées dans la coagulation, pointe Igor Sibon. Il y aurait donc une communauté de voies biologiques entre troubles de l’humeur et survenue de l’AVC. »

Mais le lien entre les deux affections n’est pas univoque : les personnes ayant subi un AVC ont également un risque plus fort de développer un trouble de l’humeur dans les mois qui suivent l’accident – un quart d’entre elles souffriraient de dépression sévère dans les trois mois. « Or une dépression post-AVC, si elle n’est pas repérée et soignée, peut réduire l’efficacité des stratégies de récupération après l’accident, voire contribuer à l’apparition de troubles cognitifs comme le syndrome démentiel post-AVC », explique le scientifique, qui utilise la neuroimagerie pour mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre. Son équipe s’intéresse tout particulièrement à la taille et à la localisation de la lésion. « Est-ce que certaines zones en particulier présentent plus de risques de déclencher une dépression ? Nous ne le pensons pas. Ce qui est en jeu ici, c’est davantage le réseau auquel la zone lésée appartient, et l’interruption que cela va créer dans ce circuit. » Un outil de détection précoce des symptômes de dépression post-AVC a également été développé et est actuellement en cours d’évaluation : grâce à ce questionnaire disponible sur smartphone et administré plusieurs fois par semaine, les scientifiques peuvent évaluer avec finesse l’état émotionnel du patient confronté aux événements de la vie quotidienne. ♦

 

A lire sur le même sujet : Nouveaux regards sur la dépression

Notes
  • 1. Unité CNRS/Université de Strasbourg.
  • 2. Unité CNRS/Université Claude-Bernard Lyon 1.
  • 3. Unité CNRS/Université de Bordeaux.

Commentaires

1 commentaire

Il serait effectivement très intéressant et urgent d'avoir une autre approche sur la dépression et sur l'anxiété car les traitements actuels sont inefficaces voire dangereux et toxiques. J'ai fait l'énorme erreur de faire confiance à un psychiatre qui m'a mise sous antidépresseur pour soigner, non pas une dépression, mais de l'anxiété liée à une perte d'emploi et de logement suite à un divorce. Je n'ai jamais pu me débarasser de cette merde de médoc par la suite. Sevrages atroces et impossibles à supporter. A chaque sevrage raté, augmentation de dose car la dose précédente ne fonctionnait plus. Au fur et à mesure de l'augmentation des doses sont venus toujours en nombre plus importants les effets délétères du traitement : perte de cheveux, prise de poids (kilo en trop impossible à perdre malgré un régime et 8h de cardio par semaine), trouble de la mémoire, somnolence, asthénie, hypotension, insomnies qui ont donné à long terme un épuisement physique, douleurs articulaires, douleurs musculaires, maux de tête, vertiges, acouphènes, paresthésies... Le dernier essai de sevrage (géré par un psychiatre) et de changement de traitement m'a tout droit conduite à l'hôpital, j'ai cru tout simplement que j'allais crever. Je ne m'en suis jamais remise, j'ai à présent des troubles neurologiques (tremblements, perte de sensibilité, tachycardie posturale orthostatique) et je ne suis plus capable de travailler... Je n'ai jamais eu autant de problème de santé que depuis que j'ai commencé ce traitement antidépresseur pour de l'anxiété. Si j'avais su, jamais ne n'aurais accepté de prendre ce traitement. Avant, je bossais temps plein, je faisais 8h de sport semaine et je jouais du violon dans un orchestre amateur. Maintenant, la plupart du temps, je suis clouée au lit. En à peine 10 ans, une belle descente aux enfers. A présent, on me répond qu'on ne sait pas, qu'on ne comprends pas, qu'on n'a jamais vu cela, que ce n'est pas lié aux antidépresseurs... Hélas, on trouve des milliers de témoignages identiques au mien sur le net. Il n'y a que les médecins qui ne sont pas au courant (enfin certains le sont et vous répondent alors qu'ils sont désolés pour vous).
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