Sections

LHC : dix ans après, l’aventure continue !

LHC : dix ans après, l’aventure continue !

27.03.2020, par
Détecteur de l'expérience CMS dans sa configuration ouverte, permettant un accès au cœur du détecteur lors de l'arrêt prolongé de l'accélérateur LHC.
Au terme d’une décennie de fonctionnement, l’accélérateur du Cern, situé à la frontière franco-suisse, a profondément renouvelé le visage de la physique de l’infiniment petit. Il redémarrera en 2021 avec des installations encore plus performantes.

Dix ans ! Le 30 mars, cela fera une décennie que le LHC (Large Hadron Collider ou Grand collisionneur de hadrons en français) fonctionne à plein régime. Et avec lui, les quatre expériences qui enregistrent les particules issues des collisions entre protons (un composant des noyaux atomiques) que l’accélérateur géant projette les uns contre les autres à une vitesse proche de celle de la lumière dans son tunnel de 27 kilomètres de circonférence, environ 30 millions de fois par seconde.
 

Aimant dipolaire (en bleu à gauche) et différents plans de détection du spectromètre à muons de l'expérience ALICE (A Large Ion Collider Experiment).
Aimant dipolaire (en bleu à gauche) et différents plans de détection du spectromètre à muons de l'expérience ALICE (A Large Ion Collider Experiment).

L’objectif des milliers de chercheurs, ingénieurs et techniciens qui participent à cette aventure scientifique inouïe qui se tient au Cern, près de Genève (Suisse) : dévoiler plus avant les secrets de l’infiniment petit et, ce faisant, les lois fondamentales de notre Univers. De découvertes en prix Nobel, de surprises en rebondissements, depuis le démarrage de la plus fantastique expérience de physique des particules jamais conçue, ils n’ont pas été déçus. Et ce n’est que le début : tandis que les installations sont en cours de mise à jour pour un niveau de performance accru, l’aventure est prévue pour durer au moins jusqu’en 2037.

Un outil gigantesque

L’expérience repose sur un principe simple : à chaque collision entre protons accélérés, en vertu de l’équivalence entre masse et énergie, l’énergie cinétique accumulée par ces particules se mue en « grains » de matière. Ces particules sorties du néant constituent alors autant d’indices sur les processus élémentaires qui leur ont donné naissance.
Il y a une vingtaine d’années les promoteurs du LHC avaient calculé que pour observer des phénomènes intéressants, les protons devraient atteindre une énergie de 7 téraélectronvolts (TeV), soit celle d’un moustique en vol… concentrée dans un volume mille milliards de fois plus petit. D’où la nécessité d’un accélérateur gigantesque et, pour recueillir les produits microscopiques des collisions, quatre détecteurs – Atlas, CMS, LHCb et Alice – eux aussi absolument hors-norme. Ainsi, Atlas est un cylindre de 22 mètres de diamètre et de 40 mètres de long pesant 7 000 tonnes. Quant à CMS, avec ses 15 mètres de diamètre et ses 21,5 mètres de long, il affiche 12 500 tonnes sur la balance !

Boson de Higgs produit en association avec deux quarks top dans ATLAS
Boson de Higgs produit en association avec deux quarks top dans ATLAS

Au sein de chacune de ces collaborations internationales, les scientifiques français ont pris une part non négligeable. Comme le résume Laurent Vacavant, directeur adjoint scientifique à l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3) du CNRS, « la France participe à hauteur de 14 % au budget du Cern et à 10 % de l’effort sur les détecteurs. Concrètement, dix laboratoires de l’IN2P3 sont impliqués sur les quatre expériences, soit 250 chercheurs, 280 ingénieurs et techniciens, et une centaine de doctorants en permanence, auxquels s’ajoutent environ 150 personnes de l’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers du CEA. » En dix ans, aux côtés de 600 instituts et universités du monde entier, les équipes françaises ont été impliquées aussi bien dans la conception et la construction des détecteurs que dans l’analyse des résultats, en passant par l’exploitation et l’entretien des installations.  

Le boson de Higgs enfin détecté

Le LHC rassemble plusieurs expériences qui ont été conçues pour répondre à des questions différentes ou complémentaires. Ainsi, Atlas et CMS sont des détecteurs dits de découverte. Comme le précise Laurent Vacavant, « avec leurs dizaines de millions de capteurs, ils permettent des mesures dans tous les secteurs possibles. » De quoi mettre enfin la main sur une particule qui, il y a dix ans, n’était alors qu’hypothétique : le boson de Higgs. L’existence de cette particule, censée conférer leur masse à presque toutes les autres, était en effet postulée depuis 1964… sans jamais avoir pu être détectée.

Mise en évidence, dans CMS, du boson de Higgs se désintégrant en 4 leptons (un des canaux de découverte en 2012) .
Mise en évidence, dans CMS, du boson de Higgs se désintégrant en 4 leptons (un des canaux de découverte en 2012) .

Mais avec la puissance du LHC, les choses sont allées très vite ! Comme le raconte Isabelle Wingerter-Seez, responsable d’Atlas-France jusqu’en 2017, « au démarrage, on pensait qu’il faudrait 5 ou 6 ans avant de voir quelque chose. Mais dès 2011, on a commencé à voir un signal sortir du bruit, et en 2012, nous avons pu confirmer que le boson de Higgs était bien là ! » Didier Contardo, responsable de CMS-France, ajoute, « nous savions comment l’observer au mieux, les expériences et la chaîne d’analyse se sont montrées aussi performantes qu’attendu, voire plus, et les deux détecteurs ont vu la même chose au même niveau de précision. » À la clé, une découverte annoncée le 4 juillet 2012 dans le grand amphithéâtre du Cern. Et pour ceux qui avaient imaginé ce boson dès 1964, François Englert et Peter Higgs (décédé en 2011, Robert Brout n’a pas été récompensé), le prix Nobel l’année suivante.

Boson de Higgs se désintégrant en 2 quarks b, produit en association avec deux quarks top.
Boson de Higgs se désintégrant en 2 quarks b, produit en association avec deux quarks top.

Une nouvelle physique qui se fait attendre

Le boson de Higgs apportait la dernière pierre manquante du modèle standard de la physique, un modèle qui décrit l’ensemble des particules élémentaires connues et de leurs interactions (à l’exception de la gravité). Toutefois, Atlas et CMS ont aussi été conçues pour découvrir des particules élémentaires inconnues et révéler une nouvelle physique non-décrite par le modèle standard. En effet, pour expliquer la nature de la matière noire, la valeur des constantes physiques ou l’absence d’antimatière dans l’Univers, il faudrait aller au-delà du modèle standard. Sauf qu’après dix ans d’efforts, à la surprise générale, il a fallu se rendre à l’évidence : « nous n’avons pas observé l’once du début de quelque chose qui n’entre pas dans le cadre du modèle standard », lâche simplement Isabelle Wingerter-Seez.

LHCb a été conçu pour étudier les légères asymétries entre matière et antimatière.
LHCb a été conçu pour étudier les légères asymétries entre matière et antimatière.

Inexistence de cette nouvelle physique ? Formes différentes de celles imaginées jusqu’alors ? Signatures plus exotiques que celles recherchées dans les détecteurs ? Nul ne le sait encore. Ainsi, après avoir suivi les pistes les plus évidentes, les expérimentateurs se sont-ils lancés dans un travail de bénédictins toujours en cours. « On cherche dans des recoins plus difficiles, des processus rares, des observables complexes, des modèles de nouvelle physique qui étaient a priori moins favorisés… », confirme Didier Contardo.

Ainsi, passée l’euphorie de la découverte, les chercheurs ont entamé un patient travail d’étude du boson de Higgs. Notamment afin de déterminer la façon dont il interagit avec chacune des particules de matière connues. Ainsi, en 2018, ils ont observé son « couplage » au quark top (la particule élémentaire la plus massive connue) et son interaction avec le quark beau (ou bottom). Leur espoir : relever de petites différences par rapport aux prédictions du modèle standard…
 
Mais la surprise pourrait venir de l’expérience LHCb, dédiée à l’étude de la désintégration de particules appelées mésons B. En effet, d’après le modèle standard, matière et antimatière sont quasiment semblables en tout point. Or l’antimatière est totalement absente de l’Univers, ce qui constitue l’un des grands mystères de la physique fondamentale. D’où l’idée des spécialistes de comparer les propriétés des mésons B et des anti-mésons B dans le but d’observer, qui sait, un écart susceptible de les mettre sur une piste.

Méson B se désintégrant en deux muons
Méson B se désintégrant en deux muons

Si tel n’est pour l’instant pas le cas, LHCb a néanmoins observé depuis plusieurs années un faisceau de phénomènes étranges : par exemple, certains mésons peuvent se désintégrer soit en électrons, soit en muons, sorte de cousins obèses des premiers. Or comme l’explique Renaud Le Gac, responsable de LHCb-France, « d’après le modèle standard, les deux processus devraient être parfaitement équivalents, ce qui d’après nos données n’est pas exactement le cas. » Le physicien ajoute : « à ce stade, ces différences ne sont pas encore significatives, mais elles sont en l’état la piste la plus sérieuse pour observer une physique qui sorte du cadre du modèle standard. »

Des quarks dans tous leurs états

Le cadre du modèle standard a du reste fourni aux chercheurs du Cern l’occasion d’autres belles découvertes. Ainsi, alors qu’on ne connaissait jusqu’ici que des particules composées de deux ou trois quarks (comme les protons ou les neutrons), l’expérience LHCb a pu produire en 2017 une particule composée de cinq quarks : le pentaquark. À la clé : une meilleure modélisation des quarks et de l’interaction forte, qui lie entre eux les quarks et les composants du noyau atomique.

Représentation de la structure interne hypothétique d'un pentaquark
Représentation de la structure interne hypothétique d'un pentaquark

L’interaction forte et ses médiateurs, les gluons, sont également au cœur des investigations menées auprès du détecteur Alice. Celui-ci est dédié à l’étude d’un état très singulier de la matière, appelé plasma de quarks et de gluons ou QGP. Ce plasma quark-gluon est obtenu en faisant entrer en collision des noyaux d’atomes de plomb, ce qui entraîne la formation d’une « soupe » de matière ultra-chaude et dense composée des quarks et des gluons qui se regroupent habituellement en protons et neutrons. C’est l’état dans lequel se trouvait l’Univers une microseconde après le big-bang.

Comme l’explique Cvetan Cheshkov, coordinateur de physique adjoint d’Alice, « l’énergie du LHC permet l’obtention du QGP le plus chaud, le plus dense et à la durée de vie la plus longue jamais observée. » De quoi, au-delà des records, l’étudier plus en détail pour en déterminer les caractéristiques précises selon des modalités expérimentales nouvelles. Ainsi, les physiciens d’Alice ont pour la première fois observé l’année dernière des particules nommées charmonium, issues du plasma. L’intérêt ? Elles se forment lorsque les quarks et les gluons se recombinent, signe qu’à l’instant précédent, ces particules étaient bien libres. « C’est l’une des preuves les plus indubitables de l’obtention d’un QGP », s’enthousiasme le physicien.

Collisions d'ions lourds enregistrés par ALICE le 25 Novembre 2015.
Collisions d'ions lourds enregistrés par ALICE le 25 Novembre 2015.

Par ailleurs, les experts ont également pu préciser la nature du plasma de quarks et de gluons. Alors que selon des modèles théoriques, on pouvait s’attendre à ce que l’univers primordial, au regard de sa faramineuse température, ressemble à un gaz, il s’avère que ses propriétés seraient plutôt celles d’un liquide. Qui plus est, un liquide d’un genre très particulier car capable de s’écouler sans le moindre frottement. Autrement dit, un état de la matière sans équivalent connu.

Enfin, de minuscules gouttelettes de QGP ont été récemment observées. À mi-chemin entre le plasma étendu et la poignée de particules, elles permettent de jeter un pont entre la théorie élémentaire des quarks et des gluons et les modèles hydrodynamiques du QGP qui permettent d’en décrire l’expansion et le refroidissement. 
 
Si le LHC a déjà apporté certaines réponses, il a ajouté de nouvelles questions parfois vertigineuses. Pour y répondre, toutes les équipes sont actuellement à l’œuvre pour améliorer les performances de l’accélérateur et des détecteurs dont la remise en service est prévue en 2021. Certaines de ces améliorations visent déjà à préparer la phase dite de LHC haute luminosité qui, à partir de 2027, et après adaptation de tous les matériels et logiciels d’analyse, verra au minimum quintupler le nombre de collisions par seconde au centre des détecteurs. Comme l’indique Laurent Vacavant, « à ce jour, nous n’avons recueilli que 5 % des données que le LHC prendra durant toute sa durée de fonctionnement. » Qu’est-ce que les physiciens des particules y découvriront en les analysant ? Nul ne peut le dire. « Dans la dialectique constante entre avancées théoriques et expérimentales, nous sommes désormais dans une phase où il incombe aux expérimentateurs de débroussailler le terrain. » Une chose est certaine, après dix ans, l’aventure continue plus que jamais. ♦
 

À lire sur le site du journal
Fabiola Gianotti nous ouvre les portes du Cern

À (re)voir 
Les titans du Cern (diaporama)
 

 

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS