Sections

MAGIC, une expédition au cœur du ciel polaire

MAGIC, une expédition au cœur du ciel polaire

04.11.2021, par
Les ballonniers du Cnes préparent le ballon accessoire qui sera arrimé à la nacelle Carmencita portant les instruments de mesure CNRS (22 août 2021, 21h53).
Pour la quatrième mission de l’initiative Magic, les scientifiques se rendent en Scandinavie, au-delà du cercle arctique. Leur objectif : étudier la répartition atmosphérique des gaz à effet de serre grâce à des instruments au sol, des ballons et des avions de recherche.

En ce mois d’août, tandis que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) alerte une fois de plus sur les conséquences du réchauffement climatique dans le premier volet de son sixième rapport, la campagne Magic 20211 est prête à braver les masses d’air instables de la région de Kiruna, en Laponie suédoise, pour y observer les émissions de gaz à effet de serre. Issue d’un projet international rassemblant le CNRS, le Centre national d’études spatiales (Cnes), le King’s College of London, la Nasa et  l'Agence spatiale européenne (ESA), Magic regroupe quatre-vingts personnes venues de sept pays, qui espèrent toutes que la météo leur permettra de mener à bien les opérations planifiées. 

Les scientifiques français présents lors de la campagne Magic 2021, rassemblés autour de l’avion ATR42 du Safire.
Les scientifiques français présents lors de la campagne Magic 2021, rassemblés autour de l’avion ATR42 du Safire.

Pendus à un ballon haut comme la tour Eiffel ou propulsés par des avions dans les nuages, une batterie d’instruments vont être testés et calibrés. « Le défi de Magic est de parvenir à détecter d’infimes variations dans la composition de l'atmosphère, explique Cyril Crevoisier, directeur de recherche au CNRS au Laboratoire de météorologie dynamique2 (LMD), pilote et principal organisateur de la campagne Magic. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont très diluées, mais néanmoins capables de bouleverser l’équilibre climatique. »

Magic, un outil sur mesure

Magic inclut deux missions spatiales d’observation des gaz à effet de serre : Merlin3 (mission franco-allemande pour la mesure du méthane) et MicroCarb (mission française pour la mesure du dioxyde de carbone). Un objectif clé de la campagne est la validation d’un nouvel instrument à l’avenir prometteur : le lidar infrarouge Charm-F, développé par l’agence spatiale allemande. « Nous allons ainsi tester Charm-F qui est la maquette de l’instrument qui sera mis en orbite à bord du satellite Merlin », explique Cyril Crevoisier. La double plus-value pour la précision des mesures, c’est d’avoir adjoint à Charm-F un autre lidar « vent », capable d’enregistrer les mouvements de l’air. « C’est la première fois que ces deux instruments voleront ensemble et ça nous permettra d’en déduire directement les flux de GES », se réjouit le chercheur. 

Fermeture du caisson du lidar Charm-F du Centre allemand pour l’aéronautique et l’astronautique, équivalent du Cnes. La disponibilité du Charm-F sur l’ATR42 de l’UMS Safire est un signe fort de la coopération franco-allemande pour la préparation de la mission Merlin.
Fermeture du caisson du lidar Charm-F du Centre allemand pour l’aéronautique et l’astronautique, équivalent du Cnes. La disponibilité du Charm-F sur l’ATR42 de l’UMS Safire est un signe fort de la coopération franco-allemande pour la préparation de la mission Merlin.

La combinaison des instruments à bord de l’avion de Météo-France permet de remonter à la source des émissions de méthane. La compilation des mesures de tous les instruments de la campagne Magic permettra – suite au travail à venir d’analyse des données – d’affiner la précision de Charm-F et d’estimer sa capacité à assumer une mission spatiale. Ainsi, la calibration du futur lidar permettra de traquer les émissions de gaz depuis l’espace. « Le Cnes est une agence spatiale habituée à développer des instruments. Cette fois-ci, notre but est de mettre au point une chaîne de traitement de données. On souhaite développer un fort pouvoir danalyse climatique, explique Caroline Bès, ingénieure d’études au Cnes et coorganisatrice de Magic. On a besoin de calibrer les instruments afin qu’ils nous fournissent des données haute résolution. »

Mardi 17 août, route E45, région de Sappisadsi

Le ciel s’éclaircit à l’est. Lors de la dernière réunion, Cyril Crevoisier a identifié cette journée comme la seule fenêtre de beau temps de la semaine. À travers une région marécageuse où les sapins recouvrent les talus et les bouleaux bordent les vallons tourbeux, Yao Te et Pascal Jersek, du Laboratoire d’études du rayonnement et de la matière en astrophysique et atmosphères (Lerma)4, installent leur spectromètre EM-27. Ces milieux naturels sont des émetteurs nets de méthane. Les deux ingénieurs d’études pointent vers le ciel la cellule photosensible de l’EM-27. L’instrument enregistre le spectre de la lumière solaire après qu’elle a été filtrée par les gaz de l’atmosphère, ce qui lui permet de connaître la concentration de cette dernière en dioxyde de carbone (CO2) et en méthane (CH4). « Cette courbe très hachurée cest le spectre lumineux, commente Yao Te. Les parties manquantes du spectre solaire correspondent aux longueurs d’onde infrarouges absorbées par les molécules présentes dans latmosphère. » 

Yao Té et Pascal Jeseck (Lerma) mesurent, avec un spectromètre EM-27, la concentration des gaz à effets de serre dans une colonne d’air en un endroit précis du passage des avions de la mission ; cela nécessite de rester sur une position aussi longtemps que possible en visant le Soleil. Ils sont installés à proximité d’un lac, car les zones humides sont d’importantes sources de méthane.
Yao Té et Pascal Jeseck (Lerma) mesurent, avec un spectromètre EM-27, la concentration des gaz à effets de serre dans une colonne d’air en un endroit précis du passage des avions de la mission ; cela nécessite de rester sur une position aussi longtemps que possible en visant le Soleil. Ils sont installés à proximité d’un lac, car les zones humides sont d’importantes sources de méthane.

À ce titre les nuages posent problème, car ils absorbent des longueurs d’onde communes au dioxyde de carbone et au méthane. Dans ce cas, le signal est bruité et les données sont difficilement exploitables. Bref, la vapeur d’eau est le cauchemar des chasseurs de spectres. C’est pour cette raison qu’il ne suffit pas d’allumer l’appareil pour obtenir les concentrations en gaz à effet de serre. Après l’acquisition des données brutes, les ingénieurs vont devoir « nettoyer » numériquement les spectres enregistrés en s’appuyant sur des modélisations fournies par les géophysiciens. 

Les zones humides sont d’importantes sources naturelles de dégagement de méthane, l’un des principaux gaz à effet de serre. La campagne Magic 2021 cherche à analyser les sources et puits de gaz à effet de serre naturels et anthropiques en région circumpolaire.
Les zones humides sont d’importantes sources naturelles de dégagement de méthane, l’un des principaux gaz à effet de serre. La campagne Magic 2021 cherche à analyser les sources et puits de gaz à effet de serre naturels et anthropiques en région circumpolaire.

Plus loin vers l’est, la trouée bleue dans le ciel gris s’étend. Hervé Herbin, chercheur au Laboratoire d’optique atmosphérique (LOA)5, s’affaire autour de Chris, un autre spectromètre dédié à une bande infrarouge différente de celle de l’EM-27, moins sensible à la vapeur d’eau. « La chambre denregistrement du signal de Chris est un peu plus performante que celle de l'EM-27, ce qui lui permet d’évaluer le nombre de gouttelettes qui composent un nuage et d’estimer finement la quantité de gaz présents dans les différentes couches de latmosphère », explique le chercheur.

Nuit de dimanche à lundi 23 août, station spatiale d’Esrange

La nuit glace les ballonniers du Cnes. Comme un rempart au froid, l’accent toulousain retentit dans les radios portatives du pas de tir de la station spatiale d’Esrange, située au cœur de la forêt boréale. Le lancement d’un ballon stratosphérique ouvert est en cours. Les instruments embarqués vont tenter d’établir le profil gazeux des 40 premiers kilomètres de l’atmosphère. 

L’ascension, première partie du vol, est la plus critique pour le ballon. Quand l’enveloppe rencontre une pression atmosphérique de plus en plus faible, le gaz se dilate progressivement. D’où l’utilisation d’enveloppes de très grandes dimensions, 100 à 200 fois plus volumineuses que la bulle de gaz initiale.
L’ascension, première partie du vol, est la plus critique pour le ballon. Quand l’enveloppe rencontre une pression atmosphérique de plus en plus faible, le gaz se dilate progressivement. D’où l’utilisation d’enveloppes de très grandes dimensions, 100 à 200 fois plus volumineuses que la bulle de gaz initiale.

La nacelle scientifique Carmencita héberge une instrumentation capable de dessiner très précisément le profil gazeux de la stratosphère jusqu’au sol. La tuyauterie des échantillonneurs d’air du LMD se vide à l’ascension et aspire de l’air pendant la descente. Cette invention repose sur la différence de pression entre l’intérieur et l’extérieur du tube en inox. Affairé sur la nacelle, Patrick Jacket, ingénieur au Laboratoire de physique et de chimie de l’environnement et de l’espace (LPC2E)6, manipule Species7, un colossal spectromètre embarqué dédié à l’analyse des gaz à effet de serre et de l’ozone. Lorsque Species est en route, son faisceau laser traverse 10 000 fois la chambre de mesure dans laquelle l’air extérieur est injecté tandis que ses photorécepteurs sont refroidis pour éviter que les infrarouges n’interfèrent avec les mesures. 

Gonflage de nuit, les ballonniers du Cnes étant tributaires des conditions météorologiques au sol, le vol a été repoussé au soir pour éviter le vent. Le lâcher sera la partie la plus délicate du vol : il faut mettre en position verticale un ensemble de 300 mètres de long et de plus de 4 tonnes.
Gonflage de nuit, les ballonniers du Cnes étant tributaires des conditions météorologiques au sol, le vol a été repoussé au soir pour éviter le vent. Le lâcher sera la partie la plus délicate du vol : il faut mettre en position verticale un ensemble de 300 mètres de long et de plus de 4 tonnes.

Le ballon doit décoller selon une procédure bien établie : les ballonniers déroulent la poche principale sur une bâche épaisse qui préserve sa fine voilure. Dans son prolongement, une sangle doublée relie les parties de l’aéronef. Une nacelle de servitude est emballée sous un épais isolant. Elle assurera la communication entre le centre de contrôle et le ballon, permettant de le guider à distance. Lors de l’ascension, la pression de l’air diminue, la poche d’hélium se dilate et les pilotes doivent réguler le volume du ballon pour éviter qu’il n’éclate. Ce soir, il est prévu que la descente soit amorcée au niveau des 40 kilomètres d’altitude, mais cela dépendra aussi du vent. Pendant la descente justement, le risque, c’est la chute. La quantité d’hélium réduite ne permet plus de porter le ballon dans les basses couches de l’atmosphère où la pression est plus grande. Alors pour ralentir la descente et regagner de la portance, on devra se délester de billes d’acier préalablement embarquées dans la nacelle de servitude.
 
Le moment du décollage est arrivé. Deux ballonniers gantés et casqués tiennent chacun un tuyau qui souffle de l’hélium à 300 bars dans la poche principale du ballon. Entraînée par le petit ballon auxiliaire qui compense ses 512 kilos, Carmencita se soulève à un mètre du sol. Quatre ballonniers la tiennent à bout de bras. Enfin, le gonflage de la poche principale se termine. Au largage, l’énorme poche d’hélium se froisse et s’élève. Les sangles se tendent progressivement puis la nacelle disparait dans la nuit. Le ballon stratosphérique volera jusqu’au matin et sera rejoint par un avion de la campagne Magic.

Jeudi 26, aéroport de Kiruna, hangar Arctica Arena

Sur le tarmac, les avions s’alignent. Rouge éclatant, le Twin-Otter du British Antarctic Survey embarque le spectro-imageur HyTES8. HyTES est capable de reconstituer l’image d’un panache gazeux et de révèler la présence de méthane à partir du rayonnement infrarouge réfléchi par la Terre. Le deuxième avion est le Cessna du Deutsches Zentrum für Luft- und Raumfahrt, le Centre allemand pour l'aéronautique et l'astronautique. Il est équipé du QCLS9, un spectromètre laser qui mesurera – avec la précision d’une particule par milliard – les gaz aspirés par l’avion pendant le vol. Enfin, c’est l’ATR-42 de 22 mètres de long affrété par l’unité Safire (service des avions français instrumentés pour la recherche en environnement) qui va embarquer Charm-F, ce qui représente un signe fort de la coopération franco-allemande pour la préparation de la mission Merlin. 

Le twin otter instrumenté du Bristish Antarctic Survey (avion rouge) se prépare à décoller sur le tarmac de l’aéroport de Kiruna en vue d’un vol scientifique coordonné avec les deux autres avions de recherche de la mission. Au centre, l'avion Cessna grand caravan de l’agence spatiale allemande (DLR), et, au premier plan, l’ATR42 du Safire équipé pour la première fois de deux lidars.
Le twin otter instrumenté du Bristish Antarctic Survey (avion rouge) se prépare à décoller sur le tarmac de l’aéroport de Kiruna en vue d’un vol scientifique coordonné avec les deux autres avions de recherche de la mission. Au centre, l'avion Cessna grand caravan de l’agence spatiale allemande (DLR), et, au premier plan, l’ATR42 du Safire équipé pour la première fois de deux lidars.

Ce dernier vol au-dessus de la taïga clôture l’expédition 2021 en beauté. Lors de la prochaine campagne, Magic s’intéressera cette fois-ci à une zone climatique tempérée et étudiera les émissions anthropiques de CO2 de la ville de Reims, où elle sera accueillie par le Groupe de spectrométrie moléculaire atmosphérique10 au cours du printemps 2022. ♦

Pour en savoir plus
Le site de la campagne Magic 2021 (en anglais) : https://magic.aeris-data.fr/magic2021/

À lire sur le site du CNRS
La campagne Magic 2021 s’envole vers la Scandinavie pour mesurer les gaz à effet de serre

 

Notes
  • 1. Pour Monitoring of Atmospheric composition and Greenhouse gases through multi-Instruments Campaigns.
  • 2. Unité CNRS/ENS Paris/École polytechnique/Sorbonne Université.
  • 3. Pour Methane Remote Sensing Mission.
  • 4. Unité CNRS/Observatoire de Paris-PSL/Sorbonne Université/CY Cergy Paris Université.
  • 5. Unité CNRS/Université de Lille.
  • 6. Unité CNRS/Cnes/Université d’Orléans.
  • 7. Pour Spectromètre infrarouge à lasers in situ.
  • 8. Pour Hyperspectral Thermal Emission Spectrometer.
  • 9. Pour Quantum Cascade Spectrometer Laser.
  • 10. Unité CNRS/Université Reims Champagne-Ardenne.

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS