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Marie Curie, portrait intime

Marie Curie, portrait intime

27.11.2017, par
Marie Curie dans le laboratoire de la rue Cuvier, vers 1913.
Pour les 150 ans de sa naissance, l’exposition «Marie Curie, une femme au Panthéon», qui se tient jusqu’au 4 mars 2018, est l’occasion pour le public de découvrir la femme derrière le mythe. Rencontre avec Renaud Huynh, directeur du musée Curie et co-commissaire de l’exposition.

Le musée Curie1 et le Centre des monuments nationaux présentent la première grande exposition exclusivement consacrée à Marie Curie. Quel est son objectif ?
Renaud Huynh : Marie Curie, née Maria Sklodowska, est aujourd’hui célèbre dans le monde entier. Mais on se la représente souvent dans sa blouse noire, austère, le visage peu souriant. Que ce soit au musée Curie ou à travers cette exposition, nous voulions la montrer sous un jour nouveau : une femme de science, deux fois nobélisée, mais surtout une femme. Et d’en dresser un portrait intime, sans être intimidant.

Comment avez-vous conçu l’exposition ?
R. H. : Elle est composée de cinq chapitres et d’un prologue qui rappelle ses origines polonaises. Maria Sklodowska est arrivée en France pour faire ses études. C’est la rencontre avec Pierre Curie qui la fera rester.
 

Nous voulions faire redécouvrir Marie Curie à travers ses écrits, dont trois carnets de laboratoire. (...) On peut donc suivre jour après jour le processus de la découverte.

Le premier chapitre revient justement sur les découvertes des Curie. Le document que je trouve le plus émouvant, dans cette partie, c’est le diplôme original de son prix Nobel. Nous voulions aussi faire redécouvrir Marie Curie à travers ses écrits, dont trois carnets de laboratoire. Pour celui qui est exposé, nous avons choisi de l’ouvrir à une page très précise : nous sommes en juin 1898 et Marie Curie observe que l’élément qu’ils sont en train d’étudier est 300 fois plus radioactif que l’uranium.

Deux pages plus tard, c’est la découverte du polonium. Et afin de ne pas frustrer le public, ces carnets sont numérisés et consultables sur un écran à côté. On peut donc suivre jour après jour le processus de la découverte. Nous avons également intégré des bornes sonores où l’on peut écouter des témoignages audio, lus par une comédienne. Le deuxième chapitre revient sur Marie Curie en tant que mère : les correspondances avec ses enfants, Irène et Ève, ses carnets intimes où elle notait toutes leurs progressions, un album de famille, ses patins à glace…

Pierre et Marie Curie en 1895.
Pierre et Marie Curie en 1895.

C’est aussi dans ces parties-là que vous évoquez Pierre ?
R. H. : Pierre et Marie Curie sont inséparables. Nous exposons d’ailleurs la lettre où Pierre tente de convaincre Maria de rester en France : « Ce serait cependant une belle chose à laquelle je n’ose croire que de passer la vie l’un près de l’autre, hypnotisés dans nos rêves, votre rêve patriotique, notre rêve humanitaire et notre rêve scientifique… » Malheureusement, c’est une union qui ne dure que 12 ans, avant son accident tragique en 1906. Après sa mort, elle va tenir pendant quelques semaines un journal intime où elle s’adresse à lui. Nous avons ouvert ce journal à la page où l’on voit deux larmes qui ont coulé sur le papier.

Dans le troisième chapitre, vous montrez la dimension internationale de Marie Curie...
R. H. : En 1921, elle part aux États-Unis pour recevoir « le gramme de radium » des mains du président américain, Warren Harding. C’est surprenant de voir comment ce voyage de deux mois fut couvert médiatiquement : plus de 10 000 coupures de presse réunies dans 15 ouvrages, dont un qui est présent dans l’exposition. Des articles de presse se mêlent également aux archives vidéo. Nous souhaitions plus particulièrement montrer la difficulté qu’elle a eue à se faire accepter en tant que femme et en tant qu’étrangère. À travers, notamment, le combat académique qui l’opposait à Édouard Branly pour la candidature à l’Académie des sciences. Si elle est battue à deux voix près, le débat était surtout orienté sur la personne de Marie Curie : doit-on accepter une femme à l’Académie des sciences ?
 

Nous souhaitions plus particulièrement montrer la difficulté qu’elle a eue à se faire accepter en tant que femme et en tant qu’étrangère.

Édouard Branly, c’était la France catholique et antidreyfusarde. Marie Curie, le volet dreyfusard. On lui reprochait son deuxième prénom, Salomé, à consonance juive. Deuxième épisode : son aventure avec Paul Langevin. En instance de divorce, sa femme va révéler à la presse les lettres tendres que Marie Curie et lui s’échangeaient. C’est un scandale relaté par le Petit Journal en 1911. Le doyen de l’université lui demande alors de quitter ses fonctions et de retourner en Pologne, ce qu’elle ne fera pas.

Le quatrième chapitre de l’exposition illustre quant à lui les activités médicales qui se sont développées autour des rayons X, pendant la Première Guerre mondiale – Marie Curie et sa fille Irène sont montées au front, avec des voitures équipées pour radiographier les blessés – et pendant l’entre-deux-guerres. Enfin, dans le dernier chapitre, nous revenons sur ce qui a conduit Marie Curie au Panthéon – tant les productions littéraires que cinématographiques –, et notamment l’échange de correspondances entre François Mitterrand et la famille de la scientifique.

Marie Curie et sa fille Irène à l’Institut du radium, en 1921.
Marie Curie et sa fille Irène à l’Institut du radium, en 1921.

Ce parcours est construit comme un récit. À la fin de l’exposition, vous invitez le public à poursuivre son histoire jusqu’au musée Curie.
R. H. : Le musée Curie se trouve dans les anciens locaux de l’Institut du radium, à deux pas du Panthéon. Il a été construit entre 1911 et 1913, livré début 1914, et Marie Curie prend possession des lieux au mois de juillet. Mais en août, la guerre éclate. Le premier usage de ce lieu fut de former les manipulatrices, les infirmières qui partaient sur le front radiographier des blessés. Marie Curie, assistée de sa fille Irène, formait des gens à manipuler ces fameux tubes à rayons X qui équipaient les véhicules radiologiques sillonnant la ligne de front. L’Institut du radium, Marie Curie y a passé les 20 dernières années de sa vie, jusqu’à sa mort en 1934. C’est un musée d’histoire des sciences et de l’histoire d’une famille de scientifiques. Après deux ans de travaux, le musée a rouvert en 2012. C’est une exposition permanente avec la souplesse d’une exposition temporaire et entièrement numérisée. Ce musée est à la fois un espace ouvert au public et un lieu de recherche qui accueille chercheurs et étudiants.

Le musée dévoile encore une autre facette de Marie Curie : la directrice de laboratoire…
R. H. : À l’Institut du radium, Marie Curie va se battre pour créer des équipes de recherche. Nous y exposons des archives qui permettent de découvrir quelles étaient les activités d’une directrice de laboratoire au début du siècle, finalement peu différentes d’aujourd’hui, comme gérer le personnel et le budget. Fait remarquable, près d’un tiers de ses équipes étaient des femmes. Dans le musée, on peut découvrir son bureau.
 

À l’Institut du radium, Marie Curie va se battre pour créer des équipes de recherche.

À la mort de Marie Curie, il sera occupé par sa fille Irène puis par son gendre Frédéric Joliot-Curie. À la mort de ce dernier, le bureau et le laboratoire qui le jouxte sont figés et les pièces préservées au travers de l’association Curie et Joliot-Curie. C’est le premier acte de patrimonialisation qui va conduire en 1994 à la création de ce musée, une unité mixte de service entre le CNRS et l’Institut Curie. Il s’agissait là de répondre aux attentes des publics, de pouvoir faire visiter ces lieux chargés d’histoire.

Ces pièces avaient jusqu’alors une existence un peu confidentielle. Ce musée permet aussi de revenir sur l’histoire de la radioactivité. Des travaux de Röntgen aux instruments et objets scientifiques, jusqu’à l’engouement pour le radium au travers de produits inattendus comme des cosmétiques, des romans d’aventure et même une fontaine produisant de l’eau supposée radioactive.

Par ailleurs, nous organisons un cycle de conférences autour de Marie Curie. Hélène Langevin-Joliot, directrice de recherche émérite en physique nucléaire fondamentale au CNRS et petite-fille de Marie Curie, interviendra le 2 décembre afin de dresser un portrait plus intime de sa grand-mère. Nous organisons également des visites guidées et thématiques du musée. De quoi découvrir la saga exceptionnelle de cette famille aux cinq prix Nobel…

En savoir plus :
« Marie Curie, une femme au Panthéon », jusqu’au 4 mars 2018.
L’exposition est accessible en français, anglais et polonais.

Lire aussi :
« Marie Curie, la pionnière aux deux Nobel », par Denis Guthleben.

Notes
  • 1. Unité CNRS/Institut Curie.

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