Sections

Prométée, la plateforme de l’extrême

Prométée, la plateforme de l’extrême

23.03.2016, par
Plateforme PROMETEE
Soufflerie à rafale. Les études menées sur ce moyen d’essai concernent les domaines de l’aéronautique civile et du spatial.
À Poitiers, la plateforme Prométée va bientôt rassembler un ensemble d’équipements et de bancs de tests destinés à l’étude du comportement des turbines, réacteurs et autres engins aéronautiques dans des conditions extrêmes.

Des bâtiments d’un ou deux étages alignés les uns à côté des autres. Un haut mur d’enceinte. Vu de l’extérieur, par une matinée froide et pluvieuse, le Centre d’études aérodynamiques et thermiques (CEAT), près de l’aéroport de Poitiers Biard, a des allures de caserne. De fait, raconte Yves Gervais, directeur de l’Institut Pprime (P’)1 du CNRS, auquel le CEAT est rattaché, « le site appartenait à l’origine à l’armée qui, dans les années 1960, l’avait aménagé afin d’y réaliser des études d’aéro-hydrodynamique destinées à la conception des premiers sous-marins français lanceurs d’engins ». Laissé à l’université de Poitiers, il accueille pour quelques temps encore un parc important de grosses installations expérimentales dédiées à la recherche civile dans les domaines de l’aéronautique, du spatial, des transports et de l’énergie.

Plateforme Prométée
Vue d’architecte de la plateforme Prométée.
Plateforme Prométée
Vue d’architecte de la plateforme Prométée.

Mais l’heure du passage du flambeau a sonné pour le CEAT : d’ici six mois, dans le cadre d’un ambitieux chantier de 14 millions d’euros baptisé Prométée2, ses équipements seront démontés, améliorés et réinstallés  dans un bâtiment flambant neuf de 2 500 m2, qui a été inauguré le 25 janvier dernier, à une quinzaine de kilomètres de là, au cœur de la technopole du Futuroscope de Poitiers.

Un pôle pour les sciences de l’ingénieur

Tout cela, pour quoi faire ? Des sciences de l’ingénieur ! Né en 2010 de la fusion de six laboratoires du CNRS, l’Institut Pprime est, en France, l’un des hauts lieux de ce domaine. Pas moins de 300 personnes y travaillent au sein de ses trois départements sur divers thèmes, dont la physique des matériaux – notamment ceux soumis à des conditions extrêmes –, la mécanique des fluides chauds et turbulents, la combustion, la détonique ou encore le génie mécanique, avec un intérêt poussé pour les problèmes de lubrification hydrodynamique des moteurs et des turbines.

Hélicoptère, avion, fusée ou encore véhicules à hydrogène sont les mots clés de ce laboratoire qui s’intéresse également aux dispositifs de production d’énergie des centrales EDF. Mais s’il est vrai que la plupart des installations que l’on trouve ici ont été financées dans le cadre de conventions signées avec des industriels, on cherchera en vain dans ces locaux un réacteur d’A-380 ou un booster d’Ariane 5. « La vocation de Pprime n’est pas de faire de la R & D, mais de la recherche en amont sur de nouveaux concepts », tient à préciser Yves Gervais.

Plateforme PROMETEE
Conception assistée par ordinateur d’une main robotique de nouvelle génération destinée à être embarquée à l’extrémité d’un bras manipulateur.
Plateforme PROMETEE
Conception assistée par ordinateur d’une main robotique de nouvelle génération destinée à être embarquée à l’extrémité d’un bras manipulateur.

Les moyens à mettre en œuvre pour cette science n’en demeurent pas moins lourds. En tout cas, exceptionnels parmi les laboratoires de recherche publique français, ceux de l’Onéra3 exceptés. Ainsi, la plateforme Prométée sera, comme c’est déjà le cas du CEAT, équipée d’un réseau en air comprimé maintenu à 200 bars. D’un maniement délicat, nécessitant de longues années d’expérience, il devrait être l’un des plus vastes d’Europe. Et servira à alimenter, selon les besoins des utilisateurs, les diverses expériences du site.

Une soufflerie pour tester les fusées

Par exemple, la fameuse soufflerie S150 que présentent au CEAT avant son démontage, et non sans fierté, l’ingénieur Steve Girard et le technicien Alexandre Royer. Montée dans un antique hangar conçu à l’origine pour accueillir un compresseur haut de trois étages aujourd’hui disparu, la machine est alimentée en air comprimé par le réseau via un système de vannes piloté par l’informatique. Constituée d’un bidon en acier où la pression est maintenue en permanence à plusieurs dizaines de bars, elle sert à produire, dans un brouhaha infernal, des jets de gaz de vitesse supersonique. « Jusqu’à Mach 3.5 ! », précise Steve Girard. Lui et ses collègues emploient ce dispositif afin d’étudier sur des maquettes certains phénomènes de vibration pouvant survenir sur des réacteurs de fusées. Comme des problèmes de décollement de tuyères.

La vocation de
Pprime n’est pas de
faire de la R & D,
mais de
la recherche
en amont sur
de nouveaux concepts.

« Le moteur central d’Ariane 5 est conçu pour fonctionner efficacement en altitude là où la pression atmosphérique est faible, explique le chercheur. La poussée nécessaire au décollage étant fournie par les boosters, il n’est au départ que de peu d’utilité. Mais il doit être allumé au sol pour des raisons de sécurité. » Résultat : le jet de gaz chaud sorti du réacteur lorsque l’engin spatial est encore sur le plancher des vaches peut devenir instable et turbulent générant d’importantes charges latérales sur les tuyères qui se mettent à vibrer. Que celles-ci fendent la jupe de l’engin, et adieu la fusée ! L’équipe de Steve Girard espère identifier des régimes de fonctionnement du moteur à même de limiter ce risque.

Mettre en sourdine les réacteurs

Non loin de là, l’ingénieur Patrick Berterretche est un autre grand utilisateur du réseau d’alimentation en air comprimé du CEAT. Tout comme ses confrères de la soufflerie S150, il s’intéresse aux fusées. Au fond d’une vaste dépression cachée par un talus où est installée une sorte de cahute rappelant vaguement un pavillon de chasse, il présente l’un des clous de la collection des instruments expérimentaux du centre : le banc Martel. Construit en 1996, grâce à des financements du Cnes, ce spectaculaire dispositif, installé en plein air, a été conçu pour rien de moins que mettre une sourdine à Ariane 5 ! « En effet, explique le chercheur, une fusée au décollage produit un bruit d’une formidable intensité : de l’ordre de 160 dB. » Les vibrations générées par ce grondement sont si fortes qu’elles secouent le lanceur dans tous les sens au moment du décollage. Conséquence : le satellite qu’il embarque peut être endommagé.

D’où la mise au point, par plusieurs agences spatiales, d’un système d’atténuation du bruit consistant à injecter, lors du lancement, de l’eau en grande quantité dans le jet brûlant sortant du réacteur. Une vapeur qu’il s’agit ensuite d’évacuer par un système de tunnel débouchant sur une ouverture placée plus loin sur le pas de tir : le carneau. La fonction du banc Martel, qui est équipé d’un propulseur capable d’éjecter du gaz chaud – jusqu’à 2 273 °C – à des vitesses supersoniques, d’une batterie de canons à eau, d’une série de capteurs de vibration et de microphones, est de reproduire l’opération à petite échelle afin de mieux dimensionner le dispositif en vue de le rendre plus efficace en termes de diminution du bruit. Un pari déjà tenu pour Ariane 5 – dont le pas de tir est doté d’un carneau mis au point au CEAT – mais qu’il s’agit maintenant de relever pour Ariane 6 !

Plateforme PROMETEE
Soufflerie anéchoïque destinée à modéliser le bruit généré par les moteurs d’avion. La capacité des constructeurs aéronautiques à réduire ce bruit tout en conservant les performances propulsives est un enjeu majeur de compétitivité.
Plateforme PROMETEE
Soufflerie anéchoïque destinée à modéliser le bruit généré par les moteurs d’avion. La capacité des constructeurs aéronautiques à réduire ce bruit tout en conservant les performances propulsives est un enjeu majeur de compétitivité.

L’espace n’est pas la seule vocation des installations du CEAT versus Prométée. D’un bâtiment à l’autre, on découvre toutes sortes d’instruments destinés aux applications les plus diverses. Ici, un banc de fatigue thermomécanique sert à tester la résistance aux hautes températures des matériaux utilisés pour la fabrication des aubes d’hélicoptère. Là, des machines d’essais mécaniques, des cellules de perméation et de vieillissement sont employées pour mesurer la fragilisation, à la suite d’un contact prolongé avec de l’hydrogène ou du gaz carbonique sous pression, des aciers et des polymères rentrant dans la composition des pipelines et des flexibles des futurs véhicules à pile à combustible. Ailleurs, c’est une soufflerie anéchoïque destinée à modéliser le bruit généré par les moteurs d’avion ou un banc de tribologie conçu pour tester l’étanchéité des turbines de centrales nucléaires qui retiennent l’attention des chercheurs.

Tout cela, en attendant le grand déménagement qui, insiste Yves Gervais, va comprendre une phase de modernisation des instruments déjà existants. En s’installant à Prométée, les nostalgiques du CEAT ne perdront donc rien au change….

 

Notes
  • 1. L’Institut Pprime est un laboratoire du CNRS créé en 2010 en partenariat avec l’Isae-Ensma et l’université de Poitiers.
  • 2. Programmes et moyens d’essais pour les transports, l’énergie et l’environnement bénéficiant du soutien de l’État, des collectivités territoriales, du fonds européen Feder, du programme Investissements d’avenir, de l’industriel Safran et du Cnes.
  • 3. L’Office national d’études et de recherches aérospatiales (Onéra) est le centre français de recherche aérospatiale.

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS